Bulletin de psychiatrie
(parution semestrielle ou annuelle)
Bulletin N°23
(Complément du Bulletin N°22)
Edition d'août 2017
   Mise à jour en janvier 2017 version 11012017

Les medias, le terrorisme et la psychiatrie


Dr Ludwig Fineltain
Neuropsychiatre
Psychanalyste
Paris

E-mail: fineltainl@yahoo.fr
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Isere 44
Isere 44

Bulletin N°23
   

Psychiatres et médias

    Voici une suite inattendue de l'article sur les rapports entre psychiatrie et terrorisme paru dans le précédent numéro du Bulletin de psychiatrie, le N°22 intitulé "terrorisme.htm". Ce thème a inévitablement suscité la curiosité des journaux. Il se trouve que je n'aime pas beaucoup les journalistes pour de multiples raisons que je ne vais pas développer. Mais cette dernière journaliste d'un grand hebdomadaire a su trouver des arguments émouvants. Elle a en outre co-signé un livre avec une grande conscience française!

Les questions du journal

    "Je suis journaliste dans un grand journal hebdomadaire. Nous préparons un dossier de couverture sur le sujet suivant: nos services de renseignement sont dépassés par la menace terroriste. Les forces de l'ordre appellent "dossiers camisoles" ces personnes à la frontière entre folie et radicalisation violente dont ils redoutent qu'elles se transforment en "loups solitaires" comme la France en a déjà connu quelques-uns. Leur prévalence est évaluée entre 10 et 20% des profils surveillés en France. Mes questions: pouvez-vous y répondre?"
    *Comment faire la différence entre un radicalisé à la personnalité borderline et un malade mental susceptible de céder à la radicalisation violente?
    *Quel mécanisme, quel contexte peuvent pousser à l'acte terroriste un malade mental?
    *Le milieu médical doit-il coopérer avec les services antiterroristes pour signaler les profils à risques?
    *Rares sont les terroristes jugés fous (pour faire simple) par les experts psychiatriques. Est-ce étonnant?

Argumentaire

    Je dois d'abord constater que je ne connaissais pas le terme de "dossiers camisoles" qui désignent en somme ces personnes à la frontière entre folie et radicalisation violente. Les forces de l'ordre redouteraient que ces individus, de façon irrationnelle, se transforment en "loups solitaires" comme la France en a déjà connu quelques-uns. La prévalence de ces cas pathologiques dîtes-vous est évaluée entre 10 et 20% des profils surveillés en France. Je ne connaissais pas non plus ces statistiques précises. Mais ça correspond à peu près à ce que j'imagine. J'évaluerais plus volontiers les cas pathologiques à 5%.
    On sollicite assez souvent les psychiatres pour expliquer l'inexplicable. En réalité il y a fort peu de troubles psychiatriques parmi ces terroristes. Quand ils sont décelés on se demande alors quelle serait la forme de pathologie prédictive de terrorisme. Mais en réalité il n'y pas de prédiction si la pathologie s'efface au profit de l'idéologie.
    Je dois dire que je ne crois guère au "loup solitaire". Un terroriste isolé a été en réalité conforté par un climat familial ayant entretenu la vindicte idéologique depuis le berceau. Nous connaissons des précédents fameux: les Haschichin. Cette minorité religieuse de chiites ismaéliens a été fondée en Perse en 1094 par Hassan Ibn Sabbah et elle s'est organisée pour survivre aux persécutions. Cette minorité sectaire était considérée comme très dangereuse. Les enfants y bénéficiaient d'un endoctrinement et d'un entrainement depuis le berceau. Les loups solitaires avaient donc bénéficié d'une longue préparation que je qualifierais de "familiale"!

