Bulletin de psychiatrie
(parution semestrielle ou annuelle)
Bulletin N°30
   Mise à jour du 16 août 2023
Dr Ludwig Fineltain
AIHPS Psy.Hôp.-Anc.Ch.Srv
France
fineltainl@yahoo.fr

ENSEIGNER OU TRANSMETTRE LA PSYCHIATRIE

Dr Ludwig Fineltain
Neuropsychiatre
Psychanalyste
Paris
fineltainl@yahoo.fr
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   La leçon de Charcot

    Bulletin de Psychiatrie

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Nom : Dr Ludwig Fineltain Neuro-Psychiatre Psychanalyste AIHP Psyc.Hop.Anc.Chef Serv.
fineltainl@yahoo.fr
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Bulletin de psychiatrie
(Parution semestrielle ou annuelle)
Bulletin N°30
Mise à jour du 06 août 2023
Dr Ludwig Fineltain
AIHPS Psy.Hôp.-Anc.Ch.Srv
France
E-mail: fineltainl@yahoo.fr
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ENSEIGNER OU TRANSMETTRE LA PSYCHIATRIE
Version Num.9/14082023
Place Vendome

Ludwig FINELTAIN
   

   Psychiatrist and Psychoanalyst
   PARIS (FRANCE)

BULLETIN DE PSYCHIATRIE
   30EME NUMÉRO

BULLETIN DE PSYCHIATRIE
    30EME NUMÉRO
    PSYCHIATRIE: ENSEIGNER OU TRANSMETTRE?


    Les parutions des numéros du bulletin ont été interrompues depuis 2019.
    Pourquoi? Je n'accuserais pas l'épidémie du Covid 19 d'avoir contrecarré les parutions depuis ces trois dernières années. Non! Des événements exceptionnels ont modifié l'organisation de mes activités. Je passe rapidement sur mon état de santé. Je fais surtout allusion à la parution de mon dernier livre d'une part et à l'organisation d'un cours de psychiatrie à un public de médecins généralistes d'autre part.
   

CHAPITRE I.- ENSEIGNER OU TRANSMETTRE LA PSYCHIATRIE
    CHAPITRE II.-VULGARISATION
    PLAN


    QUATRE THEMES 1.
    COMMENTAIRE N°1 2.
    FORMER N°1 Introduction aux formations les deux modèles de formation la formation d'antan jadis: le modèle 1960, l'interne des hôpitaux psychiatriques? Maintenant, le modèle 2023; qu'enseigne-t-on dans le référentiel de psychiatrie? Les qualités et les défauts; commentaires critiques la formation en psychothérapie 3.
    FORMER N°2 COMMENT FORMER UN PSYCHIATRE? 4.
    FORMER N°3 DU COURS MAGISTRAL A L'AUTOFORMATION 5.
    FORMER N°4 COMMENT INITIER LE MÉDECIN PRATICIEN A LA PSYCHIATRIE 6.
    FORMER N°7 DES COURS Mais voici la grande question. Comment enseigne-t-on la psychiatrie? 7.
    FORMER N°8 COMMENT ENSEIGNER LA PSYCHIATRIE? 8.
    HISTORIQUE Souvenirs 9.
    HISTORIQUE RESURGENCE DU DESIR D'ENSEIGNER 10.
    HISTORIQUE: ANAMNESE 1.
    UNICITE N°1 CHERCHER L'UNICITE DE LA PSYCHIATRIE? 2.
    L'UNICITE N°2 DE LA PSYCHIATRIE? Pour enseigner l'unicité de la psychiatrie est une condition minimale. Quels sont les principes susceptibles de conforter l'unicité de la psychiatrie? 3.
    PENSER LA FORMATION N°1 COMMENT ENSEIGNER LA PSYCHIATRIE? 4.
    PENSER LA FORMATION N°1 L'ELEVE ET LE SAVOIR 5.
    PENSER LA FORMATION N°2 LE DESIR D'ENSEIGNER 6.
    PENSER LA FORMATION N°3 L'ENSEIGNEMENT 7.
    PENSER LA FORMATION N°4 LES QUALITES DE L'ENSEIGNANT EN PSYCHIATRIE 8.
    PENSER LA FORMATION N°5 MAIS QU'APPELLE-T-ON UN BON NIVEAU? 9.
    PENSER LA FORMATION N°6 LE MYSTERE DE LA RELATION
    VULGARISATION
    La vulgarisation consiste à raconter une histoire oscillant entre le sérieux et le plaisant
    *************************
   

ENSEIGNEMENT, TRANSMISSION, VULGARISATION
    EN PSYCHIATRIE
   
    QUATRE THEMES


    Ce 30ème numéro du Bulletin de Psychiatrie s'intéresse aux formations et à la vulgarisation. ,
    Voyons d'abord les quatre têtes de chapitres.
    1°Le scandale du Développement Professionnel Continu ou DPC psychiatrique
    2°Comment forme-t-on un psychiatre?
    3°Comment conforter la pratique psychiatrique du médecin généraliste?
    4°Le rôle de la vulgarisation psychiatrique

Vendome (Françoise Favard 2018)

INTRODUCTION AUX FORMATIONS
    FORMER N°1
    LES DEUX MODELES DE FORMATION.
    LA FORMATION D'ANTAN
    LE MODELE 1960
    L'INTERNE DES HOPITAUX PSYCHIATRIQUES


    L'époque des Internes des Asiles et le CES est révolue. Les candidats aux CES bénéficiaient des cours magistraux et des examens cliniques "au lit" du malade. Cette formation laissait à désirer. Mais il y a 40 ans la formation privilégiée était celle de l'Interne des Asiles ou Internes des Hôpitaux Psychiatriques de la Seine. L'intérêt des candidats pour la psychiatrie était en ce temps-là incontestable.
    Les fonctions anciennes de l'Interne des Hôpitaux Psychiatriques de la Seine ont représenté une référence indépassable de la formation du psychiatre. Ces postes se distribuaient avec parcimonie. Les candidats affrontaient ce concours avec un état d'esprit mitigé: facile pour les uns difficile pour les autres. Fraîchement nommé l'interne était mis à l'épreuve durant 4 années dans des pavillons du secteur psychiatrique. Les premiers contacts avec les pathologies psychiatrique graves étaient particulièrement rudes.
    Comment se formait l'interne? Il se formait dans les hôpitaux psychiatriques en quelque sorte "sur le vif". Un de nos collègues avait trouvé une formule heureuse. Il évoquait une sorte d'Ecole Normale de la Psychiatrie logée et même confinée au sein des hôpitaux psychiatriques. La comparaison avait du sens. Je rappelle que l'Ecole Normale Supérieure propose une formation d'excellence en sciences et en lettres. L'élève y bénéficie d'un tutorat assez souple. Mais surtout il conçoit lui-même son programme d'études personnel. Il est l'acteur de sa propre formation. Le normalien est un chercheur beaucoup plus qu'un élève autodidacte. Il choisit les modalités de son perfectionnement. Une ancienne élève de l'ENS, Meunier, dit bien ce bonheur d'apprendre: "On se trouve mêlé aux promotions précédentes, agrégés et thésards, on suit les cours d'enseignants-chercheurs qui nous font basculer dans la recherche et le supérieur. C'est stimulant!"
    L'Interne des Hôpitaux Psychiatriques bénéficiait de tous ces avantages. Une grande autonomie, une constante auto-formation. Cependant le tutorat faisait défaut. On reconnait à ce niveau la principale faiblesse de cette formation. Le jeune psychiatre apprenait donc tout au contact des schizophrènes et de l'ensemble des variétés de psychoses. Comment? En les soignant et surtout en essayant de les comprendre. Je me souviens que j'ai dû patienter plus d'un an avant de comprendre le fonctionnement de mes patients schizophrènes.
    L'interne se dotait de diverses formations complémentaires de son choix: la littérature scientifique, les exposés de pharmacologie, des séminaires et des congrès. Parmi les conférenciers d'exception je rappelle le cas du Dr Henri Ey. L'interne s'initiait également aux diverses formes de psychothérapies: aux thérapies dites de soutien mais surtout à la psychanalyse didactique et encore au psychodrame analytique, aux psychothérapies phénoménologiques, à la thérapie cognitive et comportementale et aux autres innombrables formes de thérapies.
    Pour résumer la méthodologie implicite de cette formation était caractérisée par 5 critères:
    1°. Les responsabilités écrasantes
    2°. L'autodidactisme
    3°. L'apprentissage par l'exemple
    4°. Le compagnonnage
    5° Les formations complémentaires.
    Cette formation a eu son heure de gloire. Elle avait donc aussi de graves défauts. On ne saurait de nos jours concevoir une formation psychiatrique sans aucun enseignement structuré et sans aucun tutorat.
    FORMER N°1bis
    LA FORMATION CONTEMPORAINE:
    LE MODELE 2023
    Les ECN, Épreuves Classantes Nationales, permettent d'opter pour la psychiatrie. Nous savons que ce n'est pas le choix le plus fréquent! L'internat en psychiatrie dure en principe 4 ans. Mais nous connaissons désormais le projet d'internat en psychiatrie en 5 ans dite du "docteur junior".?
    Nous trouvons donc dans les ECN une source devenue classique de formation et de sélection. Les données de la formation sont réunies dans les travaux du Collège National des Enseignants de Médecine Interne enrichis par les données du DSM, de la CIM et de la psychopharmacologie. Il semble bien que l'enseignement adopte désormais un tour conventionnel, besogneux et méthodique. Examinons les contenus de cet enseignement.
    Que dire du référentiel de psychiatrie?
    Les qualités et les défauts
    Si vous scrutez le programme de l'ECN vous y trouvez un mélange de DSM et de psychiatrie classique. On y reconnait peu ou prou la psychiatrie des êtres souffrants mais pas complétement. Voici quelques remarques: un extrait de l'ECN de 2022 à propos du trouble obsessionnel compulsif (TOC) dans "6.1.1. Éducation thérapeutique". "L'éducation thérapeutique a une place primordiale dans la prise en charge. Le TOC est une maladie chronique souvent considérée par les patients comme honteuse et inquiétante ("je deviens fou"), ce qui explique en partie le retard de diagnostic souvent important. Les objectifs de l'éducation thérapeutique sont: * rassurer le patient sur le fait qu'il ne va pas perdre le contrôle ou devenir fou; * nommer le trouble, souligner sa tendance à la chronicité sans prise en charge, l'impact fonctionnel qu'il peut entraîner; * insister sur l'existence de traitements médicamenteux efficaces, leur délai d'action important (6 à 12 semaines), la nécessité d'utiliser des posologies élevées, le rôle limité des anxiolytiques dans la prise en charge au long cours; * expliquer la nécessité de réaliser les exercices de la thérapie cognitivo-comportementale (TCC). En dehors des séances; * rencontrer l'entourage afin d'expliquer la pathologie et impliquer les proches dans la prise en charge. Il est essentiel d'informer l'entourage sur l'importance de ne pas participer aux rituels, ne pas faciliter l'évitement, ne pas répondre aux demandes de réassurances répétées qui peuvent contribuer au maintien du trouble."
    COMMENTAIRES CRITIQUES
    Réflexion sur l'enseignement actuel. Ce cours est juste mais aussi pourquoi sonne-t-il faux? Cette approche de l'ECN illustre une tendance propres aux classifications internationales: l'évacuation de la réalité de la pathologie psychique. Rassurer le patient sur le fait qu'il ne va pas perdre le contrôle ou bien devenir fou signifie donc une sorte d'évacuation de la réalité d'une pathologie psychique. Le "ce n'est rien, vous n'avez quasiment rien", ne correspond pas à une posture thérapeutique mais à une volonté d'atténuation qui répond tout autant à l'angoisse du patient qu'à celle du psychiatre. Il est préférable de ne pas donner satisfaction aux bénéfices primaires et secondaires de l'affection. Contrairement à l'affirmation du traité il n'y a rien d'efficace d'aborder "En dehors des séances; d'informer l'entourage sur l'importance de ne pas participer aux rituels, ne pas faciliter l'évitement, ne pas répondre aux demandes de réassurances répétées qui peuvent contribuer au maintien du trouble". Ces conseils rassurants ne devraient d'ailleurs pas être destinées aux familles mais plutôt à l'étudiant en médecine! Rassurer le patient est un bénéfice donné aux symptômes. Mieux vaudrait, pensent ces enseignants, que ce patient oublie qu'il a trop d'obsessions!
    Voyons la prescription d'un psychotrope. C'est bien entendu une réponse parmi d'autres.
Mais chacun sait pourtant que les psychotropes sont peu pertinents chez les "obsédés". Il y a des indications et des contre-indications. Il existe donc une condition fondamentale: cette posture thérapeutique ne devrait pas conforter une croyance magique aux effets de la biochimie dans toutes les pathologies psychiatriques. Nous reconnaissons là, d'ailleurs, la marque de fabrique des DSM.
    Quant à la TCC: pourquoi pas? Mais en réalité, comme dit mon copain des faubourgs, "ça ne mange pas de pain!". Les résultats à l'issue d'une psychothérapie d'inspiration analytique sont tout aussi convaincants. Ils répondent en outre à une rationalité plus claire et mieux étayée.
    Donc le problème est là. Nous lisons assurément de la psychiatrie. Mais nous reconnaissons une adhésion au bréviaire biochimique du DSM. On repère dans le DSM une sorte d'effroi à l'égard de la théorie. Cela représente donc une psychiatrie insuffisante.
    LA FORMATION EN PSYCHOTHERAPIE
    Dans le même esprit de l'examen critique de l'ECN nous observons le destin des psychothérapies. Cet espace des psychothérapies rétrécit comme une peau de chagrin. Or cette formation représente la pierre d'angle ou la clef de voute de la psychiatrie. C'est en effet une dimension majeure de l'exercice psychiatrique. La métaphore architecturale de la pierre angulaire dit l'importance pour la stabilité et la solidité d'un bâtiment. Ainsi en est-il des psychothérapies qui depuis 50 ans sont une composante fondamentale de l'édifice de la psychiatrie.
    La psychothérapie, depuis ces 20 dernières années, a sans doute toujours été le parent pauvre de la formation du psychiatre. Les différentes enquêtes sur la formation montrent qu'à peine un quart (15 à 18%) des internes de quatrième année s'intéressent aux psychothérapies et à la psychanalyse. Dans les cours actuels l'insistance mise sur les TCC nous paraît "petit bras". La pertinence de ce mode de rééducation est incontestable en réponse à certaines pathologies: les troubles anxieux, le syndrome de stress post-traumatique, l'ensemble des phobies ainsi qu'en sexologie clinique. Mais elle demeure une variante mineure parmi les psychothérapies.
    Dans mon esprit le psychiatre doit être apte à survoler un champ assez vaste qui s'étend de la psychopharmacologie à la psychanalyse.
    Marginalia. On peut considérer que la plupart des psychothérapies sont issues de la psychanalyse quand bien même certaines d'entre elles s'en sont dissociées. Il existe sans doute plus de 200 variantes de psychothérapies. Certains d'entre nous suggèrent des modalités nouvelles de thérapies. Parmi celles-ci j'évoquerais une ancienne proposition, la logothérapie, forme peu connue, décrite par Viktor Frankl. En 1946 dans "Man's Search for Meaning" Frankl explique que la tragédie est surmontée par une pensée du renforcement du Moi par le sens donné! Face à l'absurde, les plus fragiles avaient développé une vie intérieure qui leur laissait une place pour garder l'espoir et questionner le sens. C'est la vie dans les conditions inhumaines en Allemagne qui a confirmé sa théorie du sens de la vie. On peut considérer que c'est là l'une des sources de la récente "psychologie positive" illustrée par notre collègue Boris Cyrulnik.

FORMER N°2
    COMMENT FORMER UN PSYCHIATRE?
    DU COURS MAGISTRAL A L'AUTOFORMATION


    On songe à deux situations quelque peu différentes: comment former un psychiatre et comment initier le médecin praticien à la psychiatrie?
    INITIER LE MÉDECIN GENERALISTE A LA PSYCHIATRIE
    Initier est un bien grand mot puisque les généralistes reçoivent un grand nombre de pathologies psychosomatiques et psychiatriques.
    Je crois important de repenser l'enseignement de la psychiatrie aux médecins. Sans doute n'existe-t-il pas de façon idéale d'enseigner la psychiatrie aux médecins généralistes.
    Je m'y suis efforcé dans des cours dispensés à un groupe nombreux de médecins inscrits sur un Facebook intitulé Sapiteur1. J'ai bien entendu hésité quant à la forme du cours. Devait-il adopter une forme orale ou bien une forme écrite? Finalement j'ai opté pour le format écrit. Il est plus confortable et il permet le recueil des textes. Il s'agissait entre juillet 2022 et février 2023 de 30 cours survolant l'ensemble de la discipline psychiatrique. Le but était de parcourir les grands épisodes de la psychiatrie: son évolution, les névroses, la dépression, les symptômes des psychoses et la variétés des formes de psychoses, le syndrome borderline, les traitements, l'action des médicaments psychotropes, les neurosciences, le stress post-traumatique, les psychothérapies et la psychanalyse y compris un extrait de séance, les toxicomanies, le vocabulaire psychiatrique, les classifications contemporaines, les métiers de la psychiatrie, la psychiatrie en France, l'histoire de la psychiatrie, le mystère des expertises, la recherche.
    J'ai conçu deux façons différentes d'exposer les lieux pertinents de la psychiatrie aux médecins praticiens:
    1°. La méthode des diagnostics. C'est la méthode classique.
    2°. Les méthode des tableaux. C'est une méthode qui répond à la pratique du généraliste.
    HISTORIQUE N°1
    LE DESIR D'ENSEIGNER
    Il existe une histoire de la formation du psychiatre depuis les cours de Falret père et fils à la Salpêtrière sous l'Empire, les cours de Clérambault à l'Infirmerie, ceux du célèbre Lévi-Valensi à Sainte-Anne. L'histoire récente de la psychiatrie a connu d'autres auteurs prestigieux comme Karl Jaspers depuis sa "Psychopathologie générale", publiée en 1913 en Allemagne puis en Suisse, Joseph Lévy-Valensi l'auteur d'un Précis de psychiatrie en France, Nancy Andreasen aux Etats-Unis. Et puis désormais assistons-nous à l'irruption au sommet des DSM.
    On se souvient des grands esprits et des conférenciers d'exception. C'est à Falret qu'on doit "l'invention" de la présentation des malades et c'est à Henri Ey qu'on doit la pédagogie bonhomme des syndromes psychiatriques difficiles! J'ai très bien connu Henri Ey dont le surnom était "le Pape de la Psychiatrie". Il dispensait des cours de psychiatrie dans la bibliothèque de Saint-Anne. Le public était considérable. Henri Ey exposait donc ses conceptions sur l'organodynamisme. Mais encore brassait-il l'ensemble des données de la psychiatrie. Il faisait preuve de générosité en donnant à chacun d'entre nous un rôle dans les enseignements du Cercle d'Etudes Psychiatriques qu'il avait fondé. Ces auteurs demeurent dans l'esprit des psychiatres comme des maitres à penser mais surtout comme des pédagogues. Ils nous laissent un souvenir émouvant et intimidant. Au regard de ces maîtres prestigieux enseigner est source d'inquiétude. Vous êtes sans doute surpris de ne lire aucune évocation des cours universitaires. C'est assez simple: n'importe quel professeur de psychiatrie peut enseigner une "psychiatrie d'externe" à des externes. Mais cet art devient beaucoup plus subtil et beaucoup plus exigent quand on s'adresse à des médecins en exercice.

HISTORIQUE N° 2
    APPRENDRE A DONNER DES COURS!


    Mais voici la grande question. Comment enseigne-t-on la psychiatrie? Je crois que ça s'apprend.
    Quelques souvenirs
    J'ai fait quelques essais d'enseignement. J'ai débuté dans la carrière en donnant de petits cours de psychiatrie à de jeunes collègues. On nommait cela les "Conférences". Plus précisément, vers la fin de mon internat en psychiatrie, à Sainte-Anne, j'ai fait office de "conférencier" pour la préparation du concours de l'internat en psychiatrie d'Ile de France. Je me souviens que dans une salle du service du Dr Bernard ou du Dr Daumezon je réunissais une quinzaine de candidats au concours. Ils étaient tous plus savants les uns que les autres! Je leur présentais un malade du service. La suite consistait en une lecture du texte suivie d'une discussion quant aux qualités et aux défauts de l'examen clinique.
    Quelques temps plus tard après le Médicat je me suis intéressé vers 1974 à l'Agrégation de Psychiatrie. Mais je n'avais pas encore la foi.
    Je dois avouer que je n'ai jamais vraiment aimé cette posture d'enseignant. Pourquoi? Parce que je manquais de patience. Un enseignant doit être savant, patient et tolérant. Il est difficile de cumuler toutes ces vertus.
    Il faut du temps pour enseigner! Je reçois beaucoup moins de patients depuis une dizaine d'années. Je suis en outre convaincu que la difficulté de rédiger le "Glossaire Psychiatrique" et surtout le "Manuel Psychiatrique" m'a donné une leçon. J'ai vécu une sorte prise de conscience salutaire. Tout ceci m'a donc incité à reprendre le flambeau de l'enseignement. Désormais de semestres en semestres des cours succèdent aux cours.

PENSER LA FORMATION
    PENSER LA FORMATION N°1
    L'ELEVE ET LE SAVOIR


    La relation entre le maitre et l'élève ou bien entre l'élève et le savoir
    Le processus de formation redoute deux écueils: la structure et le laxisme. Un modèle de formation trop structuré est comparé à un processus de formatage voire de déformation du savoir. L'enseignement devient alors pour l'élève "une cuirasse doctrinale lui permettant seulement de se protéger des affects et des représentations pénibles suscités par la confrontation avec le patient".
    Le colloque singulier en psychiatrie est assez émouvant. Il est parfois perturbant. Le Pr Jean Delay ne pouvait pas examiner un patient sans la présence d'un aéropage autour de lui. Une cuirasse doctrinale est comparable à une idéologie. Elle protège assurément mais elle estompe le réel.
    Un modèle de formation laxiste suscite chez le jeune médecin des angoisses obscurcissant et escamotant la formation proprement dite. De façon générale le rejet du savoir comporte un grand danger dans l'exercice médical. Je me souviens qu'un de nos collègues chef de service en psychiatrie me parlait d'une théorie du "balancement psychosomatique" au nom de quoi les psychotiques étaient moins atteints d'affections organiques que d'autres! Il était sous l'empire d'une doctrine obscure qui lui masquait la réalité des souffrances. Ces errements redoutables résultent probablement d'une minimisation et d'une occultation des examens cliniques et paracliniques.
    PENSER LA FORMATION N°2
    LE DESIR D'ENSEIGNER
    Enseigner intrigue. Quand naît le désir d'enseigner? Existe-t-il un penchant naturel? Le désir d'enseigner n'est donc pas une chose simple et naturelle. Quant à moi je ne suis pas certain d'avoir rêvé très tôt un avenir d'enseignant. Je me souviens de mes années de lycéen quand mon professeur de latin et de grec souhaitait que je m'intéresse aux Lettres Classiques. Mais pour enseigner plus tard dans les écoles publiques il eût fallu des qualités fondamentales qui me faisaient défaut. Je n'avais ni la patience requise ni une rhétorique adaptée. Je n'avais donc pas la foi.
    PHILOSOPHIE DE LA FORMATION
    Il ne suffit pas de dire "Je veux rendre à autrui ce j'ai appris". Je rappelle le vœu de Platon: o de anexetastos bios ou biotws anqwpoi Une vie non analysée ne vaut pas la peine d'être vécue.
    Il existe un mystère de la relation entre le maitre et l'élève. J'ai éprouvé le besoin d'approfondir le mystère de la relation entre le maître et l'élève, le patron et l'interne. D'une façon générale la question de la relation entre l'élève et le savoir est aussi celle de la relation entre le texte et le lecteur.
    Le souci de l'élève est au cœur de notre civilisation. C'est un problème ancien, profond et mystérieux. Platon nous a transmis la méthode dialectique de Socrate. Sa méthode dialectique ou "maïeutique" ou "accoucheuse d'idées" a nourri la philosophie occidentale. Platon fonde l'Académie à Athènes -du nom d'Académos, héros grec qui sauva Athènes de la destruction- pour y enseigner la philosophie. La méthode était celle des dialogues. La transmission platonicienne des idées a en quelque sorte inséminé l'ensemble de la pensée occidentale. Pourtant la transmission adopte une tournure plus structurée depuis l'avènement de la Sorbonne ecclésiastique Mais on trouve encore des traces très vives de l'académie platonicienne jusque dans la brillante philosophie américaine contemporaine de Léo Strauss.
    Platon s'inspirant de son maître Socrate nous donne aussi voici plus de deux mille ans un avis étonnant et prémonitoire sur l'auto-analyse. Il dit - o de anexetastos bios ou biotws anqwpoi autrement dit, une vie non analysée ne vaut pas la peine d'être vécue ou encore une vie sans introspection, sans réflexion profonde sur ses actions, ses valeurs et ses croyances, n'a pas de mérite réel pour un être humain. Une vie vraiment épanouissante nécessite une réflexion critique et une prise de conscience de soi. Je suppose que chacun comprend la valeur prémonitoire de cette assertion.
    PSYCHANALYSE DE LA FORMATION
    On connaît depuis Freud les liens naturels entre la curiosité scientifique et la curiosité sexuelle. Le désir d'apprendre et de comprendre et l'envie de savoir traduisent une pulsion épistémophilique qui est une pulsion de vie. Comme l'enfant éveille son intelligence en s'intéressant aux problèmes sexuels l'apprenant est animé par une pulsion analogue.
    Le désir d'enseigner n'est pas une chose simple. Evoquons les concepts psychanalytiques de fantasme de toute-puissance du pédagogue et la pulsion d'emprise qui est implicite dans l'intention d'instruire. Tout enseignant doit être capable d'analyser et de résoudre ces pulsions inconscientes à l'œuvre dans le désir d'enseigner, c'est-à-dire de les décrypter et de les aplanir.
    Pourtant enseigner est bien autre chose qu'apprendre quoique on puisse discuter cette opposition. J'ai souvent observé qu'on confortait les savoirs après les avoir enseignés! Mais éprouve-t-on très tôt le désir d'enseigner?
    PENSER LA FORMATION N°3
    Quelles seraient les qualités de l'enseignant en psychiatrie? Ce sont donc toujours les qualités décrites ci-dessus qui sont requises. La patience me fait toujours et encore défaut! Quant à la rhétorique nécessaire au bon pédagogue elle résulte d'une bonne maîtrise du corpus psychiatrique. Cela s'acquiert au cours des années.
    Des cours de psychiatrie s'adressent généralement à des médecins généralistes ou bien à des étudiants en spécialités médicales. L'architecture des savoirs en psychiatrie est très différente de la médecine interne. Le monde des examens paracliniques n'est pas le même. Mais quel que soit leurs cursus nous avons affaire à des élèves de très haut niveau!
    PENSER LA FORMATION N°4
    Mais qu'appelle-t-on un bon niveau? La psychiatrie est peuplée de savoirs complémentaires. Les acquis universitaires ne suffisent pas. Il faut une certaine curiosité et une grande disponibilité aux idées neuves. Je souhaite illustrer la malaise de certains collègues devant les pratiques psychiatriques. Je me souviens à ce propos d'une anecdote très ancienne qui concernait un enseignant. La prescription fait son œuvre! Nous étions dans la Salle de Garde de Sainte-Anne attablés devant la sacramentelle table en "fer à cheval", entre la poire et le fromage. Au cours de la conversation ce candidat à l'agrégation de psychiatrie démontrait qu'il ne comprenait pas ce que voulait dire le mot "traitement psychothérapique". Il m'a apostrophé ainsi: "Qu'est-ce que tu fais si un homme a une dépression au cours d'un cancer de l'estomac? Eh bien moi je lui propose d'abord une opération chirurgicale de son cancer de l'estomac" La conversation devenait étrange et puérile. Je n'ai pas même trouvé les mots pour répondre. Nous n'avions pourtant plus 20 ans! Nous n'étions pas des débutants. Je crois que ces évidences le remplissaient de fierté. Le temps a passé mais je me souviens encore de cette diatribe digne d'un étudiant en médecine de 1ère année! Que dire? On comprend soudain la distance qui sépare des psychiatres d'orientation très différentes. Voici un exemple extrême: les psychiatres psychanalystes et les psychiatres organicistes parlent-ils le même langage? Ce serait pourtant nécessaire. Un psychiatre organiciste est quelqu'un qui ne croit qu'à l'organe c'est à dire à l'anatomie. Il possède donc seulement la moitié de la compétence d'un bon psychiatre. Un psychiatre qui fait seulement de la psychanalyse ne croit qu'aux pensées et aux forces de la pensée. Il possède donc seulement le tiers de la compétence psychiatrique.
    Nous avons absolument besoin d'une bonne psychiatrie. On pense la bonne psychiatrie au miroir de la mauvaise. On ne comprend pas vraiment l'idée d'une psychiatrie compétente si l'on ne possède pas de contre-exemple à quoi la confronter. On critiquera ce qu'on peut légitimement nommer "l'hôpital de la psychiatrie" qui serait le contraire de "la psychiatrie dans l'hôpital"! Pourquoi donc admet-on dans un grand pays comme le nôtre une telle inégalité du niveau de formation? Parce que notre société, contrairement à ce qui se passe à New York, accepte difficilement l'idée de la formation et des contrôles continus. J'admets cependant que la mise en oeuvre des DPC psychiatriques de niveau contestable a suscité quelque agacement parmi les collègues.
    PENSER LA FORMATION N°5
    Une formation permanente attrayante devrait se référer à d'autres sortes de critères que ceux de la HAS ou Haute Autorité de Santé, des DPC actuels et de la santé mentale industrielle. Ainsi par exemple les critères de "l'Evidence Based Medecine" ne représentent qu'une partie des critères d'une psychiatrie efficace.

UNICITE DE LA PSYCHIATRIE N°1


    Comment enseigner la psychiatrie? La quête d'une unicité de la psychiatrie est une condition fondamentale pour assurer un enseignement cohérent.
    Je sais comment j'ai appris la psychiatrie mais je ne connais pas vraiment le secret d'une formation idéale en psychiatrie. C'est pourquoi la grande question des cours de psychiatrie ne cesse de me préoccuper. Peut-être ne trouverons-nous aucune réponse à cette question lancinante.
    La question se pose pourtant: comment faut-il enseigner? Les principes de cette formation sont difficiles à formaliser. Il faut assumer une conjonction des apprentissages: un savoir informel, des cours magistraux, de l'autoformation et des savoirs dogmatiques.
    Première constatation. Le désastre de la formation permanente en psychiatrie est patent.
    Deuxième constatation. Les congrès ne font plus guère fortune. Ils sont de moins en moins fréquentés.
    Troisième constatation. L'émergence au sommet des différentes versions du DSM apporte à l'univers psychiatrique tout à la fois une source d'enrichissement puisqu'il s'agit d'un espéranto psychiatrique mais aussi de nombreux motifs de conflits. Tous nos collègues constatent que dans le sillage des diverses versions du DSM émerge une atmosphère de conflits, de rancœur et d'acrimonie.
    Je ne pense pas que la conflictualité soit une chose neuve en psychiatrie. J'évoquais jadis la "conscience malheureuse" des psychiatres partagés entre la nosologie, la biochimie et la psychanalyse. Nous avions néanmoins un vague sentiment d'unicité de la psychiatrie. Cette unité trouvait une solution concrète dans la Société et la Revue de "l'Evolution Psychiatrique". Depuis l'installation des classifications internationales ce sentiment est en train de disparaître. Le souci principal c'est l'effroi du DCM à l'égard des théories! C'est ainsi que le langage des articles, des congrès et des ouvrages ne contribuent plus du tout à créer un monument psychiatrique commun à tous. Les congrès ne parviennent plus à rassembler les différents composantes de la psychiatrie.
    Un exemple remarquable de ce confusionnisme ambiant est apparu à la faveur des expertises du tueur de masse norvégien, Anders Behring Breivik. Il était mu par une idéologie de la suprématie blanche. La question posée par le public et par le parquet était assez simple. Breivik est-il fou? Est-il responsable de ses actes? Le premier collège d'experts norvégiens a évoqué une série de diagnostics psychiatriques notamment la schizophrénie plus précisément une schizophrénie paranoïde. Le deuxième collège d'expert, Dieu merci, a considéré que l'inculpé était indemne de troubles psychiatriques. Donc l'affaire Breivik avait suscité une expertise en deux temps. La première expertise fut déplorable, inspirée par des connaissances dogmatiques, livresques et naïves. L'autre collège l'a considéré comme responsable de ses actes. Ces deux collèges s'inspiraient de nosologies et de doctrines psychiatriques différentes! Je ne sais pas comment procèdent les tribunaux norvégiens mais en France, en théorie, ce n'est pas l'expert qui décide mais en fin de compte c'est le parquet! On nous dit que le public norvégien s'était emparé du débat scientifique au point que le procès s'est transformé en un "championnat de Norvège de psychiatrie". L'opinion pour une fois a joué un grand rôle, un rôle bénéfique, pour susciter une seconde expertise! Chacun avait donc un avis. Il peut arriver aussi en France qu'on découvre 60 millions d'experts psychiatres! Souvenez-vous des errements des expertises dans l'affaire d'Outreau et dans l'affaire Sarah Halimi
   

UNICITE DE LA PSYCHIATRIE N°2


    Pour enseigner l'unicité de la psychiatrie est donc une condition minimale. Quels sont les principes susceptibles de conforter l'unicité de la psychiatrie? Autre façon de parler: qu'est-ce qu'une bonne psychiatrie? On se souvient des conseils de Brisset (Manuel de Psychiatrie de Henri Ey, Bernard et Brisset). Il assignait à la formation en psychiatrie un triple rôle: "l'apprentissage de la pratique, l'acquisition des connaissances et la mise en question de la personne du psychiatre".
    Quels seraient les critères d'une bonne formation découlant des principes?
    La formation du psychiatre oblige à penser une conjonction des apprentissages. Le psychiatre doit être apte à survoler un champ assez vaste qui s'étend de la pharmacologie à la psychanalyse.
    1°Une approche globale, synthétique et syncrétique, additionnant les données cliniques, biologiques, psychologiques, sociales et culturelles des troubles mentaux. Le syncrétisme implique que les données historiques ne doivent pas être négligées.
    2°Une connaissance de la nosologie psychiatrique et de la pharmacologie
    3°Une formation pratique auprès des patients par analogie avec la formation médicale "au lit du malade".
    4°Une formation composite comprenant des cours magistraux, une discussion de cas cliniques, un encouragement à l'autoformation et à la recherche.
    5°Une supervision paraît nécessaire.
    6°Une réflexion juridique et éthique est indispensable compte tenu de l'impact des loi régissant les soins contraints.
    7°Une "science de l'institution psychiatrique".
    8°Décrypter les productions de l'esprit requiert une connaissance de la psychanalyse et des psychothérapies.
    9°Une initiation aux réflexions philosophiques suscitées par les troubles mentaux.
    10°Une capacité d'actualiser les connaissances

   

Vendome (Fr.Favard 2018)

LA PSYCHIATRIE ET LA VULGARISATION
    L'INTERET DE LA VULGARISATION


    Quittons l'univers de la formation scientifique destinée aux internes, aux médecins généralistes et aux futurs spécialistes en psychiatrie. J'ai pensé à un tout autre public. J'ai voulu réfléchir à l'initiation destinée à un public curieux, un public soucieux d'enrichir ses connaissances.
    Ce numéro s'intéresse à la vulgarisation psychiatrique. Il manque des ouvrages de vulgarisation en psychiatrie. La vulgarisation est sans doute le parent pauvre de la formation. De nombreuses maisons d'éditions se sont consacrées à la vulgarisation scientifique. Les références affichées vont de préférence à l'histoire, aux pharaons, à l'archéologie, à l'anthropologie et surtout aux sciences dites dures comme le nucléaire, l'astronomie ou le clonage. Les éditeurs s'intéressent même aux notions complexes de la philosophie parcourant plus volontiers l'histoire des penseurs de la philosophie que le sens des concepts abstraits. La vulgarisation craint la nuance, la complexité et surtout l'abstraction. Je connais peu d'ouvrages de vulgarisation de la psychiatrie. J'ai retenu cependant un titre dans la célèbre édition "Pour Les Nuls": "La Psychiatrie Pour Les Nuls" de Jacques Hochmann, que je n'ai pas encore eu le temps de lire.
    Pourquoi ce genre d'ouvrage est-il aussi rare? Il existe une raison essentielle. La psychiatrie fait peur! J'ai compris cet effroi quand j'ai tenté d'approcher des éditeurs d'ouvrages pour la jeunesse avec cet intitulé "la psychiatrie pour les nuls", "la psychiatrie pour les profanes" ou "la psychiatrie pour les débutants". Personne n'en voulait! C'est pourquoi j'ai fait un essai cette année, en 2023, auprès des lecteurs qui me suivent. Il s'agissait dans mon esprit d'une pure fantaisie. Mais en réalité c'est un sujet sérieux. Tout enseignement côtoie ou frôle la vulgarisation!

LA PSYCHIATRIE POUR LES PROFANES


    Comment est née cette idée? Après mon cours de psychiatrie qui a eu un succès imprévu, j'attendais 5 ou 6 confrères généralistes et il y en a eu 460, une idée saugrenue m'est alors venue à l'esprit: la psychiatrie pour les nuls! Mais le terme profane est sans doute plus approprié.
    La célèbre collection "Pour Les Nuls" est devenue une sorte de plaisante référence pour acquérir de façon ludique des savoirs et des connaissances. Publiés aux éditions First, je crois bien qu'elle est née aux Etats-Unis. J'ai moi-même cédé aux sirènes des nuls en lisant "L'Economie Pour Les Nuls" qui est un texte savoureux. Peut-être parviendrai-je ainsi à comprendre le mystère de l'inflation.
    J'ai donc conçu un texte d'initiation à la psychiatrie destinée aux lecteurs curieux intitulé "La Psychiatrie pour Les Profanes" (Il est déjà consultable à tirage limité sur site du Bulletin).
    PRINCIPES DE LA SIMPLIFICATION
    La vulgarisation des textes psychiatriques n'est pas chose facile. Je n'y suis pas habitué. En quoi consiste-t-elle? La vulgarisation consiste à raconter une histoire oscillant entre le sérieux et le plaisant.
    J'avais besoin pour cela de quelques lecteurs innocents et bienveillants pour donner un avis. J'ai reçu quelques réponses mais très peu de commentaires.
    VOICI QUELQUES EXTRAITS DU TEXTE.
    "Je me suis souvenu des livres anciens. Peut-on apprendre la science, la grammaire française ou mieux encore le latin ou le grec en s'amusant? Le merveilleux Salomon Reinach en 1910 s'y était exercé dans de très petits ouvrages destinés aux jeunes gens cultivés. Il avait choisi des titres plaisants, "Sidonie ou le français sans peine" et "Eulalie ou le grec sans larmes". La psychiatrie, je le sais bien, a toujours fait peur aux profanes. Mais elle n'est rien d'autre qu'une spécialité médicale. Je souhaite donc montrer au public en quoi la psychiatrie est une spécialité médicale qui soigne les maladies mentales. La première tâche du lecteur parcourant le texte en entier ou bien en partie consiste à examiner les termes compliqués. J'ai toujours aimé ce dicton de Condillac: "la science est une langue bien faite". Condillac pensait précisément que le langage est le lieu privilégié de résolution des problèmes de la connaissance"
    Notons que j'avais jadis en 2006 conçu un texte comparable destiné aux jeunes enfants et aux adolescents. Il est accessible (bulletindepsychiatrie.com/psyenfants.htm). Ce texte n'a pas non plus intéressé les éditions pour la jeunesse. J'ai reçu les réponses conventionnelles que vous devinez.

LE SERIEUX ET LE PLAISANT
    1° LE SERIEUX


    C'est le contenu dogmatique: le corpus psychiatrique, la liste des maladies et les informations complémentaires. En voici un aperçu: "Les névroses - . La dépression - Les cas cliniques - . Les psychoses - . Les variétés de psychoses - . Les symptômes des psychoses - Traits communs aux psychoses - . Le syndrome borderline - . Les traitements - . L'action des médicaments - Les psychothérapies et la psychanalyse - . Vocabulaire - Les toxicomanies - Les classifications - . Les métiers de la psychiatrie - . La psychiatrie en France - L'histoire de la psychiatrie - . Le mystère des expertises - . La recherche".
    J'y explique l'opposition entre l'antique adage "la folie n'est rien d'autre que l'exagération du caractère habituel" et une autre conception beaucoup plus scientifique "la folie requiert une classification des maladies sur le modèle médical". J'opte bien entendu pour la seconde définition.
    J'y explique néanmoins que beaucoup de psychiatres et surtout de psychologues rêvent d'abandonner les entités cliniques au profit des modèles de la psychologie scientifique. On ne veut plus de syndromes cliniques précis. On ne veut plus déceler des maladies mentales. On cherche à situer l'individu dans ses extravagances et ses dérapages. On souhaite une multiplication des tests psychométriques. Et dans ce cas j'affirme que je n'adhère pas à cette tendance. Pourquoi? Parce qu'elle traduit un désir de méconnaitre l'existence des troubles mentaux.
    Comment pense-t-on la classification en 2023? La classification classique dit psychodynamique est encore d'actualité. Elle tend de plus en plus à trouver une harmonie avec les classifications internationales, comme la CIM-10 et le DSM-5. Une autre classification est peu connue, proposée par l'école de Wernicke-Kleist-Leonhard. Elle veut être utile aux chercheurs.
    Dans les milieux psychiatriques on se pose la question des avantages et des inconvénients du DSM. Les avantages c'est l'esperanto psychiatrique susceptible d'être compris par les psychiatres du monde entier. Les défauts? C'est la simplification extrême et la tendance biologisante. Une carence grave: c'est la méconnaissance des processus psychothérapiques.

2°LE PLAISANT


    La vulgarisation requiert une certaine forme de légèreté. Elle doit plaire au vaste public des lecteurs cultivés. Aux connaissances scientifiques s'adjoignent des commentaires sociaux et professionnels. Le but général consiste à asseoir cette science dans le discours trivial. Un autre but consiste à dédramatiser les affections.
    Nous évoquerons donc le rôle social de la psychiatrie, les divers métiers de la psychiatrie et le conseil à l'aspirant psychiatre.
    *LE PSYCHIATRE SOUVENT FAIT PEUR
    La psychiatrie n'est pas toujours en odeur de sainteté. On lui reproche beaucoup de choses: de ne pas assez protéger la société d'individus supposés dangereux, de justifier un crime en voulant trop comprendre le criminel ou au contraire de se montrer exagérément répressive et d'interner arbitrairement des gens "normaux". Le psychiatre fait peur quand on lui prête un regard en transparence, capable de détecter derrière un comportement apparemment normal une tare cachée. On a honte de le consulter. "Et s'il allait, pense-t-on, nous considérer comme dérangés?". Les gens ne révèlent pas qu'ils consultent un psychiatre.
    *MAIS QUI EST-IL VRAIMENT?
    Et pourtant, on attend beaucoup de la psychiatrie. Il se trouve que le psychiatre est souvent sollicité à la radio, à la télévision et dans les journaux. Pourquoi? On sollicite son point de vue sur des phénomènes de société: comment élever les enfants, comment vivre en couple, comment surmonter un traumatisme ou encore comment expliquer un crime atroce. Les expertises psychiatriques des grands criminels passionnent le public. On se souvient des articles et des émissions concernant la très célèbre affaire criminelle du faux-médecin Jean-Claude Romand. Tout le monde se posait la question "fou ou pas fou"! Les commentaires des experts ont intéressé le public.
    *LES METIERS DE LA PSYCHIATRIE
    Le public souhaite connaître les différents diplômes et métiers qui approchent les malades mentaux. Comment décrire ces métiers? Il est possible de faire simple mais précis.
    1)le psychiatre est un médecin qui a tout d'abord appris toute la médecine pendant 6 à 10 années après le baccalauréat et qui acquiert sa spécialité durant les quatre années supplémentaires. On a coutume de dire que ce sont des études difficiles et fatigantes. C'est tout à fait vrai. Cela représente donc un minimum de 11 à 14 ans d'études à la Faculté de Médecine et dans les hôpitaux. Comme tous les médecins le psychiatre obéit aux règles déontologiques. Comme tous les médecins les psychiatres possèdent une connaissance intime de la souffrance humaine.
    2)Le psychologue clinicien a suivi une formation à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines pendant 4 ou 5 années avant d'obtenir son diplôme. Le titre de psychologue est réservé aux titulaires d'une licence mention "psychologie" et d'un master2 mention "psychologie"
    3)Le psychothérapeute qu'il soit psychiatre ou psychologue n'a pas de diplôme particulier de psychothérapie délivré par les universités. Il s'est formé parmi des associations. L'exercice de la psychothérapie est défini dans l'article 52 de la loi du 9 août 2004 appelé parfois "amendement Accoyer". L'usage du titre de psychothérapeute est donc absolument réservé aux psychologues, aux médecins et aux psychanalystes sous certaines conditions de connaissances en psychopathologie.
    4)Le psychanalyste. La psychanalyse est une forme de psychothérapie extrêmement difficile et je dirais même "sophistiquée". Elle fut longtemps et sans doute aujourd'hui encore la reine des psychothérapies. Elle est apprise pendant de très longues années au sein d'associations de praticiens. Ils sont bien souvent des psychiatres mais on trouve aussi parmi eux des psychologues cliniciens. Le fait fondamental, vérité absolue pour un psychanalyste (mais ceci devrait être vrai aussi pour un psychothérapeute): le futur psychanalyste doit absolument avoir lui-même vécu et subi une longue psychanalyse personnelle. Elle est souvent dite "didactique". Questions fréquentes. Pourquoi la psychanalyse requiert-elle un divan? Parce que ce dispositif technique favorise une détente et une spontanéité utile à la thérapie. Un psychanalyste demande en outre qu'on vienne 2 ou 3 fois chaque semaine pendant quelques années. Le raisonnement est le même pour une psychothérapie. Nos contemporains éprouvent cependant quelques difficultés à répondre à ces exigences.
    5)L'infirmière psychiatrique. C'est une spécialisation originale du métier d'infirmière. Les promotions classiques sont l'infirmier en pratique avancée et le cadre de santé.
    *Le projet d'études
    Je m'adresse aux adolescents qui rêveraient un jour de s'engager dans cette voie d'études, celles de la psychiatrie. Sachez que la psychiatrie est certainement une profession admirable et difficile. La formation est longue et assez rude. Mais sachez aussi que cette spécialité n'a jamais figuré comme une voie brillante aux yeux des futurs médecins. Les internes préfèrent souvent d'autres spécialités plus attrayantes ou plus prestigieuses comme la chirurgie ou la cardiologie. Dans ma génération le lycéen le plus brillant d'entre nous avait choisi une carrière médicale prometteuse spécialisée dans les maladies rénales. La psychiatrie est donc un choix mûrement réfléchi.
   

Ludwig FINELTAIN

Psychiatrist and Psychoanalyst
PARIS (FRANCE)