Ephemerides Psychiatriques Paris

Bulletin de Psychiatrie
Ephemerides psychiatriques en l'an 2000


Numéro 1: La FIAC à Paris en l'an 2000
Numéro 2: Serge Lebovici nous quitte


Dr Fineltain Ludwig
Paris
Fichier complété le 17.11.2000




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EPHEMERIDES 4

Dr Fineltain Ludwig
Paris (France)
Le samedi 28 octobre 2000




Je n'ai remarqué, depuis le début de l'an 2000, aucun congrès psychiatrique remarquable. Les réunions se succèdent les unes aux autres et certes petits fours, champagne et traiteurs, sans doute les meilleurs de Paris, ne manquent pas; mais rien de nouveau et rien qui vienne nous surprendre.
Une manifestation artistique aurait pu cependant attirer l'attention des psychiatres: la FIAC 2000 à Paris. Cette manifestation culturelle exceptionnelle est devenue incontournable. Nous y sommes allé sans nous douter de la découverte que nous allions y faire. A partir d'un logiciel d'interprétation psychanalytique dénommé "Eliza", un artiste belge, Duyckaerts, a réalisé un merveilleux et stupéfiant DVD qui présente une sorte de petit film, un court-métrage, dont les protagonistes sont l'artiste et son double en plus petit sous les apparences d'une marionnette. Le dialogue est structuré comme une séance de thérapie en même temps que nous assistons à une leçon de dessin, une leçon d'autoportrait. Le thérapeute moniteur est la marionnette elle-même! Cette oeuvre splendide est donc un DVD-ROM tiré à 1000 exemplaires, comme on ferait d'une lithographie. Elle est vendue 1000 francs comme s'il s'agissait d'une petite oeuvre d'art.

Dummy's Lesson Dummy's Lesson
En examinant de plus près la plaquette d'Eric Duyckaerts et Jean-Pierre Khazem j'apprends que l'oeuvre est intitulée "The Dummy's Lesson" (plaquette de la Galerie Emmanuel Perrotin). J'apprends encore que les personnages du scénario sont en réalité deux masques sculptés à la ressemblance d'Eric Duyckaerts. Le spectacle obéit aux règles artistiques du ventriloque et de sa marionnette. Mais le fait que ce soit justement la marionnette qui apparaisse comme le thérapeute produit sur le spectateur un effet considérable.





Le Dr Serge Lebovici


Dr Fineltain Ludwig
Neuropsychiatre
Psychanalyste
Paris le 10 octobre 2000

Un maître nous a quittés
Le Dr Serge Lebovici

  
  J'ai fait la connaissance personnelle de Serge Lebovici en 1970-1971 à la faveur d'une supervision collective recommandée par l'Institut, dans laquelle il avait consenti à m'intégrer.
  Le personnage m'est apparu d'emblée exceptionnel. Les 8 ou 10 candidats analystes réunis le soir autour de lui, avenue du Président Wilson, constituaient un groupe homogène, expérimenté et de très bon niveau. Oui, ils me paraissaient eux aussi remarquables. Il régnait dans ce cénacle une atmosphère de grande richesse humaine et intellectuelle.
  Après que j'eusse achevé la psychanalyse didactique chez le Dr Christian David, étape si importante pour tout analyste, il importait de choisir les contrôleurs avec le plus grand soin. Chacun sait que la formation du psychanalyste est extrêmement difficile. Le séminaire de Lebovici demeure dans mon souvenir le moment formateur par excellence au cours de ces exaltantes années.
  Nous savions tous qu'il avait une grande intelligence et que sa capacité de travail était exceptionnelle. Je me souviens de séminaires se terminant chez lui vers une heure du matin alors que des rendez-vous l'attendaient le lendemain matin à l'aube.
  J'ai aimé ce diable d'homme! Qu'on me permette cette familiarité nostalgique. J'ai été très rapidement fasciné par la coexistence chez lui entre l'esprit de précision scientifique et le charme poétique. Oui, le charme poétique imprégnait toutes ses interventions. Il intervenait dans les supervisions avec une sorte de délicatesse et une propension à la litote qui m'enchantait.
  Je n'eus guère l'occasion de le revoir souvent ces 20 dernières années. Aussi ai-je été touché et ému qu'il ait consenti à faire dans la revue "Carnet-Psy" l'un de ses derniers textes, peut-être le dernier, sur un petit ouvrage que j'ai rédigé.

  L'attention à autrui

  Je me souviens avant tout de ses qualités humaines. Il émanait de Serge Lebovici une certaine forme de bonté et d'attention à autrui. La richesse de la pensée et les connaissances encyclopédiques coexistaient donc chez lui avec une exceptionnelle connaissance des aléas de la vie. Ces qualités font si souvent défaut aux analystes que je ne peux m'empêcher de les souligner.
  Il paraissait avoir assumé toutes les composantes de la psychanalyse vivante. Il se tenait très près de la clinique psychanalytique loin du strass, des pacotilles et des paillettes. Beaucoup d'analystes talentueux trônent dans les vitrines des libraires, des radios et des télévisions. Je reconnais les mérites, la difficulté et l'utilité de leur travaux médiatiques mais enfin tout ce qui nous importait à nous autres psychanalystes c'était l'analyse vivante, les patients et leurs souffrances.

  Le magistère

  Il exerçait parmi nous un véritable magistère souriant. Il occupait parmi les nombreux lieux de la psychanalyse française, aussi bien à L'IPP qu'à l'Association, une position exceptionnelle. Son enseignement plaisait aux spécialistes. Il n'avait pas de goût particulier pour la vulgarisation et sans doute s'est-il privé du plaisir subtil d'exposer ses travaux devant de grands publics profanes. On trouvait certes quelques commentaires critiques à son encontre parmi les disciples de Jacques Lacan mais d'une façon générale il bénéficiait volontiers d'une sorte d'admiration consensuelle.
  Je veux dire encore qu'il possédait un rayonnement exceptionnel qui situait son travail bien au dessus du niveau moyen des productions de la SPP.
  J'ai donc aimé ce diable d'homme et je m'imagine, j'espère, je crois enfin qu'il m'appréciait aussi. Du moins me l'a-t-il fait comprendre en m'envoyant des patients difficiles jadis pendant quelques années. Je dis bien - j'espère - puisque Serge Lebovici personnifiait pour moi la psychanalyse française.
  
Les disciples

  Pendant les années de supervision collective nous avons fait avec lui le tour d'horizon des écoles psychanalytiques actives à Paris. Il n'était pas tendre pour l'école lacanienne et les lacaniens. Il faut dire que les cas, les exposés et les commentaires que faisaient à cet égard, la douzaine de participants au séminaire à propos des frasques des disciples de Lacan "n'étaient pas piqués des hannetons". Je me souviens que je me portais presque toujours en défense du lacanisme en insistant sur le caractère positif de l'effort philosophique husserlien de Lacan. Je crois qu'il n'appréciait ni la fermeture langagière du lacanisme ni non plus la propension philosophique en analyse.
  Les élèves de Lebovici de cette époque ont conservé entre eux des liens affectifs et intellectuels assez forts bien que sans doute ils ne s'expriment pas aussi bruyamment qu'on le fait dans d'autres associations psychanalytiques. Cette sorte de nostalgie renaît spontanément entre nous à la faveur des congrès ou bien dans les emails et les courriers que nous continuons d'échanger.
  Un superviseur n'est pas l'analyste de son disciple. Un analyste confirmé ne saurait non plus jouer aucun rôle de père tutélaire substitutif auprès de ses élèves. Ces sortes de relations transférentielles et contre-transférentielles ont été dûment analysées en leur temps, durant l'analyse personnelle antérieure, avant tout projet de supervision contrairement à ce qui se passe dans beaucoup d'autres écoles de pensée. Dans certaines écoles analytiques il apparaît clairement que le transfert sur la personne d'une sorte de "maître vénéré" proche du gourou n'est nullement liquidé. Tout ceci est riche ensuite d'erreurs contre-transférentielles massives. Nous avons tous observés ces dérives autour de nous!
  

  Maîtres et disciples.

  Qu'est-ce qu'un maître? C'est un penseur qu'on ne peut se contenter de réduire et de résumer au seul contenu des oeuvres qu'il a produites. Le dialogue est nécessaire. Nous avons besoin de le voir et de l'entendre. Nous avons besoin de mettre à l'épreuve avec lui les difficultés d'interprétation. Serge Lebovici de ce point de vue était plus qu'un pédagogue: il était un maître.
  

  Les critiques: Serge Lebovici et l'Institution

  L'admiration d'un analyste digne de ce nom pour un autre analyste ne peut se transformer et se résoudre en hagiographie.
  Je n'appréciais pas la dimension institutionnelle de son parcours. Il savait d'ailleurs que certains d'entre nous considèrent le travail psychanalytique institutionnel à savoir les chapelles, les jurys, les commissions et le titulariat comme des hochets anti-psychanalytiques. Il m'est arrivé à l'époque de lui exposer ces reproches très personnels. Ainsi en est-il par exemple de son adhésion excessive aux rituels des chapelles psychanalytiques, aux idéaux institutionnels de la SPP et de l'IPA.
  Je me permettais également de critiquer ses réticences à l'endroit des psychotropes du 20ème siècle. Mais enfin il partageait certainement ce sentiment avec quantité de psychanalystes de stricte obédience.
  Mais revenons à la question des fonctions de responsabilité et d'autorité dans les instances psychanalytiques. J'admets bien volontiers qu'il faut consentir à certains investissements institutionnels pour assurer la transmission des savoirs et des savoir-faire. Il est également légitime et estimable que les psychanalystes de grande qualité soient distingués d'une façon ou d'une autre dans des institutions officielles bref qu'ils fassent carrière. Mais alors ce cursus risque de se faire au dépens de la souplesse analytique.
  C'est pourquoi j'ai toujours préféré les écrits de Serge Lebovici: ceux-ci sont d'ailleurs présents dans toutes les bibliothèques des analystes sérieux. Je préfère donc ses travaux cliniques plutôt que ses réalisations à l'IPA.
  

  La pesanteur du passé

  La fascination qu'il exerçait sur moi provient aussi d'une sorte de passé commun. Il était sous-entendu que nous avions été confrontés à l'empire du mal. Certes nous n'en parlions jamais mais ses amis faisaient office de porte-voix. Ainsi ai-je toujours eu quelque peine à comprendre la phrase qu'il aurait prononcé devant la famille survivante en 1944: "Il n'y aura pas de haine!". Je ne comprends pas cette phrase mais je reconnais cette sorte de sagesse et de bonté qui le caractérisait. Beaucoup d'autres psychanalystes comme lui eussent adopté la position sévère et drastique du philosophe Wladimir Jankélévitch! Je connaissais également bien entendu l'épisode communiste qui fut le sien et le texte du tract qu'il a soussigné. Ceci ne m'a absolument jamais gêné. Les gens qui connaissent bien cette période comprendront pourquoi toute une génération de la communauté juive, les religieux comme les laïcs, se sont longtemps rangés auprès des corps francs et des partisans FTP-MOI c'est-à-dire du Parti Communiste.
  
  

  Serge Lebovici dans ses oeuvres

  Je me souviens des longues discussions à propos des mécanismes de l'autisme infantile.
  Je ne parlerai guère de l'aventure remarquable dans le "Secteur du XIIIème" puis ensuite à Bobigny.
  Serge Lebovici a beaucoup écrit, en particulier dans les revues de psychanalyse, de psychiatrie et de psychiatrie infanto-juvénile. Je rappellerai seulement les livres dont je ne saurais me passer comme "Un cas de Psychose Infantile Etude Psychanalytique" par Serge Lebovici et Joyce McDougall, PUF (1960) assez vite traduit en américain en 1969 sous le titre de "Dialogue with Sammy; a psycho-analytical contribution to the understanding of child psychosis", Edited by Martin James, "Les Sentiments de Culpabilité chez l'Enfant et chez l'Adulte", Serge Lebovici, Hachette (1971), "Le psychanalyste sans divan" de Racamier et Lebovici, "La connaissance de l'enfant par la psychanalyse" (1971) de Lebovici et Soulé avec la collaboration de Simone Decobert et Janine Noël, et sa participation au remarquable "Traitement au long cours des états psychotiques" (Colloque février 1972) ainsi que "Psychoanalysis in France" de Serge Lebovici and Daniel Widlöcher en 1980.
  Vous connaissez tous ces livres précieux, accompagnement familier, livres que l'on feuillette souvent et qu'on ne prête guère de peur de ne jamais les récupérer! Eh bien! Ces livres-là font partie de mon trésor de psychanalyste bibliophile.
  Mais on perçoit encore mieux la pensée de Serge Lebovici quand il commente les travaux d'autres psychanalystes. Deux exemples me reviennent en mémoire:
  1) Lebovici et le souci de l'enseignement.
  Dans un numéro spécial de l'Evolution Psychiatrique en forme d'hommage à Henri Ey, Serge Lebovici rédige "La psychologie médicale et son enseignement" (L'Evolution Psychiatrique 1977, Tome XLII, Fasc. III/2 Numéro Spécial Hommage à Henri Ey, pages 999 sq.). Il y décrit les moments importants de son propre destin psychiatrique. Les thèmes sont les suivants: comment maintenir la psychiatrie dans le champ de la médecine sans qu'elle perde pour autant son originalité; pourquoi l'apprentissage de la relation médecin-malade dans les structures hiérarchisées de l'université ne peut être que sommaire. Comme Balint, Lebovici a très tôt conçu l'intérêt de la formation en groupe capable d'initier les médecins à la relation psychothérapique avec les patients (Psychiatr. Enf. 1968). Ce type d'apprentissage est fructueux et ne risque pas de gêner l'identification réciproque et l'empathie commune des participants et du psychanalyste-moniteur. Serge Lebovici a su apprécier la leçon de Balint. Il aimait la pratique du monitorat des candidats psychanalystes en groupe.
  Il montre fort bien dans ce texte consacré à l'étude détaillée des manuels de psychologie médicale son souci pour ne pas dire son obsession de la pédagogie de la psychologie médicale. Il partageait à cette époque avec Signoret l'enseignement de la psychologie médicale à l'UER médicale de La Pitié-Salpêtrière. Il expose la difficile naissance de l'enseignement de la psychologie médicale.
  Ainsi l'hommage à Henri Ey se transforme-t-il en un dialogue au delà de la mort sur les relations entre psychiatres, psychanalystes et médecins internistes somaticiens.
  2) Serge Lebovici et l'étude des développements de la psychanalyse.
  L'article, à propos d'un livre de Widlöcher, est paru en juillet 1987 dans la prestigieuse revue "L'Evolution Psychiatrique". Serge Lebovici, dans un exemple caractéristique de sa méthode réflexive, développe une étude subtile et minutieuse des enjeux du texte. Le thème central de la discussion est en somme "la dignité de la métapsychologie psychanalytique" . Il y commente une distinction opérée par Widlöcher, dans son livre "La métapsychologie du sens" entre actes de pensée et actes de langage. Voici que naît sous nos yeux un dialogue remarquable qui met en scène un débat entre novation et tradition dans le monde psychanalytique. Serge Lebovici aimait à défendre les aspects les plus précieux de la doxa psychanalytique. Ainsi pour Widlöcher la pensée est un passage à l'acte mental. Le dialogue porte sur la question suivante: "Est-ce que l'acte de pensée est assimilable à la pensée de celui qui le pense?". La psychanalyse pose l'existence d'actes inconscients. Widlöcher, dans cet ouvrage, ne raisonnait pas ainsi. Comme beaucoup d'autres désormais il faisait appel à l'impact du conditionnement opérant. Et Serge Lebovici de discuter subtilement les enjeux de la pensée psychanalytique orthodoxe. Le grand problème de Serge Lebovici consistait à montrer que la théorie psychanalytique éclairée par les travaux de Hartmann et d'Anna Freud n'était pas loin de constituer la meilleure théorie de la psychologie clinique.
  Chacun sait d'autre part comme la dimension interpersonnelle de la psychanalyse fait obstacle à l'étude épidémiologique. Serge Lebovici était extrêmement sensible à cet argument. Mais, pensait-il, faut-il pour autant se désintéresser de la métapsychologie?
  Mais voici encore une autre façon de poser le problème: l'inconscient est-il un substantif ou un adjectif? Ceci demeurera la grande question des temps modernes puisque les enjeux à propos des nouvelles formes de psychothérapie sont considérables.
  Quand Serge Lebovici nous parle de Widlöcher il fait aussi une incursion dans le domaine de Jacques Lacan en particulier à propos du mécanisme d'identification à l'Autre et de la naissance du sujet. La cohérence de la métapsychologie requérait d'abord pour Serge Lebovici qu'on rejetât le causalisme historique naïf et le recours à une biographie dramatisée.
  L'art de Serge Lebovici consistait en ceci: il nous appelait à dialoguer avec d'autres pensées psychanalytiques, à en commenter les textes pour autant qu'ils respectent un minimum de procédure scientifique.
  
  Maintenant que le temps a passé je regrette bien entendu de ne pas l'avoir revu plus souvent, de ne pas l'avoir remercié d'un très grand nombre de gestes précieux qu'il a prodigués en faveur d'amis très proches et enfin de ne pas l'avoir remercié du dernier geste qui m'allait droit au coeur. Ainsi pouvons-nous sans doute commencer notre travail de deuil.
  
Dr Ludwig Fineltain à Paris le 1er septembre 2000