La souffrance au travail
Bulletin de psychiatrie
(parution semestrielle ou annuelle)
Bulletin N°19bis
Edition du 21 septembre 2010
   Mise à jour du 22.09.2010


La souffrance au travail


Dr Serge Bornstein
Neuropsychiatre
Expert National
Paris

E-mail: "Serge Bornstein"
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Taverne coll.pr.      
Taverne coll.pr.       Brouillet
La leçon de Charcot

La souffrance au travail
Introduction
Serge Bornstein


    Le travail et sa diversification ont permis le développement fantastique de l’humanité, tel qu’il a anéanti le modèle biopsychosocial de l’homme, engrammé génétiquement pour fonctionner en groupe limité de 10 à 25 sujets: un mâle dominant, des mâles dominés, femelles, enfants.
   
    A l’origine, il n’y a pas, chez ces nomades, de travail proprement dit mais cueillette, pêche, chasse, protection contre le climat (chaud ou froid), huttes, habitats sur pilotis, protection et sélection des enfants avec un taux élevé d’infanticides.
   
    Il en va de même dans le règne animal avec toutefois des perfectionnements automatisés chez les insectes dits sociaux (abeilles, fourmis). Dans toutes les classifications des espèces vivantes, on constate des stéréotypes concernant la sphère des instincts (appétit, sommeil, sexe). Sur ce dernier point, l’éjaculation précoce était la règle compte tenu des risques encourus pendant le congrès pour l’homme des cavernes.
   
    Ce mot travail a une étymologie explicite, il vient du latin populaire tripaliare, littéralement tourmenter avec trepalium, instrument de torture, au départ donc tourment, peine, fatigue, il a progressivement atteint son sens actuel.
   
    Quant à souffrance, ce mot vient du latin impérial sufferentia, dont le premier sens est trêve (de guerre) ce qu’on retrouve dans «colis en souffrance», au XV° siècle, il acquiert sa signification de douleur morale ou physique.
   
    Si nous reprenons le modèle groupal inscrit dans nos neurones, la suppression du dominant, fameuse forclusion du nom du Père de Lacan, ouvre le combat des dominés avec son imprévisibilité.
   
    Numéros 2 ex-aequo dans l’échelle animale, à égalité de QI, les chimpanzés qui ont le même modèle agressif que nous, ne cessent de se disputer tandis que les bonobos appliquent le slogan «faites l’amour pas la guerre» ligne adoptée par quelques nostalgiques hippies, malheureusement sans lendemain.
   
    La tendance inéluctable à l’industrialisation, cf. les Temps modernes de Chaplin et le Meilleur des mondes de Aldous Huxley (1931), les images de destruction de Hiroshima et de Nagasaki, conduisent à une vision pessimiste pour les 6, 5 milliards d’homo sapiens sapiens, regroupés dans des mégapoles ou qualifiées de mégalopoles si elles comptent plus de 8 millions d'individus.
   
   
   
    Le manque d’espace vital, pour reprendre un propos jadis à la mode, cf. expérience de rats dans un local exigu, sonne le glas de la planète bleue soumise à la pollution, à la prolifération des gaz à effet de serre et partant à la modification du climat avec les calamités promises et ses réfugiés.
   
    Au delà de l’actualité, la souffrance au travail est un sujet de société crucial, dans un contexte de difficultés économiques et de concurrence entre les entreprises, celles-ci doivent apprendre à remotiver les salariés autrement que par le stress.
   
    On a vu récemment plusieurs suicides dans de grandes entreprises. Un suicide reste un acte mystérieux qui ne se résume pas à une seule étiologie, problèmes personnels, dépression endogène, rôle de l’imitation (Tour Eiffel, Fuji-Yama) mais plusieurs séries de cas traduisent plus qu’un malaise.
   
    Dans l’émotion, certains ont voulu la démission des dirigeants concernés, les étêter, vieux réflexe ce qui inexorablement a jadis abouti au combat des apprentis chefs et à la désorganisation.
   