Cas cliniques

    Cependant nous connaissons des cas psychiatriques particuliers. Je crois que des individus comme Mohamed Merah, le tueur des soldats métissés et des enfants juifs, Mohamed Lahouaiej Bouhlel, l'assassin de Nice et le psychiatre américain Nidal Malik Hasan, ont certainement exposé dans leur jeunesse des signes de dangerosité pathologique aux psychiatres qui les ont reçus.
    Quatre ou cinq individus ont donc suscité des discussions psychiatriques
    1)Anders Breivik
    Les services sociaux, durant son enfance, avaient plusieurs fois suggéré une assistance éducative. Ils estimaient que l'enfant était perturbé par le divorce des parents.
    Il a développé par la suite avec une logique implacable une idéologie de la suprématie blanche. Il maintient entièrement ses positions depuis sa condamnation.
    Les expertises ont été contradictoires. Elles ont suscité dans le pays une sorte de concours national de psychiatrie! Que nous ont appris les conclusions des deux collèges d'experts?
    Ma première conclusion est celle-ci. Toute cette science psychiatrique norvégienne s'est développée sous l'empire de l'ICD-10. Cette classification n'est certes pas mauvaise mais elle ne constitue pas un corpus clinique psychiatrique pertinent. Réduite à elle-même, elle débouche sur une psychiatrie appauvrie. L'ICD comme le DSM ne sont que des outils techniques de classification nosologique et de communication entre psychiatres. Ces outils sont particulièrement utiles et importants en particulier dans les expertises médico-légales mais ils ne représentent pas la psychiatrie. Ils constituent seulement des compléments de l'appareillage médico-légal. Ils sont une petite partie de la psychiatrie. Ce rétrécissement progressif du corpus psychiatrique pourrait à terme menacer la pratique psychiatrique en France! On ne peut pas se priver des apports de l'histoire de la psychiatrie européenne. Si donc la première expertise norvégienne était tout simplement scandaleuse, la seconde rétablit un certain bon sens psychiatrique. Mais elle est cependant fragilisée par l'usage excessif et envahissant d'une classification réductrice.
    A l'heure européenne les tribunaux doivent prendre garde aux futures contestations de leurs conclusions. Des demandes de contre-expertise pourraient fort bien émaner d'autres pays européens. On peut sans peine imaginer une contestation pertinente de la première expertise fondée sur une saine conception de la science psychiatrique. Mais une contestation est aussi possible à l'encontre de la seconde expertise norvégienne. On peut considérer qu'elle n'accorde pas suffisamment de crédit au raisonnement psychiatrique classique qui est tout de même plus pertinent que celui des seules classifications CIM et DSM. Les deux nouvelles classifications internationales constituent un enrichissement incontestable de la pensée psychiatrique. Mais elles ne sauraient en aucun cas se substituer au riche corpus clinique psychiatrique classique. Nous pensons que ces méthodes s'épaulent l'une l'autre. Nous attendons un dialogue entre ces différentes approches mais non pas une nouvelle nosographie.
    Plusieurs questions sont soulevées à la faveur de ces deux expertises. La première observation est assez grave. Il s'agit de la faiblesse des écoles psychiatriques actuelles dans certaines régions du monde. Je remarque ensuite l'impact négatif d'une doctrine psychiatrique fondée uniquement sur les systèmes de description des CIM et des DSM qui affaiblissent tout de même le corpus psychiatrique. Comme j'ai coutume de faire l'éloge de ces nouvelles classifications en particulier dans mon Bulletin* et en particulier dans les expertises médico-légales je ne saurais donc aisément me dédire. Je crois que nos collègues norvégiens ne conçoivent pas l'usage des classifications comme de simples compléments. En relisant leurs expertises je me suis demandé si je n'étais pas contraint de réviser mes jugements. Je ne souhaite pas dénigrer abusivement les fondements du DSM et de la CIM mais on en voit l'effet délétère quand celles-ci remplacent totalement les enseignements de la clinique psychiatrique classique.
    Enfin nous déplorons que les idéologies basées sur "la pensée conventionnelle" pervertissent les jugements sereins des experts et des sapiteurs. Nous avons hélas déjà connu cette forme de dérapage en Union Soviétique à l'époque où les psychiatres de l'Institut Serbski étaient des collaborateurs de la police politique du pouvoir. Si le tribunal d'Oslo avait conclu à la folie de Breivik nous aurions déploré qu'un pays aussi avancé que la Norvège, adoptant une médecine idéologique, trahisse les idéaux de la psychiatrie. Ceci ne s'est finalement pas produit. Il n'est jamais convenable d'encourager des psychiatres à jouer un rôle de supplétif du pouvoir, de la presse et de l'opinion publique.
    2)Retour sur l'affaire Mohamed Merah
    Cette affaire survenue en 2012 fut d'une exceptionnelle gravité. Je rappelle que Mohamed Merah a été le tueur de soldats métissés et d'enfants juifs.
    Dans le numéro 22 du Bulletin, je notai ceci: "La démission parentale va jouer ici un rôle classique réalisant une forme d'abandonnisme intrafamilial dans la genèse des pulsions suicidaires". Les contenus des examens cliniques et des expertises effectuées en prison en 2008 doivent être examinés avec minutie. Tout compte: les dires aussi bien que les omissions. Merah se montra donc dépressif quand il fut incarcéré. Comment comprendre l'insuffisance du diagnostic? Pourquoi n'a-t-on pas approfondi l'examen psychiatrique? Est-ce le manque de temps? Ou bien est-ce une forme de déni de la cruauté de certaines idéologies. Mais aussi peut-on imaginer que l'expert avait songé chez son patient à une forme de simulation voire de dissimulation. Pourquoi ne pas en avoir parlé?
    3)Mohamed Lahouaiej Bouhlel
    En 2016, il a donc fauché plus de 80 personnes à Nice au volant d'un camion.
    La presse nous le décrit comme un parfait psychopathe pris en charge par un psychiatre en Tunisie dès la prime adolescence. Mohamed Lahouaiej Bouhlel est né le 3 janvier 1985 dans la banlieue de Sousse en Tunisie. Selon son père, le jeune homme a fait une dépression au début des années 2000: "Il devenait colérique, il criait, il cassait tout ce qu'il trouvait devant lui". C'est son père qui l'avait mené à la consultation spécialisée. Il avait alors 19 ans et il était incapable de s'intégrer au groupe des étudiants de première année de faculté, en année préparatoire aux études d'ingénieur. Il présente d'importants troubles du caractère et du comportement. Il est plus ou moins incohérent. Il a du mal avec sa propre image, avec l'image de son corps. Il ne se trouve pas assez robuste et fait de la musculation. Il se montre très violent. Mohamed en arrive à enfermer ses parents à clé dans une pièce. C'est pour cela que le père l'incite à consulter.
    On a montré à un journaliste de la BBC une ordonnance du psychiatre de Sousse, datée du 20 août 2004, le Dr Hamouda Chemceddine. Il déclare: "Je lui ai prescrit de l'Haldol qui est un antipsychotique. J'ai eu l'impression en relisant le dossier d'un début de psychose". Le médecin ne l'a jamais revu. Mais, estime-t-il: "Même pour un psychotique, pour qu'il y ait un passage à l'acte d'une telle cruauté, c'est qu'il y a eu un endoctrinement quelque part, que ce soit le fait d'un groupe constitué ou d'une personne".
    Notons à cet égard une forme de proximité entre le père et le fils, plus grande qu'on imagine. Au début des troubles psychotiques caractérisés comme par exemple l'héboïdophrénie les parents ne peuvent pas vraiment "inviter ou conduire" le patient à la consultation psychiatrique. Le destin habituel de ce genre de pathologie est d'ordinaire l'Hospitalisation à la Demande d'un Tiers ou l'Hospitalisation d'Office c'est-à-dire les soins contraints qu'on nommait autrefois "internement".
    Il avait dix frères et sœurs considérés par le voisinage comme "très complexés". Tout ceci invite à examiner la nature des relations des enfants avec les parents. Les informations psychiatriques du psychiatre tunisien sont donc floues, caractérisées par une conception purement symptomatique de la psychiatrie, sans aucun diagnostic. Le concept de psychose, isolé, n'a aucune pertinence. Il n'existe pas de psychose pure, de psychose en soi, mais des variétés de psychoses. Sans doute voulait-on évoquer l'héboïdophrénie ou le début d'une schizophrénie. Mais rien n'est dit: ce n'est pas de la psychiatrie!
    Quant à la révélation ultérieure à Nice de sa bisexualité et notamment d'une liaison avec un homme de 73 ans, cette bizarrerie n'est pas particulièrement éclairante. On peut supposer aussi qu'il s'agissait d'une conduite purement utilitaire!
    4) Le psychiatre militaire américain Nidal Malik Hasan
    Le major Nidal Malik Hasan est l'auteur de la tuerie de Fort Hood au Texas en 2009. Il a tué 13 "marines".
    La presse nous l'a décrit comme un homme non-violent n'aimant pas les armes. C'est un citoyen américain d'origine palestinienne. Il est devenu psychiatre au sein de l'US Army. Son entourage dresse le portrait d'un homme doux, doté d'une solide éthique professionnelle. Mais il apparaît aussi comme un homme fragile, très affecté par les récits des soldats revenus d'Irak ou d'Afghanistan.
    On peut penser que chez lui les troubles mentaux étaient assez nets pour qu'on eût pu prévoir les passages à l'acte. En quoi consistait son trouble? De nombreuses raisons ont été avancées pour expliquer le geste de Malik Nadal Hasan. Ainsi, lorsqu'il était interne au Walter Reed Army Medical Center, ses supérieurs et professeurs le trouvant "schizoïde" s'étaient interrogés sur sa santé mentale. Le Dr Michael Welner, médecin expert à New York a mené des entretiens avec des meurtriers de masse. Son expérience lui suggère ceci: "Un tel individu qui se livre devant tout le monde à un meurtre de masse éprouve le besoin de créer un spectacle et recherche une forme d'immortalité". Le Dr Welner note également les difficultés de Hasan pour trouver une épouse.
    Je suis pour ma part intrigué par son profond besoin d'affiliation à un maître à penser. Je trouve que nous avons là une thématique importante. Mais en réalité ce n'est pas un fait tout à fait isolé parmi les psychiatres qui invoquent plus volontiers des maîtres à penser de haute tenue intellectuelle comme Freud, Jaspers, Lacan ou même Girard. Je voue moi-même une certaine admiration argumentée à Henri Ey, Freud, Piaget et Paul Ricoeur (il se trouve que je fréquentais beaucoup Henri Ey et puis Paul Ricoeur, que j'ai été l'élève de Piaget en 1957 et que d'autre part je n'ai pas cessé d'étudier Freud). Mais, j'y insiste, c'est la posture de dévotion qui fait problème. Il est bien rare que les psychiatres revendiquent Jésus ou Allah dans leur conduite professionnelle! La foi en Dieu d'ailleurs n'apparaît pas non plus dans les écrits des psychiatres et des psychanalystes. Je me souviens cependant d'un collègue à Paris, Psychiatre des Hôpitaux et Chef de service, qui vouait un culte à un grand roi parce qu'il avait su regarder le soleil en face! Je me souviens d'une autre collègue à Maison-Blanche qui vénérait Staline sans aucune note d'humour. Elle disait par exemple: "Pour comprendre la question nationale juive il suffit de relire Staline"! Je ne parle pas d'une admiration légitime pour ce dictateur pour avoir vaincu le nazisme comme nous admirions tous Winston Churchill, Roosevelt, Wladyslaw Eugeniusz Sikorski ou surtout Charles de Gaulle. Non! Elle le vénérait. Mais la vénération de Hasan pour Anwar al-Awlaki qui fut l'un des sectateurs d'Al-Qaida cela constitue un pas qu'on ne franchit pas aisément! Mais d'une façon générale la question de la dévotion et de la vénération pose problème.
    Cependant le recueil des symptômes, "distant", "paranoïaque", "agressif" ou "schizoïde" est quelque peu insuffisant. Nous voici encore une fois handicapé par une lecture DSM de la clinique psychiatrique qui est un petit peu appauvrissante. Notons tout d'abord parmi les traits de personnalité une sensibilité proche de la sensiblerie qui n'est pas coutumière chez un médecin spécialiste psychiatre. A quel moment une sensibilité exagérée devient-elle pathologique? Lorsqu'elle se transforme en "sensitivité" c'est-à-dire que toute parole est prise pour un coup de poing. Ceci s'intégrant parfois dans l'ensemble très classique de la "paranoïa sensitive". Il n'est pas non plus habituel que la religion joue un tel rôle dans la conception du monde d'un psychiatre.
    On peut hésiter chez ce criminel entre le trouble de la personnalité et un processus psychiatrique structuré. Mais alors quid de la responsabilité? Il est cependant certain que l'idéologie et la religion sont chez Hasan des outils plus puissants que le trouble mental.

DISCUSSION

    Des échanges de notes à la recherche d'avis pertinents.-
    D'une façon générale les responsables de la sécurité se plaignent de ne pas trouver de réponses dans leur propre univers professionnel. Il faudrait selon moi des sociologues dans la gendarmerie et il faudrait des militaires dans les milieux intellectuels! Nous trouvons certes quelques personnes dans la société civile qui ont compris la posture anti-terroriste. Ils s'expriment dans des mouvements très démocratiques. Nous les connaissons tous. Peut-être ne les écoutons-nous pas assez.
    J'ai eu entretemps des échanges avec quelques responsables des forces de l'ordre. L'un d'entre eux a rédigé une thèse de 3ème cycle. Dans un courrier destiné à un officier de gendarmerie je décrivais mon point de vue comme je l'ai fait dans mon dernier article du Bulletin de Psychiatrie: "Cette grave affaire du terrorisme en France est devenue une crise de civilisation qui va nous occuper durant 15 ans. J'ai lu des extraits de votre thèse. Mais j'ai pu récemment en acquérir l'intégralité. Je reprends ma conclusion. Nous avons besoin de distinguer le possible et l'impossible dans la prévention. La dé-radicalisation me paraît utile mais illusoire. J'ai insisté sur le précédent de la dénazification parce que j'en connais le caractère illusoire. On n'a pas su mener la dénazification sérieusement jusqu'au bout pour plusieurs raisons que tout le monde connait aussi bien que moi. Il en sera de même avec le salafisme qui pourrait passer au travers des mailles pour des motifs de politique internationale. Il y a une menace externe et une menace interne massive. Le programme devrait être mixte: sanction et rééducation non seulement individuelle mais aussi familiale. Une assistance éducative? Il faut promouvoir une éducation correcte qui pourrait impliquer la mise à distance de familles dont le rôle maléfique est incontestable. Ceci me paraît prioritaire pour protéger ces enfants des incapacités parentales et des influences néfastes d'idéologies inhumaines et meurtrières.
    Plusieurs sujets sont très difficiles à traiter. Le salafisme peut être légitimement quiétiste et piétiste sans être nécessairement violent ni terroriste. Le profilage sera donc le travail de fonctionnaires très entrainés. Et puis d'autre part se pose une question politique redoutable. Comment encourager une politique étrangère ferme à l'encontre des pays bienveillants avec les terroristes? Je connais au moins cinq pays de ce type. Je ne sais pas quelle est la bonne posture diplomatique. Je connais certes la Realpolitik mais il y a pour cela des responsables politiques beaucoup plus compétents que moi. C'est une question qui me dépasse. Je sais d'autre part que des gens ont plaidé pour la création d'un "Guantanamo à la française" pour contrecarrer le futur afflux de la vague djihadiste. Cela me paraît intéressant.
    La prévention consiste à mener de front l'éducation et les sanctions. Il n'existe pas vraiment de prévention psychiatrique. Comme dans l'affaire Breivik, la psychiatrie ne peut pas expliquer l'idéologie. L'un des moments qui intéressent le psychiatre et le psychologue c'est celui de la bombe humaine qui est soit un suicide ordalique soit un passage à l'acte requérant des déclencheurs immédiats et des surdéterminations. Je crois aux surdéterminations.
   

Les explications de fond
    Sociologie du terrorisme

    J'ai quelques intuitions à cet égard:
    1) Des frustrations noétiques
    Des populations entières démunies de biens noétiques ne comprennent pas la civilisation assez avancée qui est la nôtre. Pour prendre un ou deux exemples: le respect dû aux femmes et la reconnaissance du droit des homosexuels. Toutes ces choses qui finalement sont des fruits de la modernité que nous admettons tous en dépit de nos instincts primaires. Elles leur paraissent tout à fait artificielles et incompréhensibles. Or le numérique a fait une intrusion brutale dans toutes les couches de la planète. Des peuples entiers ont l'œil fixé sur l'écran numérique, tout à la fois très proches et très lointains et ils ne comprennent pas ce que nous faisons. Ils se sentent perdus. En contrepartie nous observons l'intrusion d'une dimension humaine dans l'empire numérique planétaire. C'est l'humain au risque du numérique. Ou bien inversement le technologique au péril de l'humain!
    2) Des frustrations identitaires et sociales
    Jean-Stéphane Viallefont dans sa thèse nous dit que les agents de la terreur jouent des frustrations sociales et identitaires pour contester la hiérarchie mondiale
    3) Une familiarité avec le sang
    Le besoin de violence répond à quelque chose que nous n'avons pas encore défini. Peut-être une familiarité avec le sang, peut-être un besoin de se rassurer dans des coutumes ancestrales. J'estime donc qu'on ne doit pas parler de la guerre des pauvres contre les riches. Il n'y a pas de guerre des gueux. Mais on peut évoquer une guerre des civilisations.

Psychologie des kamikazes

    Mon souci consiste à explorer la psychologie des terroristes et surtout des auteurs d'attentats-suicides. Devenir une bombe humaine ne va pas de soi! C'est évidemment la grande question, la très grande question, puisque nous pourrions essayer de mieux comprendre les motivations de ces tueurs de masse suicidaires et d'autre part de réfléchir à des stratégies préventives.

Une idéologie

    1.1 Une culture de la violence et de la mort.
    Le terroriste islamiste assume un choix particulier des formes de combat. Il accepte a priori la primauté du salafisme, il assume le principe du génocide et l'opportunité de l'anéantissement des autres religions, la contestation du caractère précieux de la vie humaine et la chosification des enfants et des femmes. Ils ont tous été antérieurement des délinquants multirécidivistes. Mais la délinquance ne signifie pas obligatoirement la personnalité psychopathique. Ceci dit le délinquant devient une cible de recrutement prioritaire pour une mission terroriste.
    1.2 Un rapport spécial à la religion
    On dit que beaucoup d'anciens délinquants désoeuvrés expriment dans des actes particuliers leur rage et leur désœuvrement. Ils frôlent la zone de tous les dangers. Ils évoluent aux frontières de la marginalisation et de la déréliction. Cette posture a été étudiée dans la religion catholique depuis le Moyen-Age sous le nom d'acédie*. La perte de Dieu a longtemps été l'un des péchés majeurs jusqu'à devenir une maladie dépressive. Ils invoquent la foi religieuse mais en réalité ils sont plongés dans un sentiment douloureux de la perte de dieu: c'est un sentiment de déréliction! Il existe chez eux un travail abscons de reconstruction de la conscience religieuse et de la divinité.
    1.3 Une grande soumission à la mission
    Ils prouvent une grande soumission à la mission. Un de nos collègues, le psychologue Feldman, dans un congrès qui s'est tenu au Chili en 2016 a nommé cette posture "la maladie de l'obéissance". La notion du mal aurait été chez lui effacée par une combinaison ancienne et récurrente de la terreur dans l'éducation.

Des traits de personnalité particuliers

    Des traits de personnalité récurrents sont finalement les seuls moments d'un discours possible sur la psychologie clinique du terroriste islamiste:
    2.1 La pauvreté affective de ces individus est assez remarquable. Leur biographie les montre incapables d'affection envers leurs familles, leur entourage proche, leurs épouses éventuelles et leurs enfants. Le mariage des Kouachi paraît avoir été une cérémonie formelle. Les enfants sont en somme inapparents dans leurs récits. On n'imagine pas que tous ces kamikazes islamistes soient capables d'aimer et d'être aimés. On les a observés désinsérés, solitaires, reclus entre hommes et pleins de rage. Ils répondent assez bien à l'épître de St Jean qui possède une valeur universelle: "Nous, nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères. Celui qui n'aime pas demeure dans la mort"
    2.2 Une personnalité immature et psychopathique, une pauvreté des capacités d'introspection, un déficit considérable du sens moral et une recherche d'un statut de puissance
   

Psychologie clinique

    2.3- Des fantasmes très archaïques. Dans la formation la plus classique des psychanalystes européens il a presque toujours existé une phase kleinienne. Une forme particulière d'éducation précoce des enfants, si par exemple elle est teintée d'abandonnisme, suscite un ensemble de fantasmes de persécutions. Il s'agit de l'introjection de la figure de la "mauvaise mère". Et ceci favorise des "peurs que le moi ne soit détruit par les mauvais objets internes, par les persécuteurs internes". Les défenses contre cette peur consistent essentiellement dans la destruction des persécuteurs.
    2.4 La détermination suicidaire. Les conduites suicidaires sont multiples: suicides proprement dits, tentatives de suicide ainsi que les "équivalents suicidaires" et les conduites à risque.
    La dimension volontaire et militante des attentats-suicides n'autorise pas de faire systématiquement l'économie d'une de pathologie ou d'une vulnérabilité particulière aux influences religieuses incantatrices.
    La conduite est avant tout militante mais elle a aussi un versant psychopathologique.
    2.5 Les surdéterminations servent de déclencheurs. La phase suicide, quoi qu'il en soit, demande un certain courage. Elle représente en elle-même une arme symbolique redoutable. Le passage à l'acte requiert des déclencheurs et des surdéterminations. Ce moment critique fonctionne certainement comme un rêve ou un cauchemar. Je pense que le terroriste a besoin d'expérimenter au moment critique un état psychique particulier. Il a besoin de vivre une réalité comme un rêve pour se donner du courage en essayant d'atteindre un état oniroïde ou bien un état d'élation*. L'interprétation analytique nous a appris depuis longtemps que les contenus manifestes des rêves sont surdéterminés. De multiples déterminations conscientes et inconscientes sont à l'œuvre au moment du déclenchement des attentats-suicides.
    2.6 Les suicides héroïques
    Ce type de suicide appartient au monde stoïcien et de ce fait il est très éloigné de l'univers de la pathologie psychiatrique. Le suicide héroïque répond à un sens élevé d'une mission.
    2.7. L'ordalie*: les suicides ordaliques
    L'ordalie est issue du vieil anglais ordal qui signifie jugement. Le "Jugement de Dieu" dans l'épreuve du feu ou de l'eau ainsi que celle du duel judiciaire sont bien connus au cours de l'époque franque au Moyen-Age. De façon plus anecdotique, on a pu comparer les duels télévisés des grands candidats à une épreuve ordalique! Des rites comparables persistent en Afrique comme ceux des Nzakara en Centrafrique.
    Le rituel ordalique n'a pas tout à fait disparu dans nos sociétés modernes. Il se retrouve dans les jeux dangereux des adolescents: les bizutages, le "chicken subway" ou "la poule mouillée du métro", le "Jeu du toréro avec le train", le jeu du foulard, le jeu du "train de la mort", l'épreuve du "chicken" et la conduite auto à contre-courant sur l'autoroute.
    On peut en rapprocher les cas "d'exposition" des enfants nouveau-nés fragiles. La pensée implicite est celle-ci: "La souffrance infligée aura certainement des effets transcendants". Dans la pensée contemporaine le jugement du destin ou la justice immanente sont une transposition des anciens Jugements de Dieu!
    Un mécanisme particulièrement fréquent et complexe chez certains patients imprègne la tentative de suicide d'une conduite sacrificielle que je nomme suicide ordalique. La dimension ordalique dans l'attentat-suicide est une option possible. Dans ce cas la dimension psychopathologique est assez présente. C'est l'ordalie qui aux yeux des jeunes islamistes permet la promotion en martyr. C'est en éprouvant de la souffrance qu'il s'imagine faire la preuve du bien, du juste et du beau.
   

Prévention

    Les propositions socio-éducatives et les contentions sont prioritaires. On a préconisé la déradicalisation. Je peux difficilement me prononcer sur ce point. Elle me paraît utile mais illusoire. Il faut se souvenir de la dénazification qui avait un volet punitif et un volet préventif. La dénazification fut en réalité une illusion. Elle a été affadie par un mouvement politique planétaire qui avait un tout autre but.
    On a préconisé de contrecarrer la capacité de séduction des discours critiques contre le modèle occidental.
    Je donnerais plus d'importance à la réforme des programmes éducatifs, essentiellement au sein de l'école élémentaire. Il faut donner un regain d'autorité aux Hussards Noirs de la République. Mais de nos jours les enseignants n'ont pas une formation morale suffisante.
    D'autre part une assistance éducative auprès des familles s'impose de toute évidence. Il faut promouvoir une éducation correcte qui pourrait impliquer la mise à distance de familles dont le rôle maléfique est incontestable. Ceci me paraît prioritaire pour protéger ces enfants des incapacités parentales et des influences néfastes d'idéologies inhumaines et meurtrières.
    Rappelons que le salafisme peut être quiétiste et piétiste sans être aucunement violent. Il faut en tenir compte! Mais il me paraît important de mieux comprendre les composantes de l'influence délétère d'une forme d'éducation à la maison et à la prière. Tout ceci n'est pas sans précédent. Nous nous souvenons des effets monstrueux du magistère catholique avant Vatican-2 qui a été aboli en 1962 dans la déclaration Nostra Ætate. Je ne connais rien de plus crapuleux que l'expression "peuple déicide ayant crucifié Jésus-Christ", expression chrétienne qui généralise la vindicte à l'encontre de tout le peuple juif passé, présent et futur! Il y a quelque chose d'équivalent dans un certain nombre de phrases du Coran. D'une part nous avons un hadith pacifique, l'Envoyé de DIEU a dit: "L'assassinat d'un musulman est plus grave pour DIEU que la disparition de ce monde", rapporté par Nassa-i, et Al Baihaqi d'après Bouraïda. Mais d'autre part dans la Sourate 4 verset 89 "Ils aimeraient vous voir mécréants, comme ils ont été incroyants: alors vous seriez tous égaux! Ne prenez donc pas d'alliés parmi eux, jusqu'à ce qu'ils émigrent dans le sentier d'Allah. Mais s'ils tournent le dos, saisissez-les alors, et tuez-les où que vous les trouviez; et ne prenez parmi eux ni allié ni secours" et puis la Sourate 10 verset 4 "Ceux qui ne croient pas auront pour breuvage l'eau bouillante et un châtiment douloureux pour prix de leur incrédulité".
    Les à côtés profanes des textes sacrés sont inépuisables. Ils sont criminogènes. Les discours critiques nourris par une mentalité complotiste ou conspirationniste sont bien connus. On invoque des manigances des "ennemis de l'islam", des attentats fomentés par les services secrets, des coups montés des medias. On s'insurge contre la société d'en haut, les alumni, les francs-maçons, les banquiers, le complot juif, les juifs sionistes et les banquiers juifs illuminati. L'antisémitisme démonologique a retrouvé de la vigueur avec la théorie de l'antéchrist dans certaines interprétations de textes islamiques concernant le Dajjal. Ces théories étranges, qui s'apparentent aux menaces de débarquement en secret des extraterrestres sur la terre, appartiennent aussi bien aux milieux islamistes qu'aux militants d'extrême-droite.
    Un programme de détection des risques encourage un profilage fondé sur l'expertise de fonctionnaires entrainés de la DGSE. On doit en outre promouvoir une politique étrangère qui cible les pays bienveillants avec les terroristes. Enfin des députés ont plaidé pour la création d'un "Guantanamo à la française" pour prévenir l'afflux de la vague djihadistes. J'en conclus que dans une perspective de prévention l'éducation et les sanctions peuvent être menées de front.
    Existe-t-il une prévention psychiatrique? La prévention psychiatrique proprement dite n'est pas concevable dans la plupart des cas. Le déficit d'introspection et la soumission aveugle à une mission contrecarrent toute possibilité de psychothérapie à visée introspective ou interprétative. Le militantisme, la détermination, l'agressivité et la dangerosité ne sont pas nécessairement des concepts psychiatriques. Donc je ne vois pas quelle stratégie psychologique ou psychiatrique pourrait être conseillée. Encore est-il très utile de confirmer que la psychopathologie joue ici un rôle tout à fait mineur par rapport au militantisme meurtrier.

Réponses aux questions des médias

    *Comment faire la différence entre un radicalisé à la personnalité borderline et un malade mental susceptible de céder à la radicalisation violente?
    Attention quand vous évoquez la personnalité borderline. Le syndrome borderline ou état-limite est mon syndrome favori. C'est un état clinique frontière entre la névrose et la psychose considéré comme une entité clinique depuis seulement une dizaine d'années. Les symptômes principaux sont la dépression, des états d'exaspération, des troubles des relations interpersonnelles et un sentiment douloureux de vide intérieur et de solitude. Ce syndrome concerne peu de patients. Ils bénéficient d'une thérapie mixte psychanalytique et médicamenteuse.
    A propos de la menace de déclenchement de la violence vous soulevez la question non résolue en expertise médico-légale de la dangerosité.
    En fait dans la plupart des cas de terrorisme islamiste on ne trouve pas de pathologie psychiatrique déterminée. Il n'y a pas de trouble psychique aux yeux de la loi et donc ils sont accessibles aux peines. L'article 64 dans l'ancien Code pénal appelait "démence", une absence de discernement qui touche à la liberté morale ou à la conscience morale qui empêche la responsabilité pénale. Dans le Nouveau Code pénal à l'article 121-1 on parle de troubles psychiques altérant ou abolissant la volonté de l'auteur de l'infraction qui donc ne serait pas accessible aux peines.
    Je considère que le risque de passage à l'acte d'un point de vue psychiatrique résulte de l'existence d'une structure pathologique déterminée. Chez un certain nombre de malades comme les personnalités psychopathiques le passage à l'acte violent est l'affaire d'une vie. On dit des psychopathes pervers qu'ils sont des êtres amoraux, inintimidables et faisant le mal par plaisir. Ils ne répondent cependant pas aux critères de l'internement psychiatrique. Ils sont de temps en temps aidés par des psychologues et puis entretemps il y a une période prison.
    Chez d'autres malades peut exister une forme de paranoïa interprétative qui, comme chez l'idéologue extrémiste, désigne un persécuteur plus ou moins précis: "le système blanc colonial qui méprise l'Islam", "les Croisés" ou bien "les juifs". Mais la dimension pathologique de la paranoïa demande des critères sémiologiques: systématisation d'un délire interprétatif ("on me suit dans la rue"), dont le plus célèbre est le délire d'interprétation de Sérieux Capgras appelé aussi "Folie raisonnante" avec déchiffrement systématique, persécution, trouble de la reconnaissance, expansion du Moi et psychorigidité. Le terme "paranoïaque" possède d'ailleurs un double sens: structure paranoïaque ou délire paranoïaque. Les délires paranoïaques sont des états délirants chroniques, de mécanisme interprétatif et systématisé. La systématisation du délire lui confère un caractère extrêmement cohérent qui, associé à la conviction absolue et inébranlable du patient, peut entraîner l'adhésion de tiers. Ils se développent plus volontiers chez des patients présentant un trouble de personnalité pré-morbide de type paranoïaque dont les principaux traits sont représentés par l'hypertrophie du moi, la fausseté du jugement, la méfiance, la psychorigidité et l'orgueil. Il est habituel d'identifier au sein des délires paranoïaques les délires passionnels, les délires d'interprétation et les délires de relation des sensitifs de Kretschmer.
    Chez d'autres malades comme les variétés de schizophrénie, je pense à des formes cliniques qu'on nomme l'héboïdophrénie et encore la schizophrénie catatonique, la violence peut être un mode de révolte contre une sensation de morcellement du moi ou bien une réponse à un délire mais alors elle emprunte des formes tout à fait irrationnelles. Et d'ailleurs dans ce cas ils seraient de très mauvais militants de la cause. Ils feraient peur à leurs complices eux-mêmes.
    *Quel mécanisme, quel contexte peuvent pousser à l'acte terroriste un malade mental?
    Votre terme de passage à l'acte terroriste est le bienvenu.
    Le terme est en usage en psychopathologie. C'est le principe même de ce que dans la tradition psychiatrique française on appelle le passage à l'acte et dans la tradition psychanalytique on appelle l'acting.
    Le passage à l'acte est une transition imprévue et brutale de la représentation psychique à l'acte comme on peut le voir chez un délirant qui frappe son voisin à l'occasion d'une écoute hallucinatoire persécutive. Nous venons d'assister près de Valence au passage à l'acte criminel d'un malade. Dans cet exemple la pathologie la plus vraisemblable est celle d'une "Bouffée Délirante" qui a suscité à la fois des ordres délirants et de la confusion. Il faut savoir à ce sujet qu'il existe des variantes cliniques dites ethnoculturelles.
    On ne trouve rien d'équivalent chez les terroristes islamistes.
    L'acting, l'acting out ou l'agir est la répétition en acte, au cours de la cure psychanalytique (au dedans ou en dehors), faute de pouvoir s'élaborer mentalement dans le transfert.
    Mais je ne peux pas appliquer ces concepts aux cas de terroristes islamistes qu'on a étudiés récemment et, si vous permettez une plaisanterie, qui sont souvent en meilleure santé psychique que moi-même!
    *Le milieu médical doit-il coopérer avec les services antiterroristes pour signaler les profils à risques?
    Deux réponses contradictoires:
    1) En principe: non. Pourquoi? Parce qu'il existe un risque d'entrer dans l'engrenage classique des crimes psychiatriques soviétiques, les psychiatres de l'Institut Serbski, que j'ai vigoureusement dénoncés en 1977 (j'ai reçu chez moi et procédé à une contre-expertise de victimes des crimes psychiatriques soviétiques comme Viktor Fainberg)
    2) En fait il faut quand même absolument faire quelque chose pour une question d'urgence de la lutte antifasciste. Ce serait possible au titre de conseiller de responsables politiques.
    3) Mais il existe un 3ème cas de figure, celui des experts près la Cour qui sont missionnés par le juge. Dans ce cas il y a une coopération évidente puisque le secret médical n'existe pas dans ces procédures. L'expertise, classiquement, n'est pas une consultation médicale mais une procédure médico-légale. Mais bien entendu c'est un peu tard puisque l'attentat aura déjà eu lieu!
    Mais je demeure très réticent pour plusieurs raisons: les prescriptions de l'éthique médicale, le souvenir des délations effectuées en France par quelques médecins pendant la 2ème Guerre Mondiale et les crimes psychiatriques soviétiques qui les transformaient en auxiliaires de la police.
    *Rares sont les terroristes jugés fous (pour faire simple) par les experts psychiatriques. Est-ce étonnant?
    La question de la journaliste est celle-ci: "Comme ce jeune homme qui hier a tué plusieurs personnes près de Valence, dans un grand accès de folie, ne peut-on imaginer un homme moitié fou moitié terroriste qui se livrerait soudain à un grand massacre terroriste. Et alors dans ce cas nous aurions affaire à un "dossier camisole" comme disent les forces de l'ordre".
    Je ne connaissais pas vos statistiques. Mais ça correspond à peu près à ce que j'imagine." Parmi ces terroristes 10% d'entre eux en effet auraient eu un parcours pathologique à l'adolescence.
    De grands esprits en 1905 suggéraient de réduire de moitié la peine d'un "moitié fou" ou de deux tiers si "deux tiers fou". Disons, humour noir, que la plupart des terroristes islamistes ne sont pas même dotés d'un tiers de folie.
    Je reprends mon discours ci-dessus. En fait dans la plupart des cas de terrorisme islamiste on ne trouve pas de pathologie psychiatrique déterminée. En tous cas, pas de trouble psychique aux yeux de la loi qui puisse atténuer ou abolir leur responsabilité aux yeux de l'article 121-1.
    L'atténuation de responsabilité dont vous parlez provient de la frayeur du public qui préfère voir de la pathologie là où il y a de l'idéologie meurtrière. Nous connaissons surtout le plaidoyer de leurs propres familles qui refusent toute implication personnelle dans une éducation délétère. Or le rôle de l'éducation, que dis-je, du dressage à la maison est énorme. Ces familles préfèrent penser que de mauvaises personnes leur ont tourné la tête. Comme dit le psychiatre de Bouhlel en Tunisie: "Même pour un psychotique, pour qu'il y ait un passage à l'acte d'une telle cruauté, c'est qu'il y a eu un endoctrinement quelque part, que ce soit le fait d'un groupe constitué ou d'une personne". Voilà le genre de raisonnement du profane qui a besoin de se protéger contre l'évocation de ses propres pulsions de meurtre inconscientes.
    Donc en réalité il y a fort peu de pathologie psychiatrique parmi ces terroristes. Quand il y en a eu on se demande alors quelle eût été la forme de pathologie prédictive de terrorisme. C'est un problème difficile. L'idéologie ne se dissout pas dans l'expertise psychiatrique!
    Je considère donc tout à fait normal que les experts missionnés auprès d'eux ne trouvent aucun trouble psychiatrique. Je rappelle à cet égard qu'en France, au regard de la déliquescence du "secteur psychiatrique", la communauté des experts psychiatres judiciaires demeure le dernier carré de l'excellence psychiatrique.
    Vous verrez que dans mon étude des cas de terroristes, sur dossier, on ne trouve pas grand-chose sauf dans 3 cas: celui de Mohamed Merah, le tueur de soldats musulmans et surtout d'enfants juifs, de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, l'assassin de Nice, et le psychiatre américain Nidal Malik Hasan. Dans ces 3 cas les psychiatres qui les ont reçus auraient pu déceler des signes de dangerosité future. Un 4ème cas demeure en suspens c'est celui de d'Adel Kermiche admis en hôpital de jour psychiatrique à Saint-Étienne-du-Rouvray alors qu'il avait 12 ans pour "troubles du comportement". Ce n'est tout de même pas banal à cet âge. Mais nous ne disposons pas d'observation psychiatrique pertinente.
   

Notes
    * L'élation, du latin elatio signifiant transport de l'âme, est une forme mineure de l'euphorie et notamment de l'euphorie maniaque.
    * L'ordalie était au Moyen-Age le jugement de Dieu par le fer ou par le feu. Certaines tribus africaines imposaient aussi et imposent encore des épreuves douloureuses aux adolescents, par exemple des scarifications, pour prouver leur accès à l'âge adulte. Je nomme suicide ordalique certains suicides qui sont un mode archaïque et "ordalique" du chantage affectif.
    *L'acédie du grec Akhdia. Je tiens l'acédie pour l'ancêtre de la dépression. Les chrétiens, parmi les pères du désert, ont stigmatisé un manque de soin pour la vie spirituelle. C'est donc un mal spirituel qui s'exprime par l'ennui et le dégoût pour la prière, la pénitence et la lecture spirituelle. L'devient un état de torpeur spirituelle et de repli sur soi c'est-à-dire une maladie spirituelle au sens théologique. Est-ce pour l'Eglise un simple vice? Non. Thomas d'Aquin réintègre l'acédie dans la liste des sept péchés capitaux (l'acédie ou paresse spirituelle, l'orgueil, la gourmandise, la luxure, l'avarice, la colère et l'envie). Le poète Jules Lemaître écrivait "C'est un homme de marbre assis sur un tombeau". Le pape François mentionne régulièrement l'acédie comme menace grandissante pour la société en général et le clergé en particulier. On retrouve un équivalent de ce symptôme dans le terme journalistique de burn out.
    *La déréliction a surtout un sens religieux. C'est un "état d'abandon moral", le fait d'être abandonné par Dieu. C'est une épreuve pour le croyant qui a le sentiment d'avoir perdu la grâce pour l'éternité
    Dr Ludwig Fineltain
   
   


   
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Ludwig FINELTAIN
   

   Psychiatrist and Psychoanalyst
   PARIS (FRANCE)