Le drame d'Outreau
Bulletin de Psychiatrie
(parution semestrielle ou annuelle)
Journal
Edition du 29.05.07
Mise à jour du 05.06.07 (5ème révision)

Psychiatrie vivante en 2007

Dr Ludwig Fineltain
Neuropsychiatre
Psychanalyste
Directeur du Bulletin de psychiatrie

E-mail: fineltainl@yahoo.fr
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ou
BULLETIN DE PSYCHIATRIE FRANCOPHONE

La psychiatrie vivante en 2007

L'apotre Paul aux ephesiens     Kimura

Le drame d'Outreau

Le rôle des experts dans le drame d'Outreau


    La peur angoissante des agressions sexuelles contre les enfants a provoqué un désastre judiciaire dans une petite ville de Normandie proche du port de Boulogne. Des parents indignes ont été inculpés. Des voisins innocents ont été à tort accusés, humiliés, emprisonnés et déshonorés pendant des années pour rien! L'affaire d'Outreau requiert une transformation de la justice et surtout des modalités des expertises
   

L'oubli de la clinique


    Le drame d'Outreau résulte avant tout de l'insuffisance des formations. Certains experts fondent leur savoir sur un pauvre autodidactisme et sur une forme de vulgarisation de la psychanalyse. Formés à la psychologie clinique en moins de 5 ans, férus soit de "lacanisme" soit de cognitivisme, ils prétendent donner des jugements de qualité sur des sujets qui en fait leur échappent complètement.
    Certains psychologues fonctionnent comme des parapsychologues en s'attribuant des pouvoirs imaginaires. Puissent-ils ne pas induire en erreur des juges et des jurés trop crédules. Il n'est pas convenable de pousser des hommes en prison en se prévalant d'une rhétorique irrationnelle! L'expertise psychiatrique est une discipline difficile enseignée aux médecins après le doctorat et la qualification psychiatrique durant au moins trois années. Je crois aux vertus des formations académiques qui augmentent les capacités des médecins, des psychologues, des psychothérapeutes et des experts.
    Le public cultivé est trop souvent sensible aux rumeurs infondées. Certaines associations croient que chaque cas requiert une spécialité différente: "A l'adulte un psychiatre d'adulte, à l'enfant un psychiatre d'enfants et d'adolescents". La formation des spécialistes en France est une "terra incognita" qui donne au spectateur inquiet une impression d'obscur labyrinthe. Les associations et les juges doivent mieux connaître le statut universitaire des spécialistes de la psychopathologie. Les pédopsychiatres constituent un groupe restreint. Cette spécialité est assez jeune et la formation est réduite par rapport à celle des psychiatres et des neuropsychiatres. Beaucoup de psychiatres d'adulte sont parfaitement capables d'examiner des enfants. Nombre d'entre eux ont en effet acquis une formation mixte auprès d'adultes et d'enfants.
   

Les données de la Commission d'Outreau


    J'ai analysé avec beaucoup d'intérêt les auditions des experts devant la commission d'Outreau.
    Le Pr Viaux y expose quelques unes des faiblesses de l'expertise psychologique. Examinons la fabrique des trois erreurs fatales:
    1) Dans un première affirmation le Pr Viaux nous dit que l'expert n'a pas pour mission de donner un jugement. Il apporte un concours technique. C'est au juge en effet de prendre ses responsabilités. Il a le droit de ne pas tenir compte de l'avis technique de l'expert. Tout ceci est fort juste. Mais enfin l'expert devrait aider le juge à se déterminer. Il ne suffit pas de dire à un juge: "Voici l'état de la science". Il faut encore lui expliquer comment l'apport scientifique autorise "d'en prendre et d'en laisser". Par exemple un bon expert est capable de dire: "Cet enfant m'a exposé des scènes extrêmement traumatisantes avec des signes d'effroi qui disent la profondeur de son angoisse. Le caractère vécu chez l'enfant possède des caractéristiques que je vais ainsi exposer etc".
    Il existe dans toute expertise un chapitre important qu'on nomme d'habitude dans la rhétorique expertale "Dires" et surtout "Discussion". Dans ce dernier chapitre on s'autoriserait de dire ceci: "L'enfant, Messieurs les Juges, les avocats et les jurés, peut décrire aussi bien des scènes vues que des scènes fantasmées. Dans ce dernier cas il traduit des moments significatifs de sa propre évolution. Il peut aussi exprimer quelque chose de l'ordre de la négociation psychique avec une mère ou bien avec un substitut symbolique."
   

Discussion clinique


    Comment les experts répondent-ils aux questions: "L'enfant est-il mythomane, affabule-t-il ou bien ment-il?".
    Une première affirmation du Pr Viaux m'apparaît contestable: "Ces processus, nous dit-il sont un peu la même chose". Dans une deuxième proposition, le Pr Viaux nous dit ceci: "La mythomanie est pathologique elle peut avoir des aspects délirants". La sémiologie psychiatrique est un corpus extrêmement charpenté. Nous héritons à cet égard de 150 ans de travaux scientifiques. L'Ecole Française y a joué un rôle déterminant avant l'émergence de l'Ecole kraepelinienne puis enfin celle des intéressantes classifications internationales comme par exemple les versions du DSM.
    La mythomanie est certes pathologique. Elle est une construction faite de fabulations, d'affabulations et de confabulations riches et sans limites. Mais encore le stigmate du délire n'est pas nécessaire pour asseoir sa définition. Mais encore convient-il de remarquer que la mythomanie n'est pas un symptôme important dans la sémiologie psychiatrique. Elle ne possède pas en elle-même une densité sémiologique, syndromique ou nosologique suffisante pour "avoir du poids".
    L'histoire de la mythomanie
    Bien entendu évoque-t-on ce symptôme dans des entités classiques chez les adultes comme par exemple les "Déséquilibres ou déséquilibres mentaux ou déséquilibres psychiques ou personnalités psychopathiques" mais aussi dans les complications célèbres de l'alcoolisme dont le syndrome psychopolynévritique de Korsakoff ou encore dans les paraphrénies confabulantes. On l'invoque encore dans divers processus comme l'hystérie ou encore dans des syndromes quasiment journalistiques comme le syndrome de Munchausen dans lequel se manifeste une invention complexe de pathologies. Mais en fait la clinique psychiatrique ne donne pas une grande valeur à ce concept flou. Voici par exemple comment la mythomanie apparaît une seule fois dans l'une des entrées extraite du "Glossaire Psychiatrique" (bibl. 4).

    Déséquilibre ou déséquilibre mental ou déséquilibre psychique ou personnalité psychopathique. Au terme kraepelinien de psychopathie correspond celui de déséquilibre qui est un peu plus exhaustif. C'est un groupe nosologique parmi la trinité classique: névrose, psychose, déséquilibre mental. Le terme englobe les caractéropathies, les instabilités, les mythomanies etc.: Kurt Schneider en a précisé dix variétés. Les éléments communs sont une anamnèse très caractéristique, les passages à l'acte antisociaux et l'impulsivité. Ce sont donc des sujets présentant une anomalie de la personnalité, des troubles affectifs et caractériels divers et une propension aux actes antisociaux.

    La mythomanie est née avec Dupré en 1900 dans son étude médico-légale: "Etude psychologique et médico-légale du mensonge et de la fabulation morbide". Burguin et Feillard dans "Evolution Psychiatrique" en 1986 font une bonne recension des textes relatifs à la mythomanie. Si le mensonge est chose naturelle et utilitaire parfois, la mythomanie quant à elle est structurellement différente. Dupré pensait qu'elle pouvait s'organiser en un syndrome autonome psychotique comme on décrit "le délire d'imagination" forme clinique classique du syndrome d'interprétation de Sérieux et Capgras. Mais nous étions en 1900 c'est à dire à l'époque de la fondation d'une remarquable nosologie française. Il existe une vision de la mythomanie qui est éclairée par la psychanalyse d'une part et par la phénoménologie husserlienne d'autre part. Quoi qu'il en soit retenons que la mythomanie est structurellement différente du mensonge.
    Je reproche donc à un grand nombre d'experts comme le Pr Viaux de considérer que la mythomanie, l'affabulation ou le mensonge sont analogues. Ceci me paraît très contestable! La seconde erreur consiste à affirmer que la mythomanie s'éclaire sous l'angle des délires -jugement parfaitement exagéré-.
    L'inconsistance du concept de mythomanie.-
    Mais encore, j'y insiste, le concept possède-t-il une faible existence dans le corpus sémiologique psychiatrique. Bref nous avançons sur du sable mouvant! La promotion de ces concepts, à savoir la mythomanie et surtout la crédibilité, constitue simplement une concession faite aux institutions judiciaires. Cette position expertale abandonne trop facilement le terrain scientifique.
    Et d'où viennent ces errements? La formation dans le domaine de la clinique psychiatrique requiert des années de fréquentation des patients dans les services du secteur et dans les dispensaires spécialisés. Etayer un savoir sur des travaux d'autodidactes, sur une psychanalyse simplifiée et sur des formations universitaires pauvres en expérience clinique est une erreur.
    Les jugements quant à la crédibilité, la cohérence du discours -entre vérité et mensonge- sont d'ordre «métapsychiatrique» et non d'ordre psychiatrique. Ils justifient plus volontiers une réflexion philosophique que clinique. J'entends bien que certains psychologues en ont conscience encore faudrait-il qu'ils développent soigneusement cette thématique dans le corps même de l'expertise.
    Montaigne dans les Essais 2.12.2 nous dit: "Nil sciri quisquis putat, id quoque nescit, An sciri possit, quo se nil scire fatetur." - "L'ignorance qui se sçait, qui se juge, et qui se condamne, ce n'est pas une entiere ignorance: Pour l'estre, il faut qu'elle s'ignore soy-mesme. De façon que la profession des Pyrrhoniens est de bransler, doubter, et enquerir, ne s'asseurer de rien, de rien ne se respondre. Des trois actions de l'ame, l'imaginative, l'appetitive, et la consentante, ils en reçoivent les deux premieres: la derniere, ils la soustiennent, et la maintiennent ambigue, sans inclination, ny approbation d'une part ou d'autre, tant soit-elle legere."
    Le réel, le mensonge et le fantasme.-
    Discutons encore une autre affirmation. Le Pr Viaux nous dit ceci: "Les enfant ne mentaient pas puisque la presse en parlait." L'enfant reprend le réel en lui donnant une valeur fantasmatique comme fait aussi bien l'adulte dans le rêve. Le rêve n'est jamais une photocopie de notre activité réelle.
    Comment donc se manifeste la pertinence de l'expert? Comment éclaire-t-il les notions de fantasme, de mensonge, de mythomanie, de crédibilité etc.? Un enfant dans mon CMPP me disait ceci: "Quand mon papa m'a emmené dans la forêt de Sénart j'ai vu un loup avec d'énorme crocs". Comme cet enfant avait très peur de son père, homme violent et intempérant, nous pouvions donc comprendre et interpréter ses dessins et son discours de plusieurs façons. Je n'avais pas vraiment besoin d'une photo de la forêt et de l'animal qu'il a aperçu dans la forêt pour entendre sa parole et pour lui dire quelque chose.
    Le procès d'Outreau n'a pas échappé aux pièges des expertises collégiales. Collégialité n'est pas synonyme d'excellence! Je parlerai beaucoup du Pr Viaux parce que c'est sans doute le plus compétent parmi les psychologues experts d'Outreau et que les erreurs qu'il a pu commettre doivent nous aider nous-même à moins en commettre à l'avenir. Je ne saurais non plus mésestimer son excellent ouvrage sur l'expertise publié en 2001. Jean-Luc Viaux est professeur de psychopathologie à l'université de Rouen, docteur en psychologie et surtout expert près la Cour de Cassation. Ce dernier titre est certainement une garantie de compétence. Il signe son rapport avec Mme Marie-Christine Gryson-Dejehansart, «victimologue» (*). Quelle est donc la faute grave pour un expert digne de ce nom? Je formulerais ma réflexion dans une question. Pourquoi un expert accepterait-il de co-signer avec des collègues qui n'ont pas la même expérience clinique éprouvée que lui? Mme Gryson, est certainement victime d'une presse très démagogique qui est effrayée par les jargons scientifiques comme par exemple «morphologie sémantique traumatique, soulagement libératoire». La presse, autour d'Outreau, a été très prompte à exciter la haine populaire. Mais la critique du jargon est en réalité infondée. Qui peut raisonnablement reprocher à des psychologues et à des psychiatres de manier des concepts psychiatriques! La psychopathologie est une science complexe. Il est assez naturel que des journalistes ne comprennent pas les concepts en usage chez les psychologues et les psychiatres. Ces mêmes journalistes n'ont pas non plus l'honnêteté de l'avouer.
    Le vrai problème est celui-ci: ce langage, ces concepts, cette science de la psychopathologie sont aussi totalement inaccessibles à une psychologue autodidacte! Je trouve certes parfaitement intéressante la notion de morphologie sémantique traumatique. Mais rien ne va plus quand Mme Gryson déclare: "Mais c'est une dualité d'experts" et puis en appelle à des références bibliographiques de valeur scientifique discutable. On aperçoit dès lors les stigmates de l'insuffisance des acquis culturels.

Le rôle des psychologues

    Que nous dit-on? Les psychologues font des tests: cinq ou six tests ont été proposés. Ils se proposaient dans cette affaire d'évaluer le niveau intellectuel et d'apprécier les signes d'agression sexuelle vécue. Personne bien entendu ne songerait à contester la méthode des tests! Une condition essentielle cependant doit être respectée. En psychopathologie la méthode des tests s'inscrit de façon seconde dans une approche qui est avant tout clinique. La clinique psychiatrique en expertise demeure absolument prioritaire.
    Il est d'autre part toujours utile de manier les tests avec prudence, les psychologues cliniciens le savent bien. Ainsi le Dr Coutanceau, expert de qualité, nous dit ceci: "Il n'existe pas de caractéristique scientifiquement démontrée de l'agresseur sexuel!". J'ajoute pour ma part que la mise en évidence chez l'enfant d'une agression sexuelle au travers des dessins et des tests est assez problématique si elle n'est pas étayée par une élaboration discursive. Un dessin d'enfant par exemple n'est pas un discours à lui tout seul! Ainsi par exemple les thérapies d'enfants sont-elles peuplées de dessins mais elles sont enrichies par un océan de signes, de jeux et de mots.

L'après Outreau

    Le chemin de croix de l'abbé Wiel.-
    L'abbé Wiel expose dans toute la France les suites de l'affaire d'Outreau. Je l'ai rencontré à la faveur d'une causerie dans l'Eglise d'Antin à l'Espace Bernanos le 3 octobre 2006. L'abbé Wiel nous décrit son calvaire durant des mois et des mois. Il est assez rare de rencontrer un homme dont l'élévation de pensée est si remarquable. Le calvaire de Wiel évoque irrésistiblement les persécutions de la guerre! Il pourrait légitimement exprimer des griefs à l'encontre de la société et surtout des journalistes. Il pourrait légitimement réclamer plus de christianisme en terre chrétienne. Aussi des personnes aussi admirables que ce prêtre ouvrier me paraissent fort rares. Cet homme est un saint! Son courage démontre la validité des convictions des Drs Louville et Crocq à propos du destin des psychotraumatismes. Celui qui transforme ses souffrances en une philosophie de la rédemption, celui-ci aura trouvé un moyen de mieux survivre au psychotraumatisme.
    D'abord nous fait-il remarquer qu'il y a des psychologues et des psychiatres dans sa famille! "J'ai donc une soeur psychologue et une autre proche psychothérapeute. Il est certain que mon estime pour ces métiers en a pris un sérieux coup. Je me demande d'ailleurs ce que des psychiatres et des psychologues dont la vocation est de soigner vont faire devant les tribunaux?"
    "A.- Le psychologue expert. Ceux-ci figurent dans une liste à disposition des juges. Bien souvent ce sont des gens qui n'ont pas encore de cabinet libéral. Ils connaissent et savent les réponses que le juge attend. Le psychologue m'a fait passer un test, un test de Rorschach. Comme j'avais un vernis de psychologie je savais dans ma situation qu'il me fallait parler de fleurs et de papillons. La conclusion a été "tendance à la perversion sexuelle"! Les sept autres co-accusés ont eu droit à la même observation. L'explication plausible est celle du "copier-coller" puisque des coquilles identiques y apparaissent de façon récurrente"
    "B.- Les deux psychiatres.- Quand j'ai vu les 2 psychiatres après la passation des tests j'étais furieux. Les psychiatres ont néanmoins fait un rapport neutre, incolore et sans saveur. Mais ce rapport occupait tout de même deux pages. L'un d'eux m'a dit que mon nom ne lui était pas inconnu et qu'un homonyme était psychiatre. Je lui ai dit qu'en effet il était un proche. Cela vous modifie l'atmosphère des entretiens."
    "C. Les enfants et la Badaoui.
    Les assistantes maternelles et les services sociaux, toutes ces personnes ont un peu menti! Les allégations des enfants ont fait en somme boule de neige. Pourquoi les enfants mentaient-ils? L'aîné des enfants a appris comment se débarrasser de son père. En l'accusant de viol il a trouvé un mode opératoire imparable. Si bien qu'il n'est même pas certain qu'il y ait eu viol d'enfants de la part des condamnés eux-mêmes! Donc l'aîné a menti mais pas les autres enfants. Ils fabulaient tout simplement. Ils ont bien vu que tout ça passionnait les adultes qui les questionnaient. Quant à Dimitri, je le répète, il est mythomane comme sa mère."
    Comme il régnait une grande émotion dans la salle et que le public était en somme pétrifié dans une sorte d'admiration éperdue quasi sacramentelle je n'ai pas eu le courage de poser à Mr Wiel les questions qui me tenaient à coeur. A l'entendre il n'y a pas de place pour un psychiatre en expertise. Les tests ne serviraient à rien et la tentation du copier-coller serait permanente. Ainsi ai-je trouvé qu'il était sévère avec les tests, sévère quant à la docilité des experts etc. Peut-être l'ai-je trouvé trop tenté de nier la souffrance pathologique des enfants. Par contre avait-il raison de dire que ces spécialistes n'avaient sans doute pas de cabinet libéral. Il porte sur tous ces dérapages tragiques un jugement mesuré avec tant de calme, de bonhomie, de simplicité et de bonté qu'on a envie de suivre son raisonnement.

Les listes d'experts devraient être reconstituées


    Ma première proposition consiste à mieux situer la fonction des «psychologues experts». Il manque aux psychologues une expérience de la souffrance humaine. Songez aux gardes de nuit des jeunes médecins. Songez à la richesse de cet enseignement là! Les années de formation des psychologues à cet égard sont notoirement insuffisantes.
    Une deuxième proposition consiste à reconstituer les listes des experts psychiatres eux-mêmes. Le mode de nomination doit être entièrement revu. Un psychiatre expert doit absolument posséder plusieurs qualifications qui constituent à mes yeux le parcours de l'excellence. Le spécialiste psychiatre en question doit posséder une expérience mixte tout à la fois celle de l'hôpital et celle de la consultation dite libérale. Il doit posséder en outre un diplôme officiel d'expert! Beaucoup d'experts psychiatres -le sait-on- en sont dépourvus et en particulier les rédacteurs d'expertises de tutelle. Mieux vaut en outre qu'il ait publié des travaux précisément dans cette discipline. Les experts «mono-appartenants», c'est à dire exclusivement hospitaliers, enseignants ou privés doivent être récusés sans grande hésitation. La souffrance humaine requiert une expérience clinique variée qui a toujours manqué à celui qui a pour seul exercice une activité hospitalière plein-temps. Il existe néanmoins à l'heure actuelle un corps incontestable et c'est celui des experts dits nationaux. Comme s'y trouvent réunis des experts reconnus et compétents ils peuvent en effet servir de référence.
    Nous devons aider les juges à mieux choisir les experts.-
    Beaucoup de psychiatres estiment qu'on devrait aider les juges à mieux choisir les professionnels de la discipline concernée. Avons-nous besoin de multiplier les expertises contradictoires? Devons-nous adopter les procédures d'avant-garde en usage au Québec? Chaque partie présenterait son expert. Un débat sur l'état des connaissances se déroulerait devant le public. Je crains cependant la cacophonie. Il nous faut moins d'expertises mais cependant mieux faites! Il est certainement difficile pour les juges et pour le public en général de désigner des experts compétents. Les listes sont trompeuses et les critères de nomination obscurs. Il faudrait en somme une sorte de bureau de détection des experts comme font les services de recrutement avec leurs classiques "chasseurs de têtes"! Les services de recrutement professionnels sophistiqués ont toujours su faire ça.
    A quoi sert l'expertise? "A fournir une intelligibilité et non pas à fabriquer une vérité judiciaire" nous dit à juste titre le Pr Viaux. Mais posons-nous cette question quand il écrivait à propos d'un enfant accusateur cette phrase redoutable: «Aucun élément ne permet de penser qu'il invente des faits ou cherche à en imputer à des personnes non concernées.» Comment l'expert trouve-t-il une bonne posture entre l'étude psychologique et les faits réels? L'expert avait conclu: «Son attitude d'effroi confirme l'authenticité du récit.» Voici donc une constatation clinique de très grande valeur. L'authenticité et même la preuve d'un psychotraumatisme résultent de la bonne observation clinique du bon recueil des données cliniques.
    La récusation des experts?
    J'estime quant à moi qu'un désaccord avec une collègue expert doit être souligné. Si le professeur estime que sa collègue "a un certain type d'approche" alors dans ce cas il ne faudrait pas gommer les désaccords profonds. Le Pr Viaux précise ainsi sa pensée devant la commission: "Je suis psychopathologue. Elle, pas! On peut faire des rapports séparés. Je l'ai pas fait puisqu'il n'y avait pas de désaccord de fond." Or dans cette formulation du professeur se camoufle une litote. Si sa collègue n'est pas "psychopathologue" pourquoi donc fait-elle des expertises? Mieux encore et c'est essentiel selon moi: pourquoi diable accepter de cohabiter avec des experts a priori défaillants. Pourquoi en d'autres termes un Jean-Luc Viaux accepte-t-il une expertise collégiale avec Mme Marie-Christine Gryson-Deehansart? N'est-ce pas une promesse de conflits insolubles voire de fautes? On peut se récuser sans blesser autrui! Je me souviens pour ma part, dans une affaire plus simple, de m'être désolidarisé d'un collègue, par un courrier, à propos d'une conclusion psychiatrique. Je me souviens encore, dans un dire, d'avoir explicité pourquoi j'affichais une autre sorte d'avis.
    Quelques remarques de nos collègues experts
    Le Dr Coutanceau estime qu'une affaire difficile requiert toujours une contre-expertise. S'il y avait eu des contre-expertises dans l'affaires d'Outreau il y aurait eu des "aérofreins". Un autre expert nous dit que les juges sont très mal formés à se servir convenablement des experts. En outre ils sont tous devenus des militants de la parole des enfants. Un certain nombre de juges pratiquent une forme de connivence entre eux et les experts! Ils désignent des experts en fonction de dispositions d'esprit dont je cherche encore la définition. Un autre collègue nous dit: il y a des experts à la mode. La question des modes est détestable dans un débat à vocation scientifique.
    Ainsi beaucoup de collègues pensent que des expertises contradictoires tout au long de l'instruction amélioreraient la situation. Pour ma part, je ne le crois pas.
   
    Bibliographie
    1- Serge Brousseau et Dr Claude Rousseau "La preuve du dommage corporel" aux éditions L'Argus 1981
    2- Serge Brousseau et Dr Claude Rousseau "Le livre du CAPEDOC Précis d'Evaluation du Dommage Corporel" aux éditions Soulisse Cassegrain 1989
    3- Le traité de Dérobert "La Réparation Juridique du Dommage Corporel" éd Flammarion 1980
    4- Dr Ludwig Fineltain, "Glossaire Psychiatrique" éd. Frison-Roche à Paris 1.1.2000
    5- "Bulletin de Psychiatrie", "www.bulletindepsychiatrie.com", dir. Dr Ludwig Fineltain
    6- Le barème psychiatrique de Bornstein et Mélennec (Journal de Psychiatrie, septembre 1988)
    7- Prélude à l'émission radio des élèves de Sciences Politique.

COMPLEMENT

    Un élève de l'Ecole des Sciences Politiques est venu le 15 mais 2006 concocter son exposé à partir des questions suivantes:
1° Comment devient-on expert psychiatre?
2°L'influence d'Outreau.
    J'ai essayé de brosser pour ces jeunes étudiants un tableau succinct des expertises. "Rappelez-vous que l'expertise n'est pas stricto sensu une consultation médicale mais une opération médico-légale. Vous savez aussi qu'une expertise répond à une mission en bonne et due forme. Il existe des contre-exemples avec des missions douteuses ou même frelatées. Ainsi par exemple ai-je reçu il y a quelques jours une demande émanant de la commission d'éthique d'une grande et prestigieuse association médicale -il s'agissait d'une société psychanalytique de réputation internationale- qui souhaitait un certificat d'expertise à propos d'une patiente suivie par ses adhérents! Bien entendu cette demande immorale ne doit pas être acceptée!"
    Le ministre de la justice après Outreau aurait dit: "Nous allons réformer l'expertise psychiatrique". Ce n'était pas trop tôt! J'ai résumé l'affaire dans la page d'accueil du site internet "Bulletin de Psychiatrie" en www.bulletindepsychiatrie.com. Il faut revoir les critères de nomination et surtout le niveau de formation des experts. Ils devraient tous posséder au moins un diplôme d'expert! Deux diplômes sont reconnus: le CES de médecine légale et le DU de RJDC.
    Quant aux expertises psychiatriques .- Il faut selon moi récuser la plupart des psychologues dès lors qu'on veut une expertise portant sur la pathologie mentale. Quant aux psychiatres eux-mêmes les garanties de formation ou de compétence sont complexes. Disons que je récuse les psychiatres formés à la va-vite et les "mono-appartenants" qui ne connaissent de la souffrance mentale que les contentieux administratifs de la loi de juin 1990 et des directions administratives des hôpitaux (un mono-appartenant depuis la réforme hospitalière préconisée par le Pr Debré assigne aux médecins chefs de service une obligation de plein temps hospitalier complété cependant par deux vacations hebdomadaires privées). Bref il est important qu'un psychiatre ait acquis une longue expérience mixte, hospitalière et libérale.
    Les expertises proprement dites sont très variées et elles ont d'innombrables facettes. Je les cite en vrac:
    Les expertises judiciaires:
    -pénale ou civile
    -celle des tribunaux administratifs
    -les arbitrages qui doivent être conformes aux règles judiciaires
    Les expertises de la sécurité sociale, les échevinages
    Les expertises privées ou amiables résultant de conventions et de contrats entre les parties
    - les expertises de législations spéciales comme les pensions militaires d'invalidité ou celles de la sécurité sociale (dans le sens "avis technique" ou expertise dites de sapiteur -je m'honore d'être un sapiteur reconnu et apprécié des CPAM de toute l'Ile de France-)
    - nous connaissons aussi les expertises répondant à la loi dite "de Badinter" (les accidents d'auto)
    - les expertises de tutelle qui sont presque toutes réalisées par des psychiatres hospitaliers à la demande des juges des tutelles
    Nous trouvons une quantité d'autres variantes comme par exemple les expertises dites de "recours".
    La méthodologie de l'expertise médico-psychiatrique.
    L'expertise est une forme de dissertation avec une rhétorique très bien codifiée comprenant une dizaine de chapitres quasi impératifs. Vous connaissez les célèbres ITT et IPP mais il y en a de pittoresques comme par exemple le "praejudicio juventutis", la perte de chance, les préjudices d'agrément, le pretium doloris. Le plus difficile en psychiatrie c'est l'IPP qui doit correspondre à d'improbables barèmes. On connaît peu de barèmes psychiatriques de qualité. Celui de Bornstein et Mélennec est le meilleur.
    Quant aux questions de la responsabilité pénale, après que la modification de l'article 64 ait été effectuée, elles répondent au texte que vous connaissez tous: "Qu'il n'y a pas de délit en état de démence..."; puis actuellement, dans l'article 122-1: "Un trouble psychique abolissant le discernement ou le contrôle des actes"et néanmoins au civil: "il n'en est pas moins obligé à réparation" (489-2) . Je ne m'en occupe pas vraiment parce que ces types d'expertise ne m'intéressent pas beaucoup. On est d'ailleurs dans ces cas particuliers soumis à beaucoup trop de pressions non psychiatriques. Et cependant je pressens que ce sont justement ces sortes d'expertises judiciaires qui vous passionnent le plus.
    Les filières de formation sont peu nombreuses. Cependant l'autodidactisme est mauvais conseiller. Nous connaissons la filière Bornstein à Bicêtre pour l'expertise psychiatrique (DU de 1 an). Mais surtout une filière noble: le CES de Médecine légale en 2 ou 3 ans et la filière RJDC Réparation Juridique du dommage Corporel et Psychique (DU en 2 ans)
    8- Mme Gryson "Outreau la vérité abusée".- Mme Gryson a explicité sa thèse dans un ouvrage récent
    9- Note complémentaire. L'Institut de Psychologie dans l’esprit de ses fondateurs, Piéron et ensuite les Oléron, Fraisse, Reuchlin avaient imaginé des critères d'excellence de la formation des psychologues. Le titre d'Expert-Psychologue est proposé et décrit dans "H.Piéron L'année psychologique, 1955, 55, 55-2 pp.583-591". Ce titre requiert 2 diplômes, par exemple Psychologie pathologique + Psychologie sociale, puis un stage de recherche de 6 mois et enfin la soutenance d’un mémoire. On peut souhaiter que des psychologues experts près les tribunaux possèdent au minimum ces formations initiales. Pourquoi? Parce que la simple élaboration d'un test requiert des compétences cliniques et des connaissances en analyse statistique.
   



Dr Ludwig Fineltain