    Les entreprises ont changé de nature et les managers sont choisis hors du groupe et ont en principe une formation spéciale.
   
    La majorité des salariés souhaitent s’épanouir au travail, ont besoin de considération et d’un bon management. Un effet pervers des 35 heures est l’augmentation du stress, car dans un temps restreint constant, la productivité a dû s’accroître. En contre point, le salaire des grands patrons peut être considéré comme une provocation.
   
    La santé au travail se mesure en fonction des accidents du travail et des arrêts avec en particulier, les troubles musculosquelettiques, désormais mieux connus. La durée de vie peut atteindre un différentiel de 7 ans selon les catégories.
   
    La santé au travail, c’est aussi le rôle du médecin du travail. Problème en amont, éviter; en aval, traiter. Malheureusement les médecins du travail n’ont pas vocation à soigner et leur cercle d’action est peu étendu. Ce qui est en réalité nécessaire est du domaine de la pluridisciplinarité, reliant médecin, ergonome et DRH.
   
    La violence au travail peut être:
   
    - externe dans les activités de service (agressivité des clients, usagers ou agression par délinquants)
    - interne: le harcèlement moral et/ou sexuel. On entend par là, l’ensemble des agissements répétés qui ont pour effet une dégradation des conditions de travail, susceptibles de porter atteinte à la santé physique ou mentale, ou de compromettre l’avenir professionnel du travailleur. Les tribunaux prud’homaux ont des listes d’attente qui peuvent atteindre deux ans tant affluent les plaintes.
   
   
    La souffrance peut se traduire par une dépression réactionnelle au comportement de collègues ou de supérieurs hiérarchiques. Harcelée, stressée, la victime ressent des difficultés à prendre des initiatives, des décisions et doit résister pour ne pas céder à la tentation de l’absentéisme, dont le coût sera élevé.
   
    Il s’agit donc d’évaluer ce stress, son origine, ses débordements, ses précaires mécanismes de défense, de façon à aider, analyser ce salarié fragilisé, culpabilisé, soit par soutien individuel ou groupe de parole avec coach qualifié.
   
    La souffrance au travail est surtout psychologique et son témoignage par immersion a été remarquablement rendu sur France 3 «Mise à mort du travail» triptyque de Jean-Robert VIALLET.
   
    L’entreprise procure un salaire et un épanouissement personnel. Elle exige en contrepartie adaptabilité et performance. Cette politique du toujours plus vite, plus qualitatif, plus efficace conduit à l’insécurité, la complexité, la souffrance. L’échange est alors perçu par le salarié comme inéquitable. Attention cependant à ne pas tout aborder avec trop d’angélisme.
   
    L’individu est forcément placé dans une certaine ambivalence vis-à-vis du travail:
   
    - il veut s’épanouir mais ne pas être trop englué par une activité tentaculaire
    - être responsable mais conserver une partie décisionnelle libre
    - la promotion et la variété de postes mais pas de sursollicitation ou de mobilité géographique
   
    - à force de vouloir osciller dans son choix, il se retrouve le plus souvent dans la zone de satisfaction mitigée ou contrariée.
   
    Ainsi, le traumatisme du travail est plus psychologique que physique. L’entreprise est un pseudo-modèle affectif d’efficacité et un bain d’artificialité. Aussi, il convient de contrôler les débordements de sentiments empathiques ou répulsifs, même s’ils paraissent favoriser l’acceptation du poids hiérarchique, c’est une sorte de miroir à alouettes. Nous sommes tous à durée déterminée, et nous devons admettre le risque de la précarité existentielle.
   
    En évitant la victimisation, les plus forts réagiront par leurs capacités de résilience, en prévoyant leur réadaptation. Les autres seront exposés à une clinique de revendication en déchargeant leur agressivité externalisée ou bien à la décompