Bulletin de psychiatrie
Parution N°1
(semestrielle ou annuelle)
Edition du 4 novembre 1994

Dr Fineltain Ludwig
Neuropsychiatre
Psychanalyste
Paris

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CNPsy Gr. 1 dp 75 1 26408 6

    E-mail: fineltainl@yahoo.fr

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Titres des articles:

Contenus des articles:

I- Les urgences psychiatriques et la place du psychiatre dans les situations de catastrophe: 5ème journée de l'AFERUP, Association. Française d'Etude et de Recherche sur les Urgences Psychiatriques

Les travaux du congrès se sont déroulés le 22 janvier 1994 à l'Hôpital de Créteil. L'intérêt des travaux de l'AFERUP est incontestable. Quelle est donc la situation actuelle? Il nous manque des structures psychiatriques efficaces, chacun le sait, depuis les catastrophes de la rue des Rosiers, de la rue de Rennes, du stade du Wesel, de Furiani, des tremblements de terre en Italie, en Arménie et à Los Angeles. Il nous faut aussi tenir compte des catastrophes du futur comme les Tchernobyl et des guerres modernes comme celle du Golfe etc.
Nous avons vu que les structures médico-chirurgicales de 1ère ligne, type SAMU, sont de mieux en mieux adaptées. Par contre les urgences psychiatriques n'y sont ni repérées ni prises en charge. Jusqu'à présent les urgences psychiatriques en ville, de façon générale, étaient fort mal prises en charge. Le SAMU, si sophistiqué en médecine, en réanimation et en chirurgie, était nul en psychiatrie. Mais je veux revenir sur ce jugement abrupt: j'avoue sur ce point m'être un peu trompé. Nous avons désormais un ou des psychiatres dans le SAMU du Paris, notamment le Dr Patrice LOUVILLE, et cette nouveauté est très précieuse.
Le Congrès fut d'un niveau formidable, bien meilleur que ce que j'escomptais! Nous étions dans un amphi bondé composé de tous les "urgentistes" d'Europe. Voici un compte rendu des exposés:
J'ai apprécié l'exposé de Madame le Pr Geneviève BARRIER chef du SAMU de Paris. Elle fut à mon avis la reine du Congrès par sa compétence, sa cohérence et son pragmatisme.
Puis ce fut l'excellent exposé du Pr Pier Maria FURLAN de Turin qui a montré isolé au cours des tremblements de terre trois diagnostics assez imprévus: des crises dissociatives sans complication, des suicides et des impulsions sexuelles complexes.
Celui du Dr Michel PLOUZNIKOFF (Hôpital militaire du Val de Grâce) qui nous a parlé de Golfe. On y avait disposé cinq psychiatres de l'avant, deux autres en unité de campagne près du front et trois autres dans un hôpital de l'arrière à Ryad. Il fut décidé que le tri de 1ère ligne adresserait tout ce qui est psychiatrique directement à ces deux filières plutôt que de faire le classique tri léger grave de 1ère ligne.
Le Pr Crocq, médecin général, psychiatre, nous a exposé une courte théorie du "debriefing".
Le Dr Liliane DALIGAND de Lyon a créé une INAVEM (aide aux victimes). Elle a parlé très candidement du "syndrome de la culpabilité des survivants" comme s'il s'agissait une découverte récente! Beaucoup de spécialistes connaissent cela depuis 50 ans.
Le Dr Gérard JAVAUDIN SAMU de Bastia a souligné deux aspects importants des catastrophes:
a)Quand les sauveteurs ont des parents parmi les victimes ils travaillent moins bien et enfin
b)Après l'action la nécessité d'un "debriefing" sous la conduite d'un psychiatre type SAMU.
Le Dr Michel DE CLERCQ de Bruxelles s'est occupé de deux catastrophes importantes. Il a démontré la nécessité d'une prise en charge psychiatrique précoce pour éviter les névroses traumatiques ultérieures et il expose une découverte magistrale: la névrose traumatique va toucher également 25% des SAUVETEURS!! "Le saviez-vous honorables cybernautes? Ce fut vraiment très intéressant".
Le Pr Carle DOUTHEAU de Bégin (militaire) a exposé les urgences psychiatriques principales: suicides collectifs, agitations sur place, comportements de fuite comprenant la panique (Ypres 1915, Mina 1992), les processions, les exodes si vivants dans nos mémoires. Il a enfin parlé du rôle des rumeurs. Mais alors là, à propos des rumeurs, malheureusement, il n'y connaissait pas grand chose alors qu'il y a tant de travaux sur le sujet!

Les questions de l'auditoire.
On a laissé trop peu de place aux questions du public. Parmi celles-ci: "Comment contenir les badauds, les voyeurs, les journalistes, les hommes politiques qui gênent le travail médical". Je vous laisse deviner quelle fut ma question personnelle!
Fatigué de tous ces travaux j'ai lâchement abandonné le terrain juste avant l'exposé du Pr Sam TYRODE de Tel Aviv qui devait parler de l'expérience israélienne, notamment des SCUD et d'autres sortes de menaces. Je regrette un peu de ne pas avoir eu la patience nécessaire d'attendre l'exposé.

Conclusion
Ce fut passionnant. Les rois de la fête sont évidemment les SAMU, les Pompiers mais aussi les psychiatres militaires. Qui l'eût cru! J'ai conservé de mon service militaire quand j'étais aspirant et que j'y exerçais la psychiatrie de sélection, un souvenir déplorable de tous ces collègues psychiatres colonels et généraux. Au cours de ce colloque je me suis dit qu'on pouvait tout de même faire, avec ou à côté d'eux, un excellent travail.
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II- L'AVENIR DES HOPITAUX DE JOUR PSYCHIATRIQUES

L'avenir des Hôpitaux de jour est incertain.
Voici quelques réflexions suscitées par une réunion intitulée "Hôpitaux de Jour" à l'initiative du Dr Hayat au Centre de la rue de Liège, mardi 8 mars 1994.
J'avais organisé jadis l'Hôpital de Jour du SM6 à Sainte Anne en 1969-1970 et surtout j'ai eu la chance de créer et de diriger l'Hôpital de Jour de la rue d'Hauteville dans le 10ème arrondissement de Paris de 1971 à 1975.
La nostalgie n'est pas aujourd'hui le seul motif de m'intéresser à cette structure originale. J'ai été assez surpris qu'à la faveur de l'organisation de la réunion et des discussions consécutives à l'enquête, si peu de place ait été prévue aux usagers périphériques des Hôpitaux de Jour. Je veux parler des correspondants, praticiens publics et privés, qui confient des patients à ces institutions et qui en attendent des résultats. Les psychiatres et psychanalystes privés encouragent quelques uns de leurs patients d'aller dans un Hôpital de Jour. Cela n'est sans doute pas très fréquent. Mais enfin les praticiens de ville perçoivent l'utilité des ces structures psychiatriques tandis que les CATTP et les Centres de crise n'ont pas encore fait la preuve de leur pertinence.
La réunion, rue de Liège, a produit à certains moments un ronronnement bien familier: elle produisait parfois un effet "self-similaire" comme disait B. Mandelbrot, dans sa théorie du chaos et de la géométrie fractale. Ainsi en est-il par exemple du très classique déni de la maladie et de la médecine. Cette thèse a été exposée par certains collègues comme un fait important. Ce n'est bien entendu pas mon avis!
Le déni de la maladie en psychiatrie fonctionne comme un paravent. Il existe un dilemme sous-jacent, un dilemme nucléaire: on repère à ce niveau le malaise, plus précisément "la conscience malheureuse du psychiatre contemporain". De quoi s'agit-il? Je veux parler de la difficulté épistémologique à penser la psychose dans des espaces de pensée très contrastés c'est-à-dire tout à la fois en termes psychanalytiques et psychiatriques.

Il faut au psychiatre une capacité:
-assumer une conflictualité interne
-embrasser ensemble dans le même temps, dans le même regard la dimension herméneutique, c'est-à-dire psychanalytique, et les dimensions psychiatrique et pharmacologique.
La psychiatrie "à la française", ce serait cela, une psychiatrie du malaise. L'Hôpital de Jour fut, dès les premières expérimentations, le lieu de projection idéal du dilemme que je viens de décrire. Pourquoi précisément l'Hôpital de Jour? Je pense que ce serait un assez bon sujet de débats ultérieurs.
Les débuts des hôpitaux de jour ont été enthousiasmants. Je me souviens de l'atmosphère d'excitation intellectuelle que nous partagions tous à l'époque de la création du centre de la rue d'Hauteville en 1970. Les infirmières manifestaient une curiosité intellectuelle assez paradoxale puisque, en même temps, elles redoutaient l'opacité du projet. L'évolution de ces structures prometteuses a été un peu décevante au regard des espoirs que nous y mettions dans les années 1970.
J'inviterais donc volontiers les collègues organisant de futures réunions sur ce sujet, sur les institutions extra-hospitalières, à inviter plus généreusement les correspondants pour donner un point de vue extérieur au secteur.
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III- CONFERENCE DE CONSENSUS SUR LA SCHIZOPHRENIE ET RMO

Le public des spécialistes psychiatres pourrait se mettre très rapidement d'accord à propos des protocoles thérapeutiques pharmacologiques. L'Ecole française, c'est son originalité, discrimine les effets des neuroleptiques tandis que l'Ecole Anglo-saxonne en décrit les effets synthétiques. C'est ainsi qu'on oppose le concept de neuroleptique à celui d'antipsychotique.
Les discordances apparaissent dès qu'on aborde les deux questions du futur de la schizophrénie:

1)Stratégie de la misère psychiatrique.

Comment élaborer de façon consensuelle une stratégie psychothérapique? Mon point de vue est-il généralement partagé? Je ne crois pas que la schizophrénie puisse être traitée par la seule pharmacologie bien qu'elle soit prioritaire. Le seul traitement pharmacologique constitue un pis-aller, une stratégie hospitalière de pauvreté de l'intervention bref une stratégie de misère.

J'ai deux credos à propos des schizophrénies:
a)La schizophrénie est une urgence. Du moins faut-il la considérer comme telle à l'occasion du diagnostic d'une forme d'entrée dans cette psychose.
b)Le traitement doit être d'emblée mixte, pharmacologique et psychothérapique. Cette dernière, dans ma conception personnelle, est une psychothérapie face à face, de structure ou d'inspiration psychanalytique. La forme de la thérapie obéit aux grandes règles du transfert des psychotiques schizophrènes: a)Il est à la fois aveugle et massif
b)Il n'existe pas, pendant très longtemps, de capacité de perlaborer au décours des interprétations
c)Les interprétations demeurent en suspens ou bien affectent une forme symbolique recevable par le patient
d)La névrotisation de l'élaboration psychique et des mécanismes transférentiels requièrent de la patience et beaucoup de temps.
Mais cette remarque vaudrait également à propos du traitement pharmacologique.

2)Troisième sujet de discorde. Le même thérapeute, les mêmes mains, doivent assumer la délivrance d'une prescription de médicament et la mise en scène du scénario psychanalytique.
Les deux formes de traitement sont des processus de communication compatibles entre eux. La fameuse théorie de la séparation des intervenants résulte essentiellement d'une ancienne situation de précarité hospitalière. Il manquait et il manque encore d'analystes confirmés dans les institutions psychiatriques. Il faut encore incriminer le retard historique des recherches psychanalytiques et pharmacologiques conjointes. Une grande discordance entre les moyens analytiques et pharmacologiques régnait du temps de Freud. Or nos contemporains vivent encore mentalement, intellectuellement et scientifiquement en 1884. On voit que la réflexion à ce sujet porte volontiers la marque de la routine beaucoup plus que celle d'une théorie éprouvée.

Retour aux conférences de consensus.
Les conférences de consensus ont toutes, jusqu'à présent, en particulier celle des 13 et 14 janvier 1994, pêché par une conjonction de deux défauts majeurs: le passéisme et l'hospitalo-centrisme. Les deux défauts me paraissent intimement intriqués.

REPRISE DES ARGUMENTS

Il apparaît donc que la conférence ne peut pas déboucher sur une RMO avant 2 à 5 ans. Pourquoi? La conférence souffre de plusieurs très graves défauts: elle ne prend pas suffisamment en compte la complexité de la psychose schizophrénique. Ainsi par exemple:
1)La place des psychothérapies, de la psychanalyse entre autres, n'est elle pas précisée au regard de la pharmacologie. Pourquoi? Parce que l'hospitalo-centrisme préside à l'élaboration de la pensée consensuelle. L'hôpital et le secteur psychiatrique en particulier ont des mérites éminents: mais il n'a de la schizophrénie qu'une vision partielle et artificielle, une vision quasi expérimentale comme les sanatoriums de jadis ne connaissaient de la tuberculose que les cavernes!
2)Une 2ème réflexion importante concerne la prise en charge capitale du schizophrène au moment de son entrée dans la maladie. Je pense que c'est là le moment clef du destin du schizophrène. Pourquoi la conférence de consensus ne développe-t-elle pas plus cette argumentation. Parce la constitution même de son jury lui en interdit la réflexion: le processus d'hospitalisation ne concerne pas les débuts de la schizophrénie. Il y a là encore les dérives d'une culture hospitalière d'une pathologie qui ne lui est que secondairement rattachée.
3)Ainsi encore dans un troisième exemple remarquable: la complémentarité pharmacologues psychothérapeutes ou psychanalystes. Il n'existe à ma connaissance aucune étude approfondie sur ce sujet qui est pourtant l'un des plus importants dans le traitement des psychoses schizophréniques depuis 50 ans. Je voudrais d'abord faire la remarque que la dichotomie entre le prescripteur et le psychothérapeute ne peut pas résulter d'un consensus sincère. Cette argumentation n'est que le résultat d'une insuffisance de formation des psychiatres en France. Les chimiothérapeutes hospitaliers ne sont généralement pas psychanalystes ou du moins ne souhaitent pas se reconnaître comme tels et un très grand nombre de psychanalystes ne savent pas ou ne veulent pas prescrire des psychotropes. Une formation exhaustive d'un psychiatre requiert qu'il soit capable de prendre en charge son patient aux deux titres: pharmacologique et psychothérapique. C'est ainsi que d'ailleurs dans la plupart des services est conduite une honnête pratique des soins. Il existe en vérité, autre façon d'exposer le problème, une vaste zone de non-dit à propos de la distinction entre le prescripteur et le psychothérapeute, ce que j'ai nommé dans un autre texte "la conscience malheureuse du psychiatre contemporain".
Ceci ne permet pas le consensus à l'heure actuelle. Je prétends pour ma part qu'avec un schizophrène le psychothérapeute et le prescripteur de neuroleptique doit être une seule et même personne pour des raisons doctrinales.
Enfin 4ème remarque effectuée au cours de la réunion. La conférence de consensus n'a pas assez fait de place à la stratégie de négociation avec le schizophrène telle qu'elle peut exister en pratique de ville. Tel schizophrène reçoit une prescription symbolique peu appropriée, mais dont la valeur symbolique permet au psychiatre de la maintenir dans une forme d'existence sociale acceptable.
Ma conclusion se résume à ceci: la conférence de consensus sur un sujet aussi complexe n'en est qu'à un stade balbutiant. Il nous faut faire preuve de modération et de patience. Il faut renouveler plusieurs fois les expériences de conférence de consensus en donnant une place aux théoriciens et aux praticiens de la psychose schizophrénique.
Les RMO dans l'état actuel des études est une décision qui ressortit aux travaux des économistes et non des médecins! Nous ne pouvons dans l'état actuel de la question accepter aucune RMO tant qu'un véritable travail médical n'aura pas été achevé.
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IV- LE NORMAL ET LE PATHOLOGIQUE

LA GLOIRE DE CANGUILHEM

Le Xème colloque de la Société Internationale d'Histoire de la Psychiatrie et de la Psychanalyse, autour de la thèse de médecine de Georges Canguilhem

Comme je relisais l'ouvrage classique de Canguilhem ainsi que le travail de Duyckaerts sur la normalité j'ai eu la chance de recevoir la lettre du Dr Postel m'annonçant un congrès sur ce sujet. Il s'agissait de la réunion de commémoration de l'oeuvre de Canguilhem. Le hasard parfois fait bien les choses.

Les concepts clefs, les concepts fondamentaux qui constituent la source de toute réflexion psychiatrique sérieuse reviennent au devant de la scène. Ce sont essentiellement les préoccupations éthiques, les questions de méthodologie et d'épistémologie dont la psychiatrie ne peut faire l'économie.

Nous observons en contrepartie une vague déferlante de travaux sur les neurotransmetteurs. Ceux-ci charrient le pire et le meilleur! Le pire ce sont les milliers d'articles sur les TOC et le meilleur c'est la connaissance des cibles biochimiques pour affiner le traitement des psychoses schizophréniques.

J'étudiais donc les deux merveilleux ouvrages sur le normal et ma conviction d'une très grande affinité entre la méthode psychiatrique et la réflexion philosophique se trouvait renforcée. Les connaissances encyclopédiques du Dr Canguilhem font notre admiration. Bien que l'encyclopédisme soit un grand obstacle je me demande parfois si un tel cursus ne devrait pas être requis de l'ensemble des psychiatres!

Qu'est-ce que la normalité?

Nous disposons en médecine d'une référence obligée à Canguilhem: "Le normal est la diminution de la marge de tolérance aux variations du milieu". Peut-on reprendre cette notion en psychiatrie? La psychiatrie classique distingue nettement les sujets normaux des patients atteints de pathologies névrotiques, psychotiques, psychopathiques et démentielles. Dans maints traités psychiatriques d'avant guerre, il est vrai, les névroses avaient à peine droit de cité. La pratique de la psychanalyse a beaucoup contribué à étoffer et enrichir la nosographie. Mais avec elle apparaît un nouveau concept, celui de "la pathologie du sujet normal"! Dans la pensée psychanalytique les conflits névrotiques concernent tout un chacun.

La pensée psychiatrique actuelle a évolué dans un tout autre sens. Elle décrit de multiples formes de passage de la normalité à la pathologie, elle tente de repérer des critères pertinents du normal au pseudo-normal.

Bref nous sommes tous insensiblement emmenés dans la direction de la philosophie immémoriale du Dr Knock. Chacun dans la cité est un malade mental qui s'ignore!

Autre remarque importante, bien connue des rédacteurs de certificats, en particulier des experts, il paraît impossible de rédiger un certificat psychiatrique de normalité psychique. Avouez que dans certains cas d'espèce c'est bien dommage!

2) Les composantes du normal.

a) Essayons de définir la notion d'intégration: tenir ensemble les éléments discontinus de la personne.

La psychanalyse ne méconnaît pas cette notion. L'école américaine, par exemple, donne beaucoup de valeur aux fonctions d'intégration du moi.

La psychologie et la psychiatrie empruntent leurs conceptions de l'intégration à la physiologie. Le raisonnement est purement antonymique. L'intégration psychique est comparée et opposée aux mécanismes désintégrateurs apparents dans la schizophrénie et l'hystérie.

b) L'autonomie trouve sa source dans le droit pénal. Ici le normal s'oppose au pathologique en termes de responsabilité. Le discours juridique fait lien entre le sujet normal, le responsable et l'autonome.

La psychologie et la psychiatrie déploient autour du concept d'autonomie un discours très proche de la philosophie. Elles dissertent toutes deux sur l'autonomie par rapport à soi-même. Comment discerner entre le déterminisme absolu et la liberté absolue du sujet? Normalement l'individu donne un sens, une signification à l'ensemble de ses fonctions et de ses pulsions. Celui qui se laisse agir n'est donc pas suffisamment autonome.

La psychiatrie est plus à l'aise à propos de l'autonomie par rapport à autrui. La dépendance en est le grand critère, parfois signe de vitalité d'autres fois signe de déficience.
-L'adaptation enfin constitue également un critère d'opposition entre le comportement normal et adulte d'une part et l'infantilisme ou la dépendance d'autre part.
L'homme moyen est une notion difficile à préciser. Pour les uns existe un équivalent synthétique a priori entre le normal et la moyenne. D'autres imaginent une équivalence a posteriori.

3)Les exposés du colloque.
Il s'est donc tenu à l'Hôpital Sainte Anne à Paris le 4.12.93. Cinquante après l'édition de la thèse, "Essai sur quelques problèmes concernant le normal et le pathologique" le débat demeure très vivant. Réfléchir sur le normal et la pathologique nous permet de nous écarter quelque peu de nos activités cliniques habituelles.
Canguilhem donc dans sa thèse célèbre de 1943 montrait que la normalité en médecine était assez insaisissable. En tous cas ce ne sont pas les moyennes statistiques des examens de laboratoire qui nous mènent à la normalité. Ce n'est là qu'un instrument partiel de la connaissance clinique de la normalité. Il concluait qu'au fond le pathologique est "la diminution de la marge de tolérance aux variations du milieu".

J'ai noté quelques unes des meilleures interventions: celle du Pr François DAGOGNET ("Qu'est-ce que la physiologie selon G.Canguilhem?"), celle du Dr LANTERI-LAURA ("Le normal et le pathologique du point de vue de la psychiatrie"). Lantéri nous a montré comment on était passé du concept de folie à celui de vésanies, puis à celui de démence, d'aliénation mentale et enfin à celui de maladie mentale. Le Pr Péquignot qui est interniste a retracé ses souvenirs de médecine.
"Etre malade c'est encore vivre et vivre même plus intensément". Cette idée de Canguilhem était déjà présente chez Durckheim quand il étudie le mode de vie des gens dans sa célèbre thèse sur le suicide! Il n'y a pas de norme valant pour tous les individus. Une norme doit être rattachée à l'histoire singulière du sujet. Tout est affaire de situation".

Le Pr François DAGOGNET: "Qu'est-ce que la physiologie selon G.Canguilhem?". La biologie révolutionnaire a aussi été celle des révolutionnaires. La science a donc une facette historique. La mensuration est une épistémologie du contrôle, théorie qui a été fortement développée par Michel Foucault. Nous devons nous méfier de la fétichisation du numérique. Canguilhem, étudiant des anomalies de la tension artérielle, décrit le cas clinique d'une gouvernante de famille bourgeoise qu'on emmène chaque année à la montagne. Elle ne supporte pas cela en raison de ses à-coup tensionnels..

Le Dr LANTERI-LAURA "Le normal et le pathologique du point de vue de la psychiatrie". L'auteur nous montre comment on était passé du concept de folie à celui de vésanies, puis à celui de démence, d'aliénation mentale et enfin à celui de maladie mentale. Dans l'article 64 rédigé en 1904: le dément ou l'aliéné doit bénéficier du non-lieu. C'est avec Claude qu'on passe de l'aliénation aux aliénations mentales, du singulier au pluriel. Falret en 1854, Bleuler en 1926 au Congrès de Lausanne puis surtout à partir de Magnan et de Freud émerge des distinctions pertinentes fort nettes entre de nouvelles structures: normalité, névroses, idioties, et psychoses.

J'ajoute, pour ma part, qu'en psychiatrie le concept de normalité est encore plus insaisissable qu'en médecine interne. Ainsi d'un point de vue pratique, en expertise du dommage psychique, il est impossible de rédiger un certificat de normalité autrement qu'en louvoyant: "Il ne présente aucune affection psychiatrique", ou bien "Il n'y a ni délire ni hallucination etc."

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