Psychiatrie
Bulletin de Psychiatrie
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Psychiatrie

Dr Ludwig Fineltain
Neuropsychiatre
Psychanalyste
Directeur du Bulletin de psychiatrie

E-mail: fineltainl@yahoo.fr
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    LES LANGUES CLASSIQUES ET LA MEDECINE
    Dr Ludwig Fineltain
    Neuropsychiatre et Psychanalyste
    Paris
   

Une réunion publique à l'EHESS s'est tenue à Paris. En voici le descriptif:


    RÉUNION PUBLIQUE DE RÉFLEXION ET DE DÉBAT
    SAMEDI 15 MAI 2004, de 14 heures à 17 heures
    Amphithéâtre de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)
    105, boulevard Raspail 75006 PARIS (Métro Notre-Dame des Champs)
    Présidée par Madame Jacqueline de Romilly, de l’Académie Française, présidente d’honneur de S.E.L. (Sauvegarde des enseignements littéraires) Animée par Madame Marie-Hélène Menaut, présidente de la C.N.A.R.E.L.A. (Coordination nationale des associations régionales des enseignants de langues anciennes)
    1. Ouverture de la manifestation par Jacqueline de Romilly
    2. Bilan de la pétition, par Marie-Hélène Menaut


    Je crois à l'importance de la formation classique pour les futurs esprits scientifiques et en particulier pour les médecins menacés par le Volapük, le Pidgin, le Bichlamar et les sigles. Voici les éléments de ma brève intervention:

   

Dr Ludwig Fineltain

(Neuropsychiatre et Psychanalyste à Paris)


   
    Mots clefs: - Langues classiques et médecine - Jubilation - Etymologie - Psychiatrie et Psychanalyse - Sciences exactes - Rythmes et algorithmes
   
    Mon intervention limitée à 5 minutes concerne mon expérience à propos du destin croisé des formations classiques et scientifiques.
    Un commentaire de Xénophon vient à propos, "Outw diakeisqon wsper ei tw ceire trapointo pros to diakwluein allhlw" "Les mains de cet homme se gênent l'une l'autre au lieu de s'entraider" pour dépeindre comment nos contemporains ressentent en eux la discordance entre lettres classiques et mathématiques! Ou encore, dirions-nous dans la langue familière: "Nos contemporains s'emmêlent les pinceaux!"
    Les progrès de la médecine et des technologies ne devraient pas contrarier l'amour des langues classiques. Un patient la semaine dernière vient me voir et me dit ceci: "J'ai appris sur internet de quoi je souffre: je suis athymhormique et dysthymique". Ma foi, lui dis-je, je suis très content que vous ayez pris de l'avance sur la consultation. Vous voyez que le vocabulaire d'origine grecque imprègne les échanges psychiatriques.
    Le cursus des médecins a certes privilégié la formation physico-mathématique. Mais ceux d'entre nous qui, très nombreux avant les années 60, avaient acquis une formation classique n'ont pas été particulièrement handicapés. Ils ont fait une carrière médicale aussi satisfaisante que les ingénieurs et les biologistes. Les médecins ainsi formés ne furent donc pas les plus détestables.
    J'ai conservé quant à moi un souvenir heureux de mes années classiques au lycée. J'aimais tout autant le latin, le grec et les mathématiques. Une formation intellectuelle est difficilement détachable des visages et des êtres. L’un d’entre eux, une remarquable figure d'humaniste des années d’après guerre, demeure très présent dans mes souvenirs, Mr Henri Agel, professeur de français, de latin et de grec en 1953, en seconde au Lycée Voltaire. Cet homme remarquable non content de nous enseigner Homère et Platon s'occupait aussi du tout nouvel Institut des Hautes Etudes Cinématographiques. Ainsi formait-il aussi les futurs cinéastes dans la grande tradition de l'humanisme européen. Henri Estienne: son chef, «Poètes Grecs», en 1566, ornés des caractères grecs de Garamont
    Le grec, plus que le latin d'ailleurs, m'a peu ou prou accompagné tout le long de ma carrière. J'éprouvai le besoin instinctif d'introduire ma thèse de médecine en 1967 par une quinzaine de lignes de l'Alcibiade de Platon que vous connaissez tous et qui commence par: "Comment découvrir ce qu'est le fond de l'être?" "SOCRATES. - Fere dh, tin an tropon eureqeih auto tauto: outw men gar tac euroimen ti pot esmen autoi, toutou d'eti ontej en agnoia adunatoi pou. ALCIBIADES.- Orqw legeij SOCRATES Tin oun an tropo gnoimen (au to) auto enargestata; epeidh touto gnontej, wj eoiken, kai hmaj autouj gwsometa. Ara proj qewn eu legontoj ou nundh emnhsthmen tou Delfikou grammatoj ou xuniemen [Oui mais, comment trouver ce qu'est le fond de l'être? Car si nous le connaissions, peut-être trouverions nous ce que nous sommes; tant que nous l'ignorons, cela est impossible. Comment donc savoir clairement ce qui est le fond de l'être? Si nous venions à le savoir, sans doute nous connaîtrions-nous nous-mêmes! Mais, Grands Dieux, ce précepte si juste de Delphes que nous rappelions à l'instant, sommes-nous sûrs de l'avoir bien compris? PLATON (L'Alcibiade)] D'autres réminiscences classiques me viennent encore à l’esprit à la faveur de divers congrès. Je rappelle celui qui se tint dans un salon du Lutétia tout proche d’ici que j’avais introduit par le commentaire acide de Xénophon: "Les mains de cet homme se gênent l'une l'autre au lieu de s'entraider" qui dépeint si bien aujourd’hui cette sorte de détestable fossé entre les lettres et les math! La culture gréco-latine a toujours suscité en moi un sentiment quasiment jubilatoire.
    Voici maintenant un sujet difficile. Les langues classiques ont-elles une influence sur les processus de pensée en particulier chez les enfants? Je n'ai pas de théorie toute faite à cet égard. Quelles sont les relations entre les langues classiques et les sciences? La question est aussi troublante que celle de la quadrature du cercle et je ne saurais y apporter de réponse simple.
    Le latin, nous le savons tous, était une langue d'échange scientifique universelle au Moyen-Age et les thèses des médecins étaient rédigées dans cette langue jusqu'en 1880. Mais le passé est le passé. Personne ne souhaite revenir aux calèches et aux chevaux de poste. L’helléniste du XXIème siècle ne dédaigne pas la modernité. Il sait fort bien se servir d'internet. Nous savons d'ailleurs que l'écriture antique a été renouvelée grâce aux modernes polices de caractère dite Grec, Poros et autres GreekOld. L'helléniste d'aujourd'hui invente ses grecques comme un nouvel Estienne! Henri Estienne: son chef, «Poètes Grecs», en 1566, ornés des caractères grecs de Garamont
    Des relations privilégiées existent bien entendu entre les classiques et la psychiatrie. Vous savez tous que la mythologie et la langue grecques ont nourri l'oeuvre de Freud. Mais encore toutes les grandes écoles psychiatriques du monde occidental se sont nourries du jargon hellénique comme aux plus beaux jours de la Renaissance. De nombreux néologismes doivent leur vie aux maîtres de l'Ecole française comme les Magnan, les Sérieux, les Clérambault et les Guiraud et à ceux de l'Ecole allemande c'est-à-dire à Kraepelin. Quel a été leur destin?
    Voyez par exemple l'athymhormie propre au schizophrène, l'inépuisable herbier des phobies, le concept d'hypomanie et enfin des concepts souvent détournés de leur usage comme paranoïaque et paranoïde et puis enfin la paraphrénie. Les souvenirs de ma formation classique m’ont été de nouveau d’un grand secours voici 4 ans quand j'ai rédigé mon "Glossaire Psychiatrique". Les définitions requièrent une bonne connaissance de l'étymologie et le lexique des termes d'origine grecque et latine y occupe bien entendu une place substantielle. Mais, me direz-vous, nous parlons seulement d'étymologie gréco-latine.
    Comment réfléchir plus précisément à l’importance des langues classiques sur la formation scientifique? Je me fonde sur une expérience assez longue de la méthode clinique en médecine et en psychiatrie. Les Facultés de Médecine sont avant tout des écoles d'application scientifiques. La médecine prend appui sur un corpus scientifique mais surtout sur la clinique qui est tout de même immergée dans un bain linguistique. Les examens paracliniques des laboratoires en effet ne sont pas toute la médecine. Ceci est encore plus vrai pour ce qui concerne la psychiatrie.
    Les sciences médicales d'une façon générale cultivent une attitude révérencieuse à propos des rythmes biologiques et des algorithmes. Ces deux termes l'un d'origine grecque et l'autre d'origine arabe jouent un rôle important dans la méthode scientifique. Or je suis convaincu que les langues classiques nous ont appris à penser les rythmes et les algorithmes tout autant que la biologie et les mathématiques.
    En ma qualité de médecin je considère avoir eu de la chance d'acquérir une double formation classique et scientifique. Les langues classiques m'ont tout autant appris à penser la complexité du monde que les sciences dites exactes.
    Je vous remercie.
   
    * Le chef d'œuvre d’Henri Estienne, «Poètes Grecs», en 1566, ornés des caractères grecs de Claude Garamont ou encore «les grecs du Roy», d’après des modèles fournis par le calligraphe crétois, Ange Vergèce, utilisés par les «imprimeurs du Roy pour le grec»; les poinçons en sont précieusement conservés par l’Imprimerie Nationale; ils ont été classés «monuments historiques»

   
   



Dr Ludwig Fineltain