Bulletin de psychiatrie
(parution semestrielle ou annuelle)
Bulletin N°20
Edition du 7 avril 2011
   Mise à jour du 18 août 2011 version 180811

LES CLASSIFICATIONS EN PSYCHIATRIE


Dr Ludwig Fineltain
Neuropsychiatre
Psychanalyste
Paris

E-mail: fineltainl@yahoo.fr
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Taverne coll.pr.      
Taverne coll.pr.       Brouillet
La leçon de Charcot


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Les classifications en psychiatrie


   

SOMMAIRE - - Définitions de concepts fondamentaux - - Les sources des classifications psychiatriques - - Composantes de la nosologie - - Histoire des classifications - - Les modernes - - Les débuts du DSM - - Du DSM-I au DSM-II - - Le DSM-III - - Du DSM-III-r au DSM-IV-TR - - Le DSM-V - - Axiologie: CIM & DSM - - Abandons et affirmations - - Trajectoires de pathologies célèbres - - DSM dans l'enseignement - - Les manuels après le DSM - - Usages secondaires du DSM - - Des critiques - - Les motifs - - Evénements déclencheurs - - Psychanalystes et nosologie - - Effets de label - - Les fondements: les maîtres mots athéorisme, validité, fiabilité - - Conclusion - - Bibliographie


   

Exergue


    Chez moi, je me détourne un peu plus souvent à ma librairie, d’où tout d’une main je commande à mon ménage. Je suis sur l’entrée et je vois sous moi mon jardin, ma basse cour, ma cour, et dans la plupart des membres de ma maison. Là, je feuillette à cette heure un livre, à cette heure un autre, sans ordre et sans dessein, à pièces décousues; tantôt je rêve, tantôt j’enregistre et dicte, en me promenant, mes songes que voici. -Montaigne Les Essais De trois commerces-

   

Définitions de concepts fondamentaux


    Les classifications en psychiatrie reposent sur la nosologie psychiatrique qui précise les critères de différenciation des troubles mentaux. Une nosographie médicale est très fiable quand le classement repose sur une étiopathogénie spécifique. Cette exigence est beaucoup plus aléatoire en psychiatrie. Nous savons que la démarche diagnostique est une étape essentielle auprès des patients. La déontologie est très claire à cet égard. La médecine requiert la reconnaissance de la nature et de l'origine du mal pour le soigner d'une manière adéquate. Le diagnostic isole une maladie à la faveur d'un examen clinique. La maladie est une entité extrêmement classique en médecine. Elle a une aussi grande pertinence en psychiatrie. Le substratum anatomo-physiologique en psychiatrie n'est pas requis pour définir une maladie. Ainsi la schizophrénie est-elle une maladie authentique sans pour autant que nous ayons une connaissance assurée d'un substratum anatomophysiologiques ni d'ailleurs d'autres mécanismes étiologiques. En médecine interne les catégories les plus fréquentes sont les syndromes et les maladies. En psychiatrie le syndrome est plus souvent invoqué qu'en médecine interne. Un syndrome est un ensemble de signes et de symptômes répondant à un état pathologique donné. La fréquence des corrélations suffit à justifier la nomination d'un syndrome évoquant souvent son inventeur comme par exemple en médecine interne le syndrome de Pancoast-Tobias. En psychiatrie le syndrome répond à une définition plus complexe. L'expérience clinique et la corrélation jouent évidemment un rôle important. Nous connaissons tous par exemple le syndrome de Cotard ou bien le syndrome catatonique. Le terme «trouble psychique» issu de «disorder» est un américanisme qui n'avait pas grande pertinence dans la nosologie européenne traditionnelle. Et cependant il s'est désormais durablement acclimaté depuis le succès des DSM. Le DSM comme la CIM ont été élaborés par un consensus d'experts. On constate un effort constant de synchronisation entre ces deux classifications. Le traité est un ouvrage qui décrit quelques parties de la science médicale. Le manuel est un livre qu'on doit pour ainsi dire toujours avoir sous la main parce qu'il expose l'essentiel des connaissances sur la matière sans oublier les méthodes de traitement.
   

Sources lointaines des classifications psychiatriques


    Les classifications sont donc apparues avec les taxinomies des botanistes du XVIIIème siècle et en particulier celle de Linné. La taxinomie est une partie de la botanique qui traite des classifications des plantes et d'une façon générale des règles qui régissent méthodes et systèmes. La classification peut être fondée sur l'ensemble des caractères mais aussi sur la considération d'un seul caractère. La classification dit les règles tandis que le classement en est la concrétisation. La classification des maladies se dit aussi nosologie. Mais considérons aussi une seconde source majeure contemporaine de la pensée classificatoire. La naissance de la civilisation industrielle a encouragé le mouvement de pensée de physiciens exceptionnels. La loi des octaves de Newlands en 1864 et surtout le célèbre tableau périodique des éléments de Mendeleev en 1869 sont les grands moments de cette histoire. Cette grille des atomes obéit au numéro atomique et non pas à la masse ni aux propriétés physiques. Et enfin le chimiste anglais Mosley en 1914 confortait cette périodicité des éléments. Les chercheurs ont toujours été obsédés par les harmoniques. Je rappelle qu'à une courbe sinusoïdale décomposée en série de Fourier répond une multiple de la fondamentale. Einstein admirait Newlands: «J'y vois la forme la plus haute de la musicalité dans la sphère de la pensée». En un certain sens la musicalité dans la sphère de la pensée s'oppose au jaillissement bergsonien. Et enfin une troisième source réside dans ce qu'il faut bien nommer la révolution numérique. L'ordinateur dès 1985 a facilité l'exploitation des données des DSM et des CIM. Dans un esprit tout différent il semble bien que la psychiatrie était aussi à la recherche d'un nouveau style.
    On peut repérer dans le DSM des sources classiques, celles de la psychologie et de la psychiatrie du début du XXème siècle, comme on les trouve dans les textes de Piéron, Binet et puis Janet. L'influence de la psychologie scientifique en psychiatrie est tout à fait évidente dans le DSM. Les items y remplacent les séries sémiologiques des classiques et les échelles d'évaluation y sont envahissantes. Nous entrons dans l'univers d'une sorte de psychométrie de la pathologie mentale avec l'appareil scientifique de la psychologie expérimentale de Piéron. On peut aussi rappeler à cet égard l'étonnant débat à propos de personnalités multiples. Ce symptôme en grande partie issu des travaux de Janet avait totalement disparu des nosologies européennes. Cette sorte de récupération de concepts un peu archaïques a d'ailleurs provoqué des remous et des démissions dans le comité de synthèse du DSM. Ces réflexions ne peuvent cependant diminuer les avantages remarquables des DSM et des CIM comme par exemple la possibilité d'instaurer un langage scientifique universel pertinent. Quelles que soient les critiques contre les DSM constatons qu'ils ont permis d'éliminer l'arbitraire de diagnostics hasardeux.
   

Les motifs des DSM


    Les motifs des nouvelles classifications répondent à deux ordres de critiques: les unes sont épistémologiques comme la scientificité et les autres sont circonstancielles. Les classifications psychiatriques aspirent à la scientificité de la médecine interne. Le DSM-III privilégie la méthode des critères et l'athéorisme. Ainsi par exemple dès les années 1970 aux Etats-Unis on veut une meilleure définition de la schizophrénie en repérant les symptômes en fonction de leur rang. Dès lors les critères «obligatoire, nécessaire ou suffisant» deviennent prioritaires pour élaborer le diagnostic. Dans le même esprit donne-t-on une grande importance au nombre des symptômes ainsi qu'aux critères d’inclusion ou d’exclusion. Cette démarche se prête à merveille à une formalisation dans un programme d’ordinateur. La définition de la schizophrénie a toujours suscité des discussions. Le programme CATEGO en 1973 sur ordinateur étudiant la schizophrénie se réfère aux données de l’Institut de Psychiatrie de Londres. Les malades hospitalisés à Londres et à New York: un patient avait deux fois plus de chances d’être diagnostiqué schizophrène par un psychiatre américain que par un anglais et deux fois plus de chances d’être diagnostiqué déprimé par un anglais que par un américain. La discordance des diagnostics de schizophrénie à Moscou et à Washington est encore plus sensible. L’extension excessive aux Etats-Unis du concept de schizophrénie était illustrée de manière éclatante. Le désir de résoudre les disparités des diagnostics devient donc absolument prioritaire. Cette première constatation est donc le reflet d'un vrai scandale scientifique. La seule constatation d'aussi grandes divergences de diagnostic justifiait les DSM. De là est né un mouvement de «re-médicalisation» de la psychiatrie clinique dans lequel on a vu un «retour à Kraepelin». Or le «néo-kraepelinisme» n'est pas fait pour déplaire aux psychiatres européens!
    Les divergences considérables des diagnostics ont donc justifié la mise en oeuvre des DSM et des CIM. Cette sorte d'hommage rétrospectif à Kraepelin s'accompagne d'une réaction assez ferme et presque violente contre les théories psychodynamiques et les postures anti-nosologiques comme en particulier celles des antipsychiatres. Le développement remarquable des psychotropes entre 1952 et 1990 a également bouleversé la nosologie. La qualité d'un traitement requiert une définition rigoureuse des maladies et une mesure exacte des symptômes à partir d'échelles psychologiques. L'évaluation de la symptomatologie aspire à devenir «opérationnelle». On y associe divers entretiens cliniques standardisés: le Schedule for Affective Disorders and Schizophrenia-Renard Diagnostic Instrument-RDI, le NIMH Diagnostic Interview Schedule-E, en Angleterre le Present State Examination-PSE, l'AMDP en Allemagne et puis en France et enfin à l’O.M.S. le Schedule for Assessment of Depressive Disc DAS. Les catégories nosologiques restreintes aboutissent au DSM-III de l'APA. La tendance agnostique ou a-théorique est affirmée et confirmée. Le DSM-III a dès lors l'ambition de devenir un véritable traité de sémiologie et de diagnostic. Ce document témoigne dans le même mouvement d'une sorte de fierté américaine basée sur le culte du mouvement et du changement. Le retour à la clinique est certain. Mais la mystique de la biochimie cérébrale est moins affirmée. «L'agnosticisme» est très net quand on refuse d’invoquer une pathogénie sans preuve comme par exemple l'endogène, le réactionnel ou le névrotique.
   
Des événements déclencheurs, des moments clefs politiques et sociologiques ont joué un grand rôle.
    Le mouvement romantique de mai 1968 a suscité des postures épistémologiques surprenantes. Une réunion à l'hôpital Sainte-Anne à l'instigation d'un groupe de psychologues cliniciens exposait la question suivante: «Ne doit-on pas contester radicalement et définitivement la nosologie psychiatrique?». Je me souviens que deux d'entre nous demeuraient perplexes devant la formulation de la question. Certains spécialistes rêvaient et rêvent encore d'un divorce entre psychiatrie et médecine! Tout ceci bien entendu transpirait la haine de la pensée universitaire. Mais d'autres épisodes plus tragiques ont joué un rôle déterminant. Les internements politiques criminels en URSS dans les années 80 à l'Institut Serbski demeurent dans nos souvenirs. De pseudo-psychiatres posaient des diagnostics «à la demande de la police du KGB ». L'étude de la validité de la «schizophrénie torpide» requérait un consensus international. Une comparaison fondée sur des diagnostics du DSM fut exigée des russes. Ce travail n'était pas facile! Nous connaissons dans toutes les classifications sérieuses des formes atténuées de schizophrénie. Ainsi en France le concept de "schizophrénie incipiens" possède-t-il une certaine pertinence. L'enquête sur les crimes psychiatriques soviétiques a popularisé le DSM!
    D'autres divergences ont joué un rôle important. L'évolution des psychoses infantiles est étudiée depuis les années 1950. Nous décrivions en France en 1970 une prévalence de 0.1‰ à 0.7‰. Si chez nous l'évolution favorable était de 5%, dans les pays anglo-saxons la guérison était à 40%. Nous ne parlions donc pas la même langue. L'obligation impérieuse d'élaborer des diagnostics raisonnables s'imposait à nous tous.
   

Les composantes de la nosologie


    Le classement des maladies mentales reposait en France et repose encore principalement sur la nosologie kraepelinienne. Le statut particulier des troubles psychiques oblige à considérer ce classement comme mouvant, évolutif et transitoire. Le statut de la psychiatrie est très particulier. Elle a subi depuis cent cinquante ans trois ou quatre révolutions: la nosologie, la psychanalyse, les avatars de la sectorisation et surtout la psychopharmacologie. La psychiatrie a eu droit à un mot d'esprit: «La plus littéraire des spécialités médicales». Quelques concepts fondamentaux sont au coeur des manuels, des nomenclatures et des classifications. Ce sont les symptômes, les signes, les syndromes et les maladies. - Les névroses sont repérées en psychiatrie parmi les quatre cadres nosologiques fondamentaux: névroses, psychoses, déséquilibres psychiques et démences. La définition de Janet est la plus juste: les névroses sont des maladies de la personnalité caractérisées par des conflits intrapsychiques qui inhibent les conduites sociales. Les principales d’entre elles sont la névrose d'angoisse, la névrose phobique, l’hystérie et la névrose obsessionnelle. Le psychanalyste désigne le symptôme névrotique comme un compromis entre désirs et défenses, expression d'un conflit intrapsychique dont les sources sont dans l'histoire de la prime enfance. - Les psychoses sont des maladies mentales majeures troublant gravement l'existence des malades dans leurs rapports avec eux-mêmes et avec le monde extérieur comportant l'altération de la conscience de soi, de l'aperception d'autrui et du monde extérieur, de l'affectivité, de l'intelligence, du jugement et de la personnalité. La traduction en est un trouble marqué du comportement extérieur le sujet vivant sa vie comme s'il était étranger à ce monde: on dit qu'il est aliéné. Il semble que la ligne de démarcation répond au degré de conscience que le sujet a de ses troubles. Les psychiatres conçoivent le concept de psychose dans un sens large recouvrant toute une gamme de maladies mentales dont la schizophrénie est le paradigme. Notons à cet égard que la schizophrénie est une pathologie fréquente: la prévalence dans la population est de 1% et elle représente 40 à 50% des malades mentaux internés dans les institutions spécialisées. Les distinctions majeures sont celles qui s'établissent entre névroses, psychopathies, psychoses et démences. Pour les psychanalystes la psychose est repérée pour autant qu'il y ait accès ou non à la cure analytique. La psychanalyse souligne parmi les psychoses quelques structures emblématiques: paranoïa et schizophrénie, mélancolie et manie. Le dénominateur commun est ici la perturbation primaire de la relation libidinale à la réalité. Les délires sont des tentatives secondaires de restauration du lien objectal. Freud dans un premier temps repère la projection puis le narcissisme, puis la rupture entre le moi et la réalité. La psychanalyse bien entendu échoue à penser la psychose parce que celle-ci n'est pas en réalité au centre de ses préoccupations. La phénoménologie jaspersienne de son coté oppose le processus ou le processuel du côté de la psychose à la compréhensibilité du côté des troubles névrotiques. - Les troubles de la personnalité se réfèrent aux classiques «Personnalités pathologiques», exagérations morbides des traits de la personnalité normale. Les classifications les plus précises sont d'une part celle de Kretschmer et d'autre part celle de la caractérologie psychanalytique. Ainsi distingue-t-on les personnalités névrotiques (personnalités hystérique, psychasthénique, phobique ainsi que la névrose de destin) et les personnalités psychotiques (personnalités cyclothymique et schizoïde). Elles représentent une catégorie nosologique intermédiaire distincte des névroses, des psychoses, des oligophrénies et des états démentiels. - Quant au syndrome borderline ou état-limite, état clinique frontière entre la névrose et la psychose, il est considéré désormais comme une entité clinique à part entière. J'ai proposé en 1996 de le nommer styxose. Sa réalité me paraît incontestable mais on tente sans cesse d'en donner une nouvelle définition satisfaisante. Les symptômes principaux sont la dépression, des états d'exaspération, des troubles des relations interpersonnelles et un sentiment douloureux de vide intérieur et de solitude. On a apparenté ce syndrome aux préschizophrénies, aux schizophrénies incipiens, aux déséquilibres et aux névroses atypiques. - Les déficits intellectuels et les détériorations mentales tardives pathologiques. - Les somatisations - Enfin les troubles mentaux compliquant les traumatismes, les septicémies ou les atteintes vasculaires cérébrales
   

Histoire des classifications


    La nécessité d'une classification des maladies mentales s'est imposée quand la confluence des pensées médicale, scientifique et philosophique a donné naissance à un corpus psychiatrique.
    La première classification pertinente des maladies mentales naît à la Renaissance avec l'archiatre Paolo ou Paul Zacchias, médecin expert de la Rota Romanae Curiae et son traité Quaestio medico-legales en 1651. Celui-ci divise l'ensemble des troubles mentaux ou amentia ou dementia en fatuitas (arriérations définies par l'âge mental), insania (délire sans fièvre) et frenitis (délire avec fièvre). Au XVIIIème siècle, les classifications des maladies vont s'inspirer du botaniste Linné. Boissier de Sauvages cite Sydenham: «Il faut réduire toutes les maladies à des espèces précises avec le même soin et la même exactitude que les botanistes ont fait dans le Traité sur les plantes». Dans sa Nosologia methodica sistens morborum classes genera et species juxta sydenhami mentem et botanicorum ordinem il décrit l'ensemble des troubles: Les hallucinations: vertige, berlue, bévue, tintouin, hypocondrie, somnambulisme - Les bizarreries: appétit dépravé, boulimie, soif excessive, antipathie, nostalgie, terreur panique, satyriasis, nymphomanie, tarentisme, hydrophobie - Les vésanies: transport du cerveau, démence, mélancolie, démonomanie, manie, hypocondrie - Les folies anormales: amnésie, insomnie ou Anomalae vesaniae. Dans sa «Nosologie méthodique» en 1770 il traite de l'ensemble des maladies ou Vésanies subdivisée en 4 ordres: Hallucinations; Morisitates (bizarreries); Deliria (délires). Boissier fonde en somme la nosologie psychiatrique. William Cullen en 1785 et puis Philippe Pinel en 1798 dans sa «Nosographie philosophique ou méthode de l'analyse appliquée à la médecine» donnent naissance au concept de nosographie. En 1883 le «Traité des névroses» d'Alexandre Axenfeld sera suivi d'un grand nombre de traités psychiatriques. Ici le terme de névrose ne possède pas du tout le même sens que de nos jours.
    Puis ensuite à la fin du XIX° siècle l'Ecole Française de psychiatrie déploie ses fastes. On a coutume de désigner ainsi les travaux cliniques des aliénistes comme Lasègue, J.P.Falret, Baillarger, Morel, J.Falret, Jacques Magnan (1835-1916), maître de l'Admission à Sainte-Anne, Emmanuel Régis en 1885, Jules Séglas en 1895, Sérieux et Capgras, Henri Claude, Rogues de Fursac, le traité de Chaslin en 1913, Dide et Guiraud et enfin le traité de Lévy-Valensi en 1926. L'Ecole Allemande de psychiatrie réunit les psychiatres allemands et suisses du début du siècle qui ont élaboré la nosologie psychiatrique post-classique encore en usage de nos jours. Ce sont Heinrich Schüle, Krafft-Ebing, Auguste Forel, Westphal mais surtout le célèbre Kraepelin et enfin Bleuler et Karl Jaspers en 1913. Les traités psychiatriques sont la grande affaire du XIXème siècle. Benedict-Augustin Morel en France 1869 nous donne son «Traité des maladies mentales» basé sur une théorie des dégénérescences. Mais c'est surtout avec Emil Kraepelin en Allemagne et les huit éditions du traité entre 1883 à 1915 que naît une nosographie moderne d'une grande valeur historique. Les huit premiers chapitres concernent des folies organiques cérébrales et toxiques. Puis viennent ensuite les Démences endogènes à savoir le groupe de la démence précoce ou schizophrénie de Bleuler en 1911 et la folie discordante de P. Chaslin en 1912, l'Epilepsie, la Folie maniaque-dépressive, les Maladies psychogènes, l'Hystérie, la Paranoïa et puis les Etats pathologiques constitutionnels. Les classifcations ultérieures identifieront plus précisément les formes classiques et paranoïdes de la schizophrénie ainsi que les paraphrénies et les délires chroniques. Des moments remarquables de l'histoire des nosographies ont été en somme définis par l'éclosion des «Ecoles». Ces aliénistes au XIXème siècle se sont sentis assez sûrs d'eux et les traités ont traduit cette conviction. Ces grandes nosographies nationales de la fin du XIXème siècle devaient tôt ou tard susciter la composition d'une classification internationale.
    L'American Psychiatric Association en 1934 avait adopté une classification en 17 classes, prémices du DSM de 1952. On y observe l'apparition des psychoses de l'encéphalite épidémique, le regroupement des psychoses des maladies infectieuses, des psychoses séniles et des psychoses par affections cérébrales. La psychiatrie mondiale était donc dans l'attente d'une classification consensuelle. La date clef se situe en 1950 à la faveur du Congrès Mondial de psychiatrie. A la même époque le modèle biologique de la psychiatrie se renforce tandis que sont inventés les premiers neuroleptiques. La chlorpromazine apparaît en effet vers 1951. L'organicisme, du moins tout un courant de la psychiatrie que nous nommons ainsi, résulte bien entendu de l'importance circonstancielle de pathologies dévastatrices. Je veux parler des psychoses syphilitiques (paralysie générale et autres formes de syphilis nerveuse), des psychoses de l’encéphalite épidémique, des psychoses des maladies infectieuses (Tuberculose, Chorée aiguë etc.), des psychoses alcooliques (Delirium tremens, Korsakow, Hallucinose aiguë), des psychoses exotoxiques (intoxications par les gaz, les métaux, les stupéfiants, les psychoses traumatiques) et des psychoses par artériopathie. Henri Ey en 1955 met l’accent sur la nécessité de ne pas confondre les plans cliniques et étiologiques et préconise une classification biaxiale. II n'admettait pas une classification fondée sur une dichotomie entre névroses psychogénétiques et psychoses organogénétiques. Une classification, pensait-il, doit refléter l’ordre de la nature soit l’organisation de la vie psychique que sa désorganisation dévoile. Tous ces grands principes sont repris dans son célèbre «Manuel de Psychiatrie» en 1960. Nous étions et en réalité nous demeurons encore dans une psychiatrie nourrie de théories explicatives. Henri Ey organisant en 1954 le premier congrès mondial de psychiatrie souhaitait vivement cependant réduire les disparités des diagnostics psychiatriques.
    L'INSERM a élaboré en 1968 «une classification française des troubles mentaux» tenant compte de la CIM-8. Mais à la même époque et surtout au congrès d'Honolulu en 1977 la dénonciation des crimes psychiatriques en URSS occupait nos esprits. Une motion a invité les nations à rendre leurs classifications compatibles avec la CIM-9 et son glossaire. Ainsi la catégorie «295.5 schizophrénie latente», abîmée par les crimes psychiatriques soviétiques, est-elle contestée. C'était en somme la 2ème fois dans le siècle que des idéologies criminelles abîmaient la pensée psychiatrique! Les débats furent donc très vifs. Je tiens à préciser que ce contentieux perdure! J'ai constaté en l'an 2000 que les mêmes psychiatres criminels avaient conservé leurs fonctions à l'Institut Serbski!
    D'autres pays bien entendu possédaient leurs propres classifications. En Amérique latine, une étude brésilienne en 1954 porte sur 1187 cas cliniques hospitalisés: Psychoses infectieuses (0,77%), Psychoses autotoxiques (8,70%), Psychoses exotoxiques (4,90%), Démences précoces (14%), Délires systématique, Paraphrénies (6%), Paranoïa (3%), Psychoses d’involution (2,90%), Psychoses par lésions cérébrales (11,70%), Psychoses maniaco-dépressives (7,80%), Paralysie générale (3,5%), Psychoses épileptiques (13,30%), Névroses (11,7%), Psychopathies constitutionnelles (0,12%), Arriérations (11,5%,). Ainsi la schizophrénie (démences précoces) y représente-t-elle 14% alors que dans d'autres pays de grande culture psychiatrique, dans les services spécialisés, elle atteint 50%. L'examen du sens de cette discordance s'imposait à nous tous!
   

Les modernes


    La classification d'après le Manuel de Henri Ey, Bernard et Brisset constitue pour l'ensemble des spécialistes européens une sorte de référence. En voici le résumé: -Parmi les maladies mentales aiguës notons les psychoses délirantes aiguës et les psychoses confusionnelles. -Parmi les maladies mentales chroniques notons: -Les névroses et la personnalité névrotique dont la névrose obsessionnelle et l'infiltration psychotique -Les psychoses délirantes chroniques. Notons le groupe des délires chroniques systématisés dont les délires passionnels et de revendication, le délire sensitif de relation de Kretschmer, le délire d'interprétation de Sérieux et Capgras, les psychoses hallucinatoires chroniques et les délires fantastiques. Je rappelle ces particularités françaises à quoi nous sommes très attachés comme les «délires d'imagination» de Dupré et Logre ou les «paraphrénies» de Kraepelin - Les psychoses schizophréniques - Les démences et les arriérations mentales achèvent de constituer un corpus devenu très classique.
    Je pose d'ores et déjà un axiome. La nosologie de Henri Ey constitue une nosographie de référence contemporaine au même titre que les deux classifications internationales. La dispute scientifique oppose très tôt en 1951 la classification de Henri Ey et celle de l’APA à propos de la disparition de la notion de névrose. Henri Ey veut une taxinomie internationale. Mais le courant psychiatrique «sociologique» et statistique contemporain fait la part très pauvre aux névroses mais aussi aux variétés des psychoses qui sont la substance vive de la psychiatrie (*). A la même époque le Pr Pichot s'intéresse très tôt au DSM et à la CIM en particulier depuis les colloques de Zurich en 1957. L’élaboration d’une nomenclature internationale m'est toujours apparue prioritaire. On peut regretter que la communauté des psychiatres français n'y ait pas plus participé. Seul un petit nombre d'auteurs français y ont apporté leur concours. Mais des auteurs comme le Pr Pichot sont assez isolés. Ils entretiennent avec ce qu'on peut nommer l'Ecole Française de Psychiatrie des rapports lointains et périphériques du fait d'une théorie neuro-humorale réductrice. Dans son excellent exposé historique en 1983 cet auteur permet cependant un survol assez précis des différents courants de la psychiatrie occidentale. Il scrute l'impact du DSM sur la culture psychiatrique française. Notons tout d'abord que l'influence du DSM fut en quelque sorte contrecarrée par une sorte de tir de barrage. L'ensemble des héritiers de l'Ecole Psychiatrique Française s'en méfie. Pourquoi cette posture? Elle s'inspire des trois sources de la psychopathologie française. La première source est bien entendu la glorieuse tradition nosologique de l'Ecole Française. Puis ensuite s'est développée dès le lendemain de la guerre une sorte d'idéologie de la psychiatrie de secteur. Si je procède à un examen rétrospectif je dirais que cette idéologie est tout d'abord un héritier du «colbertisme» du grand siècle et du centralisme jacobin. Mais le «secteur» a représenté plus que cela encore. Il a encouragé le courant intéressant mais un peu flou de «psychothérapie institutionnelle». Le mouvement de la psychiatrie de secteur a été très peu heuristique et c'est sans doute le grand reproche qu'on peut lui faire. Or la psychiatrie attend anxieusement de grands progrès thérapeutiques! Quant à la dimension militante du secteur, je dirais seulement que la psychiatrie est autre chose que le service social et que militer n'est pas soigner. Notons enfin l'influence forte mais très tardive en France de la psychanalyse et de ses avatars très particuliers sous nos climats. La plupart des psychanalystes, à titre individuel aussi bien que les institutions représentatives, se sont en quelque sorte dressés voire insurgés contre les DSM avec des arguments moyennement convaincants. La psychanalyse est bien entendu presque par nature volontiers «anti-nosologiste».
    Finalement quels que soient les arguments développés de tous cotés on ne saurait concevoir une psychiatrie scientifique sans réunir les trois apports que j'ai cités ci-dessus. Le courant de la nosologie psychiatrique, de la psychothérapie institutionnelle et de la psychanalyse. Ils sont tout autant au coeur de la psychiatrie vivante que la pharmacologie et les neurosciences.
   

Début des DSM


    Les DSM sont une classification américaine tandis que les CIM sont une classification internationale. L'Association Américaine de Psychiatrie comprend très tôt que le DSM supplantera la CIM qui a pourtant reçu une habilitation de l'OMS! Les sociétés nationales de psychiatrie continuent d'enrichir la CIM mais le coeur n'y est pas. La signification sociologique et politique de la prééminence des DSM par rapport aux CIM n'échappe à personne. L'explication est beaucoup plus subtile que certains l'imaginent! Je ne regarde pas un lieu de «majorité automatique» comme l'ONU ou l'OMS comme l'alpha et l'omega de la pensée scientifique! Cette observation pour moi évidente a-t-elle vraiment besoin d'un développement? Je ne le crois pas!
    Robert L.SPITZER, Président du Comité de l’American Psychiatric Association préparant le DSM-III, à la suite de Joseph ZUBIN, affine des recueils standardisés de la symptomatologie et un programme de diagnostic par ordinateur. Le DSM, notons le, est un enfant de la révolution informatique. Le projet de Spitzer est celui-ci: le minimum pour faire de la science psychiatrique consiste à parler de la même chose. Le concept de schizophrénie doit être suffisamment stable. Mais est-ce une motivation suffisante pour élaborer le DSM? Un autre déclencheur majeur fut la conviction absolue de l’inefficacité de la psychanalyse des psychoses. En outre en 1970 les hôpitaux psychiatriques américains accumulaient de scandaleuses erreurs de diagnostic. La plupart des psychotiques à la même époque avaient été désinstitutionnalisés. Spitzer concevait le DSM comme une réponse à une forme d'incompétence galonnée. Je considère quant à moi que ces arguments banaux n'étaient pas nécessaires pour justifier l’élaboration du DSM. Quoi qu'il en soit on ne guérit pas un schizophrène ni non plus un paranoïaque en le mettant sur le divan. C'était bien entendu un constat d'évidence puisque l'analyse ne fut pas conçue pour cela. Un bon analyste ne commet pas cette erreur là! Et pourtant je me souviens que de jeunes psychiatres en 1965 pensaient que leur psychanalyste personnel percevrait mieux la structure psychique des patients psychotiques que les cliniciens chevronnés de Maison Blanche! Cette forme de candide fatuité était détestable. Mais un autre courant de pensée non-analytique ou anti-analytique, je pense en particulier aux disciples du Pr Delay à Sainte-Anne, a été heureux de cette sorte de machine de guerre contre la psychanalyse! Mais en fait le système DSM n'avait aucun intérêt pour sa promotion de faire le procès de la psychanalyse.
    Les dates d'élaboration sont les suivantes: en 1948 CIM 6 & DSM-1, en 1968 CIM 8 & DSM-2, en 1974 CIM 9 & DSM-3, en 1987 DSM-3R, en 1994 CIM 10 & DSM-4, en 2000 DSM-4-r et enfin en 2013 DSM-5. Le DSM ou Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders ou Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux est donc né en 1948 avec son glossaire sous le parrainage de l'Association Américaine de Psychiatrie. Simple classification dans un premier temps il est devenu progressivement un véritable manuel. Une telle œuvre n'était possible qu'aux Etats-Unis. Elle requérait un long et laborieux travail de consensus entre une masse énorme de psychiatres bien formés, de statisticiens et de rédacteurs informatisés. C'est le mariage de la raison, du savoir, du nombre, de l'argent et de l'informatique. Le traité est syndromique et athéorique. Mais est-ce bien la première fois qu'un traité de psychiatre est athéorique? Probablement pas! Mais j'affirme cela avec quelque prudence. Il a existé dans ce même état d'esprit un langage du certificat d’admission conforme à la loi de 1838. Je rappelle les célèbres certificats d'HDT, des 24 heures et de quinzaine dans la loi de juin 1838 et notamment les merveilleux certificats de Clérambault de 1905 à 1917. Je pourrais citer de nombreux traités parmi lesquels celui de notre collègue Borel qui adoptait avec bonheur ce style quasiment a-théorique. Mais encore le DSM-III est-il une simple classification ou un véritable manuel? Question troublante! Existe-t-il une différence sensible? Le DSM aspire à être un bréviaire mondial des troubles psychiatriques créant un langage commun entre les spécialistes du monde entier. Le DSM-III-r a certainement facilité la recension des données pour les chercheurs. Les correspondances des codes du DSM et de la CIM se sont constamment affinées.
    Examinons à cet égard deux entrées caractéristiques du DSM-III: -Troubles Anxieux (ou Etats Névrotiques Anxieux et Phobiques). 300.01. Trouble Panique sans Agoraphobie 300.21 Trouble Panique avec Agoraphobie 300.22 Agoraphobie sans antécédents de Trouble Panique 300.29. Phobie Spécifique 300.23. Phobie Sociale spécifier si c'est généralisé (peur de tout contact sociaux) et -Troubles dissociatifs (ou névrose hystériques type dissociatif) 300.14 Personnalité multiple A Existence chez la même personne de deux ou plusieurs personnalités ou «états de personnalité» distincts (chacun ayant ses propres modalités de perception, de pensée et de relation concernant aussi bien la personne propre que l'environnement). B. Au moins deux des personnalités prennent tour à tour le contrôle total du comportement du sujet. On notait donc d'ores et déjà dans le DSM-3 la présence contestable de syndromes qui obéissent plus à la mode qu’à la réflexion psychiatrique. Mais venons à l'essentiel. L’agnosticisme du DSM-III repose sur des diagnostics purement descriptifs et syndromiques figurant sur les deux premiers axes. Cet agnosticisme s’est manifesté par le refus systématique d’employer des termes à implications étiologiques ou pathogéniques non démontrées empiriquement comme par exemple les termes endogène, réactionnel, ou névrotique. Nous découvrons chemin faisant quatre paradoxes des DSM qui ont autant d'importance que l'agnosticisme. 1) L'effacement de la névrose est certainement la grande affaire des DSM. La machine à détruire la névrose est d'ailleurs beaucoup plus visible que l'offensive anti-psychanalytique. Nous savons qu'à la veille du DSM-III des discussions tumultueuses en 1979 ont opposé divers spécialistes américains. 2) Un autre changement de cap est la limitation drastique du diagnostic de schizophrénie. Celle-ci se fait au profit des «troubles affectifs» ou affective disorders y compris la forme schizo-affective et d'une promotion des «troubles schizophréniformes» ou «schizophreniform disorders». Cette dernière entité comprend les «schizophrénies aigués» qui ressemblent tant à notre «bouffée délirante» et des «troubles de la personnalité» ou personality disorders comprenant entre autres la forme «borderline». 3) Enfin un paradoxe de plus vient nous surprendre. D'une façon générale les auteurs des DSM retrouvent les auteurs anciens que nous avions délaissés comme le Janet des personnalités multiples et le Kurt Schneider des structures de la personnalité. On reprend cependant à ce dernier la notion de symptômes de premier rang de la schizophrénie qui sont quasiment pathognomoniques. 4) J'ai signalé un quatrième paradoxe que je nomme le psychologisme des DSM.
   
Le DSM-I et le DSM-II (1952-1968). La seconde guerre mondiale a certainement modifié les traditions psychiatriques. La raison essentielle est la carence grave des dépistages psychiatriques auprès des victimes de cette guerre planétaire. J'en ai décrit les conséquences tragiques dans le Bulletin de Psychiatrie (*). La CIM ouvre une section des troubles mentaux tandis que le DSM-I en 1952 identifie 60 pathologies et le DSM-II 145 pathologies en 1968. L'influence psychanalytique y est encore apparente. Des controverses quasiment politiques naissent à propos de l'homosexualité jusqu'au retrait en 1973 de cette entité des manuels.
   

DSM-III


    Le «coefficient kappa» de fiabilité inter-juges va jouer un grand rôle. Ce coefficient avec ses deux formats, le kappa de Cohen et le kappa de Fleiss, anime l'histoire des DSM. L'ensemble de la taxinomie va en être affecté. L’idée centrale est celle-ci: le DSM-III produit de meilleurs coefficients kappa donc un meilleur accord inter-juges que le DSM-II. Le DSM-III intègre l’ensemble de ces perspectives. Ce manuel est désormais encore plus marqué par une attitude résolument agnostique vis-à-vis des concepts théoriques, étiologiques ou pathogéniques non démontrés. Le DSM-III aspire à être un véritable traité de sémiologie et de diagnostic. Il est tout à la fois une expression éclatante du «culte du changement», trait américain fondamental, et une indication d’un retour à la clinique. La posture est assez paradoxale face au vaste mouvement de recherche de la biochimie du cerveau. Le DSM-III privilégie une posture a-théorique et comportementaliste. La rupture est caractérisée par l'empirisme, le refus de plusieurs théories explicatives en particulier la psychanalyse. Le mode de classement s'inspire délibérément de la médecine interne. Fait remarquable, la distinction classique entre névrose et psychose tend à s'estomper. Des entités disparaissent ou bien sont morcelées en sous-catégories comme l'hystérie. D'autres émergent comme l'état de stress post-traumatique et le trouble de la personnalité multiple. Les critères diagnostiques quantitatifs assoient la fiabilité et la reproductibilité du diagnostic. Le processus le plus important c'est la validation par votes majoritaires des membres de l'Association américaine de psychiatrie. Cette méthode permet pour la première fois un appariement international des critères diagnostiques. D'un autre côté cette méthode démocratique, très critiquable pour cette raison, contrevient aux conceptions que je me fais d'une bonne et saine création scientifique. Les névroses définies au début du XXème siècle conformément au modèle freudien finiront donc par disparaître dans le DSM-III du moins sous cette dénomination alors qu'elles continuent à figurer comme une catégorie assez hétérogène dans la CIM-10 par exemple en F 40 et F 48 troubles névrotiques, troubles liés à des facteurs de stress et troubles somatoformes.
   

Du DSM-III-r au DSM-IV-TR


    Le DSM-III-R est publié en 1987. Six catégories ont été supprimées et d'autres sont rénovées. On y supprime «Troubles de l'identité sexuelle» intégré dans la catégorie des «troubles de la personnalité autrement non-spécifiés». On y conforte les troubles dysphoriques prémenstruels et les troubles de la personnalité masochiste. Des changements du DSM-III-r au DSM-IV sont éclairants. Ainsi par exemple le trouble autistique obéit-il à des exigences renforcées. On y incorpore les nouveaux syndromes ou troubles comme le syndrome de Rett, le syndrome de Heller, le syndrome d'Asperger et l’autisme atypique. Les déficits de l’attention requièrent des critères psychométriques renforcés. L'handicap scolaire va permettre de valider le trouble ADHD. En outre l’association entre l’ADHD et le trouble du comportement est confortée par des séries de tests, critériologie classique dans tous les DSM. Les tests psychologiques sont donc la méthode essentielle pour isoler les symptômes. Les catégories diagnostiques sont isolées comme on fait en psychologie différentielle depuis la naissance de la psychométrie. Examinons les 3 axes du DSM-III-R dans deux entrées caractéristiques: -Troubles Anxieux (ou États Névrotiques Anxieux et Phobiques). 300.01. Trouble Panique Sans Agoraphobie 300.21 Trouble Panique Avec Agoraphobie 300.22 Agoraphobie sans antécédents de Trouble Panique 300.29. Phobie spécifique 300.23. Phobie Sociale Spécifier si c'est généralisé (peur de tout contact sociaux) et -Troubles dissociatifs (ou névrose hystériques type dissociatif) 300.14 Personnalité multiple A Existence chez la même personne de deux ou plusieurs personnalités ou «états de personnalité» distincts (chacun ayant ses propres modalités de perception, de pensée et de relation concernant aussi bien la personne propre que l'environnement). B. Au moins deux des personnalités prennent tour à tour le contrôle total du comportement du sujet.
    Dans le DSM-IV les syndromes, les critères diagnostiques et la durée d'évolution sont repérés avec une plus grande précision sémantique. La classification multiaxiale reprend les 5 axes correspondant à ceci:
    • Les troubles communs de l'Axe I incluent dépression, troubles anxieux, trouble bipolaire, TDA, troubles du spectre autistique, anorexie mentale, boulimie et schizophrénie. • Les troubles communs de l'Axe II incluent les troubles de la personnalité: trouble de la personnalité paranoïaque, trouble de la personnalité schizoïde, trouble de la personnalité schizotypique, trouble de la personnalité borderline, trouble de la personnalité antisociale, trouble de la personnalité narcissique, trouble de la personnalité histrionique, trouble de la personnalité évitante, trouble de la personnalité dépendante, névrose obsessionnelle (psychanalyse) et retard mental. • Les troubles communs de l'Axe III incluent les lésions cérébrales et autres troubles médicaux physiques qui peuvent aggraver les maladies existantes ou symptômes présents similaires aux autres troubles. • Axe IV: Facteurs psychosociaux et environnementaux • Axe V: Échelle d'Évaluation Globale du Fonctionnement.
    Le D.S.M-IV a eu le même succès que le précédent. L'intérêt de cette classification est donc immense malgré la faiblesse du contenu séméiologique. Dans le même temps nous avons la 10ème révision de la CIM en 1992. La comparaison des deux classifications DSM et CIM est désormais facilitée. Le modèle DSM-III persiste mais une innovation apparaît: la tridimensionnalité. Une description tridimensionnelle de la schizophrénie («psychotique», «négatif» et «désorganisation» en annexe). La majorité des troubles de la CIM-10 se trouvent sur l'axe 1 (sauf la personnalité schizotypique F21. évaluée sur l'axe 2 du DSM-4-r). Certains des qualificatifs de la CIM-10, comme le fait que le trouble soit réactif à un facteur de stress doivent être côtés sur d'autres axes (le 4 dans cet exemple). Quant à la révision DSM-IV-TR, elle est publiée en 2000.
   

Le DSM-V


    Le DSM-V en préparation promet de modifier renouveler sensiblement les théories de la personnalité. Mais encore une fois l’élaboration et la validation des critères de l'autisme suscitent des critiques. J’en déduis ceci: la position athéorique ne résout pas la question fondamentale de la causalité. Examiner ce syndrome devrait consister à tenter d'en comprendre la genèse! Si je me prive de théorisation alors je projette la difficulté sur le terrain de la clinique. Ici le diagnostic d’autisme ne devient ni plus aisé ni plus pertinent ni mieux validé. L'ADHD est l'objet de constants remaniements compte tenu des handicaps scolaires que les états d'Amérique du Nord imputent au syndrome.
    L'influence considérable des sexologues sur le DSM ne saurait cependant me déplaire puisque j'ai contribué à installer cette discipline en France entre 1972 et 2000. Ils contribuent à étoffer dans le DSM-III la définition du transsexualisme comme «Gender Identity Disorder» et «dysphorie de genre» dans le DSM-III-R. Les pressions des associations ont effacé l'homosexualité de la liste des pathologies quand elle n'est pas «ego-dystonique». L'influence des sexologues se voit encore dans des entités comme le masochisme sexuel, les inhibitions du désir sexuel et les inhibitions de l'orgasme féminin. Le terme «perversion» y est remplacé par «paraphilie». Le trouble paraphilique coercitif obéit plutôt à des effets de mode. Le trouble d’hypersexualité est beaucoup plus intéressant. L’extension de la notion de pédophilie incluant «l’attirance sexuelle pour les grands adolescents» me paraît problématique. De même doit-on discuter la multiplication des addictions comportementales dans la section des toxicomanies comportant par exemple le jeu pathologique. Ceci répond à une mode également très vive en France. Ainsi en est-il de l’addiction à Internet. J'avais déjà décrit jadis comment ce canular créé par le Dr Yvan Goldberg vers 1988 à New-York avait débouché sur des conclusions ridicules et dangereuses. Des corollaires comme les «addictions» aux achats, au sexe, au travail, à l’utilisation de la carte de crédit, aux jeux vidéo et même à la lecture sont à prévoir sous la rubrique générale des «addictions comportementales non précisées autrement». C'est tout simplement absurde!
    Le système multiaxial est modifié. On constate la suppression assez légitime de cinq des troubles de la personnalité: paranoïaque, narcissique, histrionique, dépendant, schizoïde. Améliorer la compatibilité entre la CIM-11 et le DSM-V demeure un souci prioritaire. De nouvelles catégories diagnostiques cependant stigmatisent des manifestations extrêmement fréquentes dans la population générale. Le «syndrome de risque psychotique» pourrait avoir un taux de prévalence considérable. La classique crise d'originalité juvénile décrite par le psychologue Debesse pourrait donc induire le clinicien en erreur! Est-ce une stratégie de prévention pertinente? Ce n'est pas certain. Et encore et toujours le trouble mixte anxio-dépressif: les critères sont très peu spécifiques. Deux semaines d’humeur dépressive, la perte d’intérêt pour une quelconque activité, l’insomnie, la perte d’appétit et la difficulté de concentration après la perte récente d’un conjoint constitueraient un trouble mental! Il sera donc fréquemment invoqué dans le DSM-V. La médicalisation du deuil normal est une absurdité et cependant elle est déjà à l'oeuvre dans des écrits psychiatriques en France. Le seuil pathologique des troubles neurocognitifs mineurs a été abaissé. La détérioration mentale tardive physiologique est promue comme un symptôme? C'est très contestable. Enfin les troubles dysfonctionnels du caractère avec dysphorie sont une nouveauté qui peut conduire à une médicalisation des accès de colère. Les effets médico-légaux de ce diagnostic pourraient être considérables. Ce n'est donc pas tant la nouveauté des propositions du DSM-V qui fait problème mais la posture réceptive, docile et presque obséquieuse des auditeurs. Je veux parler des psychiatres américains qui transforment un écrit indicatif en codex! Cette posture, Dieu merci, n'existe pas encore en France. Mais prenons-y garde: sans doute notre avenir se dessine-t-il ainsi. L'abaissement des seuils d'autres pathologies sont très critiquables. Ainsi les nouveaux critères des ADHD vont-ils aggraver les excès antérieurs. Elever l’âge de l’apparition du trouble de 7 à 12 ans, asseoir le diagnostic sur la seule présence de symptômes sans handicap particulier, réduire le nombre de symptômes requis pour les adultes vont dans le même sens, c'est à dire dans le sens d'une exagération ou même d'un abus. Le DSM-V permet en outre le diagnostic d’ADHD dans l’autisme. J'imagine que cette posture risque d’indiquer des psychotropes stimulants très critiquables chez l'autiste. Le «spectre autistique» était d’ailleurs pour moi une sorte de marqueur des DSM. Le syndrome d’Asperger, fort heureusement, disparaîtra dans cette nouvelle édition.
   

Etude N°1 Composition des classes ou axiologie
    Critères et compatibilités


    Quelles doivent être les exigences d'une classification internationale? Elle doit être exhaustive et elee doit présenter de bonnes définitions. Elle doit être attrayante, fiable et elle doit s'eforcer de préserver les acquis antérieurs. Elle doit être compatible avec les classifications antérieures comme par exemple le système de protection sociale et les suivis épidémiologiques en cours.
    Etudions la structure d'un code CIM-10. Les chapitres F concerne les troubles mentaux et du comportement.
    La CIM 10 ne propose que les quatre premiers caractères. Sur cet exemple, le code utilisé sera F-20.10 La CIM 10 a une vocation statistique. Aspirant à l'exhaustivité, elle répond assez bien aux requêtes de la santé publique. Prenons l'exemple de la schizophrénie:
    F Troubles mentaux et du comportement - 2 Schizophrénie, trouble schizotypique et troubles délirants - 0. Schizophrénie - 1 Type Hébéphrénique - 0 Evolution continue. La CIM 10 propose donc quatre caractères. Sur cet exemple, le code utilisé sera F.20.10. Le 0 situé à la fin n'est pas donné par la CIM-10 mais par des conventions acceptées par la spécialité.
    Les classifications internationales ont tellement mis l'accent sur la reproductibilité inter-juges, que cette dernière passe même avant la validité des catégories. Pour obtenir le maximum de reproductibilité, l'accent a été mis sur les critères opérationnels qui permettent à tout le monde d'arriver aux mêmes diagnostics. Ainsi chaque définition comprend des critères d’inclusion et des critères d’exclusion précis pour mieux cerner la décision. Les symptômes sur lesquels reposent ces critères doivent être faciles à identifier, c'est-à-dire qu'il est aisé d'en déterminer la présence ou l'absence comme jadis les symptômes de premier rang de Kurt Schneider.
    La CIM (Classification Internationale des Maladies), ICD (International Classification of Diseases), élaborée par l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé en est à sa 10ème version, publiée en 1992. Une nouvelle version (la 11) a été planifiée pour 2010. Le chapitre 5 concerne la classification internationale des troubles mentaux et des troubles du comportement. La classification a été obtenue après revue de la littérature, par consensus d'experts de différents pays, réunis sous la houlette de Norman Sartorius.
    Examinons les compatibilités entre les DSM et la CIM:
    Code CIM-10 DSM-4-r
    F21. Trouble schizotypique Personnalité schizotypique (axe II)
    F22. Troubles délirants persistants Trouble délirant (axe I)
    F24. Troubles délirants induits Trouble psychotique partagé (axe I)
    F33. Trouble dépressif récurrent Trouble dépressif majeur récurent (axe I)
   

Affirmations, abandons et modifications


   
Les trajectoires de pathologies célèbres nous content la disparition d'un monde nosologique. Des pans entiers de la nosologie disparaissent en effet sous nos yeux en particulier une grande quantité de névroses et une partie des délires aigus. Les névroses jouent un rôle important dans notre nosologie traditionnelle. Elles cristallisent une définition moderne enrichie par le modèle psychanalytique. Or elles vont disparaître dans les DSM. Plus exactement un effet de transmutation s'opère pour les effacer dès le DSM-3 en 1980 tandis qu'elles persistent dans la CIM-10 en 1992 (dans F40, F48: troubles névrotiques, troubles liés à des facteurs de stress et troubles somatoformes).
    Quand un diagnostic est rarement évoqué par les psychiatres, les classifications internationales en effacent la substance c'est à dire aussi bien le mot que le contenu. Les processus d'adoption et d'effacement des entités nous intéressent donc au plus haut point. Le choix démocratique joue ici un rôle surprenant! Les rédacteurs de manuels de psychiatrie suscitent l'admiration. Mais je prône le travail d'un psychiatre plutôt que les ouvrages aux trente signatures! La suppression du terme névrose est un moment majeur du développement des classifications. Le rejet des conceptions psychodynamiques en est-il la seule raison? Nous savons qu'à cet égard en 1979 les discussions au sein du groupe de travail du DSM furent assez mouvementées. Mais voici un paradoxe de plus, celui de la schizophrénie. Le DSM restreint massivement le diagnostic de schizophrénie au profit des «troubles affectifs» ou «affective disorders» incluant la forme schizo-affective, au profit des «troubles de la personnalité» mais aussi au profit de l'entité «troubles schizophréniformes» incluant les «schizophrénies aiguës». Du même coup se trouvent effacées aussi les formes cliniques des délires aigus comme la «bouffée délirante» française.
    Examinons donc le destin de quatre catégories nosologiques psychiatriques traditionnelles dans les nouvelles classifications: les paraphrénies, la bouffée délirante aiguë, la PHC et enfin les personnalités multiples que nous avons vu renaître et légitimement disparaître.
    I. Les paraphrénies.- On nomme «délire fantastique» le délire central de la paraphrénie également nommé autrefois délire d'imagination de Dupré. La paraphrénie est un composition originale. C'est un délire riche et fantastique coexistant avec une vie quasi normale en société. A propos de la «paraphrénisation de la schizophrénie» on a voulu désigner de cette façon l'évolution améliorée de la psychose schizophrénique dans un sens plus adaptatif. D'une façon plus générale on parle encore de la paraphrénisation d'une psychose délirante. Faut-il une révision du concept de paraphrénie? Je ne le pense pas. La paraphrénie a été comparée à tort par nos collègues américains à la schizophrénie paranoïde. Mais les capacités d'adaptation sociale, l'intelligence et les affects de ces patients sont préservés. Ce diagnostic en réalité est pertinent. Son absence dans le DSM fait en sorte qu'on l'apparente à tort selon moi à la psychose atypique, au trouble schizo-affectif ou au trouble délirant. Ainsi naît un nouveau reproche. Les processus psychotiques sont travestis par des euphémismes. En réalité cette entité conserve toute sa validité. Le pronostic est d'ailleurs tout à fait différent des schizophrénies paranoïdes. Il n'est donc pas raisonnable de l'effacer de nos nosologies à des seules fins de compatibilité avec les formats du DSM-IV ou de la CIM-10.
    II. Bouffées délirantes aiguës.- La bouffée délirante est une forme clinique bien connue des psychoses délirantes aiguës. Le délire «jaillit violemment avec l'instantanéité d'une inspiration» dit Magnan. Survenue brutale d'un délire temporaire. On a coutume de distinguer dès l'origine la bouffée délirante de bon pronostic de la forme délirante aiguë de la schizophrénie qui est bien entendu de mauvais pronostic. Dans un syndrome très proche la psychose confusionnelle ou confusion mentale la conscience est obnubilée ou stuporeuse jusqu'à l'apparence du coma. S'y associent la désorientation temporo-spatiale et le délire onirique. La stupidité de Georget comme aussi le terme de confusion mentale primitive désignent la psychose confusionnelle. Enfin les concepts outre-atlantique des schizophrénies aiguës sont venus en quelque sorte contredire nos bouffées délirantes et bouffées confuso-délirantes. Tout cela nécessitait une comparaison plus pertinente des concepts. Le DSM résume et intègre les variantes cliniques. La psychose aiguë et transitoire de la CIM et le trouble psychotique bref du DSM correspondent peu ou prou à la bouffée délirante de Magnan et à la psychose confusionnelle ou à la psychose confuso-délirante. Nous voyons dans le DSM deux diagnostics, le trouble psychotique bref et le trouble schizophréniforme: les critères temporels y jouent un rôle un peu plus grand que dans notre nosologie classique. La CIM-10 classe les bouffées délirantes parmi les troubles psychotiques transitoires. Dans notre nosologie les étiologies des bouffées délirantes peuvent être le traumatisme affectif majeur mais d'autres fois rien n’est repérable. On peut également mettre en évidence une étiologie organique précise (alcool, amphétamines, LSD, post-opératoire, accouchement etc.). Toutes les causes de confusion mentale peuvent entraîner une bouffée délirante. On en reconnaît les formes cliniques: il s'agit souvent d'un délire et d'hallucinations polymorphes. Le délire est vécu dans une adhésion totale. La guérison se fait en quelques jours ou semaines. Le sujet récupère totalement. Mais dans 50 à 70% des cas elle récidive.
    III.- La Psychose Hallucinatoire Chronique ou PHC est une entité qui désigne des cas riches en hallucinations psychiques ou pseudo-hallucinations. L'automatisme de Clérambault apparaît à cette occasion en 1920. La tentation de confondre une partie de la sémiologie des PHC avec la schizophrénie apparaît depuis 1965. Cette tendance est très évidente dans la psychiatrie anglo-américaine et bien entendu dans les DSM. Et cependant ce diagnostic caractéristique de la nosologie française prouve encore sa pertinence. Rappelons quelques définitions. Les moments féconds sont une résurgence très productive du délire en particulier dans la PHC ou psychose hallucinatoire chronique. Le petit automatisme mental de Gaëtan Gatian de Clérambault est d'une très grande importance historique et clinique dans la tradition psychiatrique française. Le syndrome d'automatisme mental de G. de Clérambault est au coeur de la PHC. Il s'agit de sensations parasites, d'hallucinations psychosensorielles, d'un triple automatisme moteur, idéique et idéo-verbal (phénomènes d'élocution, d'idéation et de formulation idéo-verbale spontanée), de phénomène de dédoublement mécanique de la pensée, de phénomène de petit automatisme mental (émancipation des abstraits, ombre anticipée d'une pensée indiscernable, dévidage muet des souvenirs, velléités abstraites). Le sujet perd le sentiment d'autonomie de la pensée. Ce syndrome comprend des pensées autonomes dénommées hallucinations psychiques ou pseudo-hallucinations. Du point de vue syndromique c'est donc une forme de délire et d'hallucination avec écho et vol de la pensée.
    IV.- Les personnalités multiples enfin ont eu une vie mouvementée. Cette pathologie n'avait plus guère d'existence dans notre nosologie. Le "300.14" dans le DSM-III-r s'était fait l'écho d'une sorte d'épidémie des personnalités multiples, création remarquable des cinéastes et des séries télévisées. Ce diagnostic disparaît dans le DSM-IV se transformant en «Trouble dissociatif de l'identité». C'est sans doute l'un des grands reproches que l'on peut faire aux DSM: cette sorte de sensibilité, que dis-je, de soumission aux modes et aux médias est tout à fait inadmissible parmi un public scientifique!
    Pourquoi les trois premières pathologies sont-elles passées à la râpe du DSM? Il existe deux sortes de réponses. La première est positive. La nosologie par la preuve donne priorité aux syndromes évidents et cohérents. Des syndromes proches les uns des autres ont une tendance incoercible à faire coalescence. Les syndromes rarement évoqués comme par exemple le syndrome de Cotard ont tendance à disparaître dans un corpus simplifié aux ambitions internationales. La deuxième remarque est plutôt négative. L'appauvrissement de la clinique résulte de la posture syndromique.
    En vingt-cinq ans, la nomenclature psychiatrique américaine aura donc connu trois révisions majeures. La qualité d'une nouvelle classification se juge à ses effets. Les applications des catégories diagnostiques fournies par le DSM dépassent largement le champ de la recherche et de la clinique puisque ces catégories sont utilisées par exemple par les compagnies d’assurance pour déterminer l’opportunité du remboursement ou encore par la justice. En France, la terminologie issue du DSM est maintenant largement utilisée: rares sont les manuels de psychiatrie qui ne font pas référence au Trouble Anxiété Généralisée, à l’Episode Dépressif Majeur, au TOC ou au Trouble de l’Adaptation. Le DSM véhicule un langage psychiatrique international avec des critères de scientificité assez convenables. L'intérêt très évident du DSM consiste donc en un outil rigoureux, un langage clinique commun et une composante statistique précieuse pour les études en santé publique. L'inconvénient réside justement dans sa volonté athéorique.
    A quelles exigences répondait la nécessité des classifications internationales? Les besoins de la recherche tout d'abord. La fin du 20ème siècle était sous l'empire des projets de «la décennie du cerveau» inaugurée en 1990 par l'administration américaine. Mais le chemin paraît long, je dirais même désespérément long, avant de déboucher sur des découvertes pertinentes. La nécessité de diagnostics consensuels requérait absolument une classification commune. Dans une étude épidémiologique comparée sur la schizophrénie entre anglais et américains le nombre de cas était 4 à 10 fois plus important à New-York qu'à Londres. Il est rapidement devenu évident qu'il ne s'agissait pas d'une réalité mais d'un problème de définition puisque les critères bleulériens étaient appliqués à New York, alors que les critères kraepeliniens prévalaient à Londres. De là est partie l'idée de développer des critères diagnostics communs. Même si ceux-ci ne permettaient pas de définir des maladies, ils allaient permettre l'accumulation de connaissances échangeables entre différents praticiens de différents pays sur l'épidémiologie, le pronostic, la meilleure prise en charge thérapeutique etc. Un diagnostic est prédictif s'il est étayé par une accumulation de connaissances et un diagnostic consensuel.
    Le rôle des neuroleptiques est très ambigu quant à l'évolution des nosologies aux Etats-Unis comme en France. Il semble que beaucoup de psychiatres fondent leur nosologie sur l'impact des molécules psychotropes et renoncent ainsi aux modèles de la pensée médicale. Ce mode de pensée est tout syllogistique. L'efficacité d'un traitement aux antidépresseurs sérotoninergiques confirmerait un diagnostic de dépression! Nous apercevons là une faute de raisonnement aux conséquences détestables. Ce mode de raisonnement résulte pour l'essentiel d'une trop grande docilité des psychiatres au regard des résultats affichés des neuroleptiques atypiques et surtout des antidépresseurs sérotoninergiques. Le psychiatre type adopterait la posture suivante: «Puisque mon antidépresseur sérotoninergique guérir les affects dépressifs de mon patient cela implique l'existence d'un syndrome dépressif!». Or nous savons à quel point les concepts de stress et de dépression ont été modifiés par les effets de mode! Ils sont devenus des mots valises sans contenu scientifique.
   

La place des DSM dans l'enseignement de la psychiatrie


    Les DSM ont-ils une place dans l'enseignement de la psychiatrie? Les critères diagnostiques tendent à annuler l'ambiguïté sémantique. La place du DSM dans l'enseignement est devenue considérable mais ses limites sont évidentes. Le DSM n'a pas la capacité de refléter le corpus psychiatrique. J'ai assisté quelques fois à l'examen d'un patient par des psychiatres experts dans la forme et la terminologie du DSM! Les co-experts étaient interloqués et dépaysés. Et cependant le DSM a grandement facilité la communication entre psychiatres des différents continents. Il serait donc désormais impossible de s'en passer! La classification DSM s'est imposée au détriment de la CIM qui est pourtant habilitée par l'OMS. Rien n'empêchait les sociétés nationales de psychiatrie d'enrichir la C.I.M. au cours des révisions. Le choix des psychiatres en Europe est apparu sans appel. La seule requête entendue concerne la compatibilité des codes.
   
La pédagogie des nouveaux manuels se fait malgré tout sous l'empire des DSM. Ainsi par exemple dans le manuel du Pr Quentin Debray en 1998, qui est une sorte de synthèse, les psychoses sont désormais des peaux de chagrin. Mes observations dans les manuels récents de psychiatrie aboutissent aux mêmes conclusions. Les psychoses y disparaissent au profit du comportemental. La tendance contemporaine consiste en somme à évacuer le noyau vivant de la psychiatrie elle-même au profit des syndromes accessoires comme dans les DSM. Elle répond à un processus complexe fondé sur la peur de la psychose délirante chronique et la peur de la schizophrénie. Cette tendance est contemporaine de l’influence grandissante des thérapies cognitivo-comportementales dont le rapport à la psychiatrie est tout à fait secondaire. Les psychoses dans ce manuel y occupent une vingtaine de pages sur les 400 qui composent l'ouvrage. On évacue en somme le noyau vivant de la psychiatrie elle-même au profit de syndromes accessoires. C'est un comble! Notons par exemple la sur-représentation des troubles du comportement dans les DSM. Je fais la même observation dans le manuel du Pr Bernard Granger en 2003. Une étude attentive y découvre seulement deux petits chapitres consacrés aux psychoses celui de Péretti intitulé «Schizophrénies» d'une part et de Gorwood intitulé «Autres troubles psychotiques» d'autre part. On y observe les mêmes tendances dans les DSM.
   

Les usages secondaires du DSM


    Le rôle des DSM dans les expertises sera de plus en plus important. Les experts près les Cours d'Appel sont en quelque sorte comptables des diagnostics qu'ils proposent puisque les documents peuvent s'exposer à une lecture contradictoire et parfois même à une contre-expertise. Les contentieux sont beaucoup plus limités quand on utilise les ressources des classifications comme le DSM et la CIM-10. Ces précautions me paraissent excellentes et d'ailleurs tous les experts devraient y souscrire.
    La rationalité économique intéresse également la santé mentale. Les PMSI y répondent depuis janvier 1998 en s'inspirant essentiellement de la CIM-10.
   
Les critiques
    Le trouble autistique dans le DSM-IV obéit à des exigences renforcées. On y incorpore les nouveaux troubles comme le syndrome de Rett, le syndrome de Heller, le syndrome d'Asperger et l'autisme atypique. Les déficits de l'attention sont précisés. Les critères psychométriques sont absolument renforcés par rapport aux DSM antérieurs. L'association entre l'ADHD et le trouble du comportement est vérifiée par des test-retest, critériologie classique dans tous les DSM. Les test psychologiques sont la méthode qui sert de modèle pour isoler les symptômes comme on fait avec les items d'un test. Les catégories diagnostiques sont isolées de la même façon que les échelles psychologiques. C'est une alternative au modèle médical. Bref cela fonctionne comme une méthode de validation psychométrique. L'élaboration et la validation des critères de l'autisme n'emportent pas l'adhésion. La posture athéorique ne permet pas d'approcher la question fondamentale: la genèse du trouble. Si je me prive de théorisation alors je projette la difficulté sur le terrain de la clinique. Ici le diagnostic d'autisme ne devient ni plus aisé ni plus pertinent ni mieux validé. Enfin faut-il souligner que l'ADHD est devenu un très important problème pour les gouvernements américains et canadiens.
   
   

Psychanalystes et nosologie


    Les critiques les plus substantielles proviennent des analystes. Les psychanalystes adoptent à l'endroit de la nosologie deux postures contrastées. Otto Fenichel en 1945 et puis Ralph R. Greenson en 1972 accordent une grande valeur au diagnostic qui indique en somme les conditions d'analysabilité. Un bon analyste, nous le savons, est capable de proposer dans beaucoup de cas une psychothérapie non analytique! Mais en contrepartie le plus grand nombre des psychanalystes occultent ou dénient la pertinence du diagnostic psychiatrique. Et cependant l'analyste ne peut pas se passer d'une nosologie en arrière-plan. Cette réflexion de bon sens repose sur des réalités historiques, scientifiques et épistémologiques. La psychanalyse est née quand l'élaboration d'une nosologie psychiatrique cohérente et moderne commençait seulement de donner des effets pertinents. Freud lit Kraepelin et puis il fait un stage chez Bernheim à Nancy et chez Charcot à Paris. Ces deux derniers psychiatres ne sont pas sans doute les représentants les plus typiques de ce qu'on nomme l'Ecole Française de Psychiatrie. Mais enfin leur influence était considérable. Mais revenons à l'Ecole Française de psychiatrie. Ce sont les neuropsychiatres et aliénistes de la fin du XIXème siècle qui ont élaboré la nosologie classique dans des traités exhaustifs comme Lasègue, J.P.Falret, Baillarger, Morel, J.Falret, Jacques Magnan (maître de l'Admission à Sainte-Anne), Emmanuel Régis en 1885, Jules Séglas en 1895, Sérieux et Capgras, Henri Claude, Rogues de Fursac, le traité de Chaslin en 1913, Dide et Guiraud et enfin le traité de Lévy-Valensi en 1926. On entre dans la modernité nosologique avec ces trois derniers auteurs. Quant à l'Ecole Allemande de psychiatrie elle réunit des auteurs allemands et suisses du début du siècle dont la nosologie est encore en usage de nos jours. Ce sont Heinrich Schüle, Krafft-Ebing, Westphal et surtout Kraepelin créateur du célèbre traité en huit éditions de 1883 à 1915 et puis enfin Bleuler et Karl Jaspers en 1913.
    On peut parler d'une exception psychiatrique française contre le DSM. Nous devons en examiner les facettes. Les dénonciations à l'encontre des méfaits des DSM sont partagées par un grand nombre de psychanalystes et en particulier les psychologues psychanalystes. Madame Roudinesco qui est une grande historienne de la psychanalyse pourfend les DSM avec des arguments véhéments. Le DSM serait un indicateur d'une mutation mondiale de la psychopathologie qui adopte une posture anti-psychanalytique. Que dit-elle? «Dans sa première version de 1952 le DSM tenait compte des acquis de la psychanalyse et de la psychiatrie dynamique c'est à dire de la dimension relationnelle intersubjective, défendant l’idée que les troubles psychiques et mentaux relèvent pour l’essentiel de l’histoire inconsciente du sujet, de sa place dans la famille, et de sa relation à l’environnement social. Disons ensuite que la psychiatrie est ramenée dans le champ d'une médecine biophysiologique ... On appelle psychiatrie dynamique l’ensemble des courants et des écoles qui associent une description des maladies de l’âme (folie), des nerfs (névrose), et de l’humeur (mélancolie) à un traitement psychique de nature dynamique c’est-à-dire faisant intervenir une relation transférentielle entre le médecin et le malade». J'y entrevois une forme de mépris pour la maladie mentale! Il faut n'avoir de sa vie jamais côtoyé le malheur et la souffrance des psychoses schizophréniques pour s'exprimer de cette façon! Ceux qui de leur vie n'ont jamais assisté les patients et leurs familles aux prises avec un syndrome de Cotard ou bien avec un syndrome de Sérieux et Capgras ne comprendront sans doute pas mon propos! Or nous voyons tous les jours des profanes interférer dans le monde complexe de la psychiatrie. Mais si la compétence en psychiatrie pouvait s'acquérir aussi aisément ce serait chose vraiment admirable!
    Que dire de la psychiatrie dynamique? Nous vivions encore en 1970 sous le double magistère moderne de deux nosographistes que sont le Pr Lévy-Valensi décrivant le délire palingnostique ou rétrospectif et le délire de supposition et de fabulation et surtout Henri Ey inventant l'organo-dynamisme et la pathologie de la liberté. Il n'existe pas de réflexion nosologique contemporaine sans une référence à Henri Ey qui fut affectueusement surnommé «le pape de la psychiatrie mondiale». Lantéri-Laura repère trois moments dans l'histoire des nosographies psychiatriques. D'abord l'Aliénation, maladie unique avec Pinel qui médicalise la folie en 1793; puis les Maladies Mentales avec Falret, Magnan et Kraepelin qui contestent l'unité de l'aliénation de Pinel et qui récusent la notion de Monomanie d'Esquirol et puis enfin les Structures psychopathologiques avec Bleuler en 1926 suivi par Henri Ey. La fin de ce troisième paradigme se situe donc en 1977 année du décès de Henri Ey. Pour certains collègues la psychiatrie dynamique est celle qui accueille la psychanalyse mais pour Henri Ey c'est la psychiatrie des structures. Le DSM selon Lantéri-Laura serait en somme une sorte de réponse et un mouvement de recherche hésitant. C'est une thèse qui apparaît très intéressante.
    Mais revenons aux composantes modernes de la psychiatrie française. Elles sont triples: la tradition nosologique assez glorieuse, l'idéologie du secteur psychiatrique née en France après guerre et enfin l'influence tardive de la psychanalyse dans nos contrées. Les psychanalystes, ici, cultivent une humeur pleine d'alacrité et adoptent des postures parfois très combatives. La plupart des psychanalystes se sont en quelque sorte insurgés contre les DSM avec des arguments moyennement convaincants. D'une façon générale beaucoup de psychanalystes en France en effet n'accordent pas grand intérêt aux diagnostics. La psychanalyse en France est volontiers «anti-nosologiste» pour des raisons parfaitement acceptables. Une psychiatrie scientifique peut cependant fort bien additionner les apports des trois courants et dans le même temps utiliser les bienfaits des DSM. Mais c'est encore l'esprit de système et de dogmatisme qui transparaît dans les deux postures opposées. Quelques psychiatres en France, y compris le Pr Pierre Pichot, ignorent totalement une partie des sources de la psychiatrie comme par exemple la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle. On comprend dès lors pourquoi l'esprit de dialogue à propos du DSM est très vite compromis. Notons donc qu'une sorte de guérilla oppose des corporations de psychiatres liés qui à une tradition qui à une doctrine. Du côté du DSM et de la CIM: les psychiatres d'hôpitaux généraux, les pharmacologues, les psychiatres experts et les sapiteurs, les chercheurs en neurosciences et de l'autre côté de la tranchée les psychiatres infanto-juvéniles, les psychiatres phénoménologues, l'ensemble des psychanalystes et beaucoup de psychologues cliniciens. Je souhaite pour ma part n'appartenir à aucune de ces corporations figées! Une sorte de flou conceptuel résulte notamment du conflit qui perdure entre psychanalyse, psychologie et psychiatrie depuis leurs fondations académiques et plus encore récemment depuis l'entrée en scène des thérapies cognitives et comportementales. Pourquoi cette sorte de face à face tendu? Je pense que la formation du psychiatre est exigeante. Le psychiatre doit assumer des influences variées. Ceux qui cependant se sont consacrés à l'une des facettes de la psychopathologie, ceux là commettent certainement une grande erreur de s'exprimer à partir du fortin de leur doctrine. La psychiatrie sera syncrétique et synthétique sinon elle ne sera pas! J'ai donc bien noté avec curiosité l'émergence en France d'une véritable campagne de haine à l'encontre du DSM. Elle s'est développée sur le terreau d'une idéologie fumeuse. La France, dit-on, est le berceau de la psychanalyse ce qui est parfaitement faux. L'analyse en France a vécu un essor remarquable à partir de 1945, au retour de la clandestinité, tandis qu'aux Etats-Unis des textes très remarquables furent publiés dès avant la guerre! Il s'agit donc bien à mon sens de fantasmes de persécution de psychanalystes parisiens. On dit aussi que les américains gomment un peu l'aspect psychologique pour se concentrer sur l'aspect biologique et neurologique des troubles psychiques. Cette sorte d'opposition entre les deux continents d'une rive à l'autre de l'Atlantique est une fiction. L'histoire des traités psychiatriques français répondait à la même problématique contrastée «corps esprit». La question des classifications psychanalytiques est souvent invoquée. La plupart des analystes en France ne se posent guère cette question. Les relations entre les deux formes de nosologie est plus volontiers un épiphénomène historique qu'une question scientifique. A l'époque de la multiplication des syndromes il était important que la psychanalyse souligne la structure psychique aux dépens de la nosologie académique. Souvenons-nous du florilège des phobies chez Dide et Guiraud et de la comique triakaidekaphobie jadis moquée par Ribot. Mais désormais le problème est tout autre. Les critiques des psychanalystes sont sans doute les plus offensives. Les psychanalystes réfutent le point de vue exclusivement descriptif des DSM. Seul le côté visible du trouble est pris en compte en méconnaissant délibérément l'origine du trouble en question. Beaucoup de psychiatres de tradition française sont eux aussi opposés à la vision réductrice du DSM qui tend à esquiver toute réflexion tirée d'une psychopathologie élaborée c'est à dire théorique. Notons à cet égard que les manuels de psychiatrie en 1965 étaient parvenus à fédérer les points de vue parfois très opposés en circonscrivant un nombre très limité de maladies qui faisaient presque consensus.
   

Effets de label


    Comment décrit-on désormais un patient? Quelle sémiologie, quelle classification et quelle nosographie? Beaucoup de collègues redoutent que patients ou médecins eux-mêmes soient victimes de ce qu’ils nomment un effet de label impersonnel. Il est étonnant qu’une posture morale et scientifique absolument nécessaire soit perçue comme une persécution. Mais alors posons-nous la question suivante: les adversaires des DSM seraient-ils les mêmes qui s'opposent à l'élaboration d'un diagnostic? La loi de mars 2002 dite «loi Kouchner» qui permet l’accès au dossier médical n'avait pas été bien acceptée en psychiatrie. Cette loi de transparence pourrait tôt ou tard légitimement déboucher sur une injonction d'énoncer un diagnostic aux patients. Un psychiatre doit se comporter en médecin! C'est en quelque sorte sa posture contractuelle mais aussi sa nature profonde que l'histoire de la médecine et l'expérience clinique ont consacrée et confirmée. La création de la spécialité médicale dénommée tout d'abord neuro-psychiatrie puis psychiatrie fut la reconnaissance d'une spécificité des soins aux maladies mentales! Et donc le psychiatre qui récuse les diagnostics les considérant comme réducteurs et contraires à son «éthique» adopte une attitude tout à la fois illégale et immorale. Il commettrait une faute assez grave celui qui prescrirait des psychotropes sans diagnostic préalable.
    Toutes les composantes sémiologiques des DSM sont bien entendu présentes dans les nosologies françaises classiques. Cette coïncidence répond à une simple question de bon sens. Les techniques de présentation jadis aux concours du Médicat des Hôpitaux Psychiatriques étaient basées sur les nosographies traditionnelles. Le DSM-III à la différence du DSM-II a été construit sur des bases explicitement kraepeliniennes. Cette évolution a été comprise comme une rupture par rapport à la psychanalyse. Dès lors s’instaurait une sorte de clivage de part et d’autre de l’Atlantique
    La question du DSM comme un outil de diagnostic soulève un problème beaucoup plus vaste. Comment différencier une classification d'un manuel ou d'un traité? Comment la différencier d'un compendium ou d'un vade-mecum? Est-ce que des pathologies complexes comme l'autisme infantile ou bien le syndrome borderline des adultes peuvent être bien repérées dans les DSM? Ce mode de connaissance augmente-t-il la lucidité du patient? La réponse est incertaine! Le DSM "ratisse certainement trop large". Le refus de théorisation joue ici un rôle négatif. Il n'est pas possible de comprendre le syndrome borderline sans une triple argumentation sémiologique, psychanalytique et phénoménologique. En contrepartie les laudateurs du DSM invoquent les milliers de publications scientifiques portant sur des patient borderline sur des critères DSM. Aucun chercheur, s'il veut être publié, ne consentirait à ignorer un outil utilisé par des centaines de milliers de spécialistes! Il est en effet désormais impossible de se priver d'une aussi riche documentation.
    Examinons brièvement la question des conflits d’intérêts. Des experts du comité étudieraient des médicaments psychotropes. La belle affaire! C'est un argument de très faible valeur. Je n'imagine pas un seul instant un psychiatre compétent qui au cours de sa carrière n'ait pas étudié les effets d'une molécule de psychotrope! Les maladies mentales désignées comme «Troubles de l’humeur» et «Schizophrénies» requièrent absolument des prescriptions. Le lien douteux entre le DSM et les psychotropes est-il pour autant évident? Je ne le crois pas. Admettons cependant que les classifications influencent nécessairement les dispositifs économiques encadrant les projets nationaux de la santé.
   

Les fondements épistémologiques des nouvelles classifications
    Les maîtres mots: athéorisme, validité, fiabilité


    Deux fonctions, la validité et la pertinence, ont été minimisées au profit de la fiabilité à partir de jugements comparés. La validité des diagnostics est remplacée par des critères diagnostiques, par des entretiens standardisés et par des outils statistiques. On ne définit pas vraiment le symptôme. Les discussions quant à la scientificité des résultats nous rappellent l'histoire de la psychométrie. La quantification des "entretiens cliniques" ont débuté en psychologie scientifique en 1905 avec Binet, Simon et Piéron. Nous connaissons la répartie de Binet en 1905 à propos de la définition de l'intelligence: «L'intelligence? C'est ce que mesurent mes tests». Le symptôme est-t-il défini par le coefficient de fidélité interjuges? Des critiques pertinentes des classifications psychiatriques modernes mettent en cause l'athéorisme qui est vraiment difficile à défendre. La perspective purement descriptive des troubles et l'annulation des processus de conflictualité intrapsychique troublent beaucoup de psychiatres. Elabore-t-on ainsi des abstractions déshumanisées? Qu'est-ce que l'objectivité en psychiatrie? La négligence de l'influence de l'observateur est certes très classique dans la tradition psychiatrique française mais elle contrevient aux acquis de la psychanalyse et de la psychothérapie institutionnelle. Mais la protestation a des limites. Un commentateur dit cette chose étonnante: «Ce n'est pas parce que tout le monde s'accorde sur la définition d'un syndrome psychiatrique grâce à la méthode des critères diagnostiques que l'on est parfaitement objectif». L'incroyable faiblesse de ce raisonnement m'oblige à des précautions oratoires.
    Quoi qu'on en dise les DSM ne donnent pas priorité aux neurosciences. Bien au contraire peut-on leur reprocher quelque chose que je désignerais du néologisme «psychologisme» ou «psychologisation». La métrique des fonctions psychiques est née en France en particulier à l'Institut de Psychologie créé en 1920 par Henri Piéron. La sémiologie psychiatrique répond à des critères chiffrés comme a fait la psychométrie dès sa naissance et comme font les cognitivistes contemporains. Des échelles fort nombreuses en psychologie scientifique ont manifestement influencé la Task Force des DSM.
    Le DSM a beaucoup plus de succès que la CIM. Pourquoi? La quasi-totalité des publications scientifiques se font sur les critères DSM. Pourquoi cette rapide diffusion dans le monde? Les arguments sont certainement des dénominations communes universellement accessibles, une critériologie écartant la subjectivité du psychiatre et une nouvelle facilité d'évaluer des traitements pertinents. Un argument assez original concerne les patients invités à partager une meilleure dénomination de leurs souffrances. Ainsi pense-t-on affermir une alliance de travail avec le thérapeute. La promotion du DSM a bien entendu bénéficié des excellents outils de l’Association Psychiatrique Américaine et notamment de l’American Journal of Psychiatry. La dimension sociologique des DSM a fait tache d'huile. Nous avons vu que l'idéal de rationalité «scientifique» n'a pas résisté aux conflits sociologiques et politiques. L'homosexualité fut effacée du manuel à l'issue de débats houleux. Les psychiatres d'enfants et les psychanalystes ont été évincés du Groupe de Travail mais peut-être se sont-ils éloignés d'eux-mêmes. Le DSM comme le CIM-10 ont sans doute manqué l'étape de la psychiatrie transculturelle mais ils ont fort heureusement enrichi le concept de SSPT ou Syndrome de Stress Post-Traumatique en répondant aux requêtes des associations de vétérans du Vietnam.
    La terminologie a été sensiblement modifiée. On ne dit plus les perversions mais les paraphilies. Ces figures de style comme l'atténuation, la litote ou mieux encore l'euphémisme concernent surtout les processus psychotiques. La langue française a également connu cela depuis 60 ans. Chacun sait que les «Asiles de la Seine» au fil du temps sont devenus la psychiatrie puis l'hygiène mentale avant que de nouveaux euphémismes apparaissent. Notons à cet égard que les traducteurs des DSM ont maintenu la terminologie américaine de telle façon que le nouveau langage psychiatrique s'est imposé en France. On ne peut ignorer dans le DSM la recherche d'une mélodie langagière avec ses tournures elliptiques. La question d'internat en France a vécu elle aussi sous l'empire de figures de style comme l'ellipse (mais aussi l'hendiadyn et l'hypotypose). La phrase concise, minutieuse et précise est une figure de rhétorique classique dans les concours hospitalier depuis 1802. La personnalité stylistique des DSM a encouragé les acronymes, les apocopes et les sigles!
   

CONCLUSION


   
De quoi les DSM étaient-ils la réponse? De toute évidence ils répondaient à une série incroyable d'approximations et de faiblesses des procédures diagnostiques classiques. Doit-on répondre à la question: «Pourquoi classer?». On imagine d'instinct qu'on ne saurait se passer de classement. Des arguments substantiels viennent conforter cette posture: étayer la connaissance des maladies mentales, fluidifier le suivi des troubles, faciliter la recherche, simplifier la communication des psychiatres entre eux et enfin rationaliser la santé publique. La mise en ordre des signes et des symptômes permet d'isoler un processus pathologique et d'envisager un traitement particulier maintenant et demain. L'essentiel consiste à en préciser les buts.
    Mais qu'est-ce qui fait le fondement de la psychiatrie? La psychiatrie requiert une réflexion épistémologique de tous les instants et elle ne peut se dispenser d'une réflexion philosophique. Se priver de théorisation conduit à projeter les difficultés sur le terrain de la clinique. Enfin telle est ma conception de la psychiatrie! Elle doit être synthétique et syncrétique. La psychiatrie doit assumer des influences variées au confluent de quatre sources fondamentales: la nosologie psychiatrique, la pharmacologie, la psychanalyse et la science de l'institution psychiatrique. Voici donc des composantes qui paraissent contredire absolument le DSM. Et pourtant la haine à l'encontre du DSM est mauvaise conseillère. On ne peut pas se passer du DSM. Or des services psychiatriques dans nos contrées pays demeurent enfermés dans une sorte d'isolat culturel. On y cultive une nosologie régionale qui ne consent pas à comparer les données avec autrui. Ce sont de petits royaumes gouvernés par de petits potentats. Bref ce choix délibéré d'une posture frileuse est véritablement antiscientifique. Pensons à ces pays qui sous prétexte de retrouver leur langue originelle appauvrissent durablement l'avenir de leurs universités. La formation des psychiatres est assurément longue et difficile! Pourquoi faut-il que certains spécialistes suivent des penseurs légers et aventureux qui ne possèdent aucune culture psychiatrique?
    Le triomphe de la psychiatrie américaine depuis le DSM-III-R prouve la capacité de l'APA de mener à bien un grand projet intellectuel. Sa diffusion intéresse surtout la recherche qui requiert des catégories homogènes. Les psychiatres experts, les sapiteurs et les arbitres eux aussi requéraient une classification consensuelle. Le bon sens commande de conclure toute expertise par une référence aux trois formes majeures de classifications psychiatriques. Mais la liberté de choix demeure: aucun impératif kantien ne nous oblige comme ferait une loi morale. Les classifications psychiatriques manquaient-elles autrefois de rigueur logique et scientifique? Le DSM y répond-il correctement à l'aide de critères rigoureux sur la base de l'athéorisme? Le DSM est-il le reflet d'une idéologie nord-américaine qui regarderait le sujet normal comme un homme pragmatique, efficace et invulnérable? Cette dernière critique apostrophant nos collègues américains me paraît inconsistante. Les questions de normalité, de norme et de normativité sont certes d'une grande importance et on ne saurait les négliger. Mais comme elles furent longuement exposées par Georges Canguilhem on ne saurait les résumer en quelques mots.
    Le succès du DSM ne s'est donc pas démenti. Mais pour quel projet? Vous auriez dit jadis: «Que dit le Ey de ce cas clinique?» ou bien en médecine «Que dit le Hamburger de l'infarctus mésentérique?». Mais vous ne diriez pas aujourd'hui d'un même élan «Qu'en dit le DSM?» mais plutôt «Comment le DSM assemble-t-il les éléments?». Autant dire que la CIM mais surtout le DSM nous offrent un très bel outil de communication psychiatrique. Ce n'est que cela mais c'est beaucoup. La conversion du DSM en un manuel pédagogique est cependant un grave malentendu. Et cependant en France le langage issu du DSM est désormais largement utilisé. Rares sont les manuels de psychiatrie qui ne font pas référence au Trouble Obsessionnel Compulsif, au Trouble Anxiété Généralisée, à l'Episode Dépressif Majeur ou au Trouble de l'Adaptation. Le grand public fait grand cas des TOC! Il existe une analogie avec l'espace numérique. Le même manuel peut améliorer la communication entre psychiatres et enseigner un scientisme élémentaire. Une classification moderne doit être maniée comme un outil et non regardée comme une fin.

   

Bibliographie Générale des Classifications


    Paul Zacchias Quaestiones medico-legales ou Quaestionum Medico-Legalium 1640 - 1651
    Boissier de Sauvage F., "Nosologia methodica sistens morborum classes genera et species juxta sydenhami mentem et botanicorum ordinem", Amsterdam F. de Tournes 1763
    Kraepelin E., Traité de psychiatrie, 4ème édition 1893
    Pinel Ph., Nosographie philosophique ou méthode de l'analyse appliquée à la médecine, 1798
    Pinel Ph., Traité médico philosophique sur l'aliénation mentale. 2ème ed. 1808.
    Confrontations psychiatriques n°24, 1984 Classification et psychiatrie, Specia, Paris.
    Daniel Widlöcher Le psychanalyste devant les problèmes de classification, Confrontations Psychiatriques 1984
    Henri Ey, 1954 Etude n°20, La classification des maladies mentales et le problème des psychoses aiguës. Etudes psychiatriques T.III, Desclée de Brouwer, Paris.
    INSERM: Classification française des troubles mentaux, Bull.1969, 24, n°2 R.SADOUN et N.QUEMADA
    Misès, R., Quemada, N., Jeammet, Ph., (1984), Classification Française des Troubles Mentaux de l'Enfant et de l'Adolescent, CFTEMEA, CINTHR
    American Psychiatric Association, DSM-IV trad. Masson Paris 1994
    Pr Bernard Granger, «La Psychiatrie d'aujourd'hui - Du diagnostic au traitement», Odile Jacob 2003.
    Guelfi, J. D., Classifications diagnostiques en psychiatrie: efficacité et limites, Les cahiers EMC, Psychiatrie 1996
    World Health Organization (1992). International classification of Diseases (ICD-10) 10ème édition. Genève. Tr. Fr. 1993, CIM 10 Classification internationale des troubles mentaux et du comportement, Masson, Paris.
    DSM-IV-TR, Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, Elsevier Masson, Paris 2003
    J.D. Guelfi, P. Boyer, S. Consoli, R. Olivier Martin, Psychiatrie, PUF 1987
    Christopher Lane, Comment la psychiatrie et l'industrie pharmaceutique ont médicalisé nos émotions, Flammarion 2009
    Dr Ludwig Fineltain Glossaire psychiatrique, Ed.Frison-Roche Paris 01.01.2000
    Dr Ludwig Fineltain Les manuels psychiatriques «bulletindepsychiatrie.com/manuels.htm» 2004
    Dr Ludwig Fineltain Personnalités multiples «bulletindepsychiatrie.com/multiples.htm» 2011
    Einstein Autobiographical Notes 1949
    Report of the International Pilot Study of Schizophrenia. Volume I. (Geneva: World Health Organisation, 1973)
    Pierre Lévy "Cyberdémocratie", Odile Jacob 2003
    Otto Fenichel La théorie psychanalytique des névroses PUF 1945 trad 1953
    Ralph R. Greenson Technique et pratique de la psychanalyse PUF 1972 trad. 1977
    Jacques Borel Précis de Diagnostic Psychiatrique, éd. Castelnau 1958
    Maurice Reuchlin Histoire de la Psychologie PUF 1957
    Reuchlin La psychologie différentielle PUF 1969
    Paul Fraisse La psychologie expérimentale PUF 1966
    Georges Ganguilhem Le normal et le pathologique 1966
    Janet L’automatisme mental 1880
    Janet Médications psychologiques 1886
    Janet Automatismes Psychologiques
    Quentin Debray, Bernard Granger et Franck Azaïs «Psychopathologie de l'adulte» en 1998
    Pr Bernard Granger «La Psychiatrie d'aujourd'hui - Du diagnostic au traitement», 01.2003

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Ludwig FINELTAIN

Psychiatrist and Psychoanalyst
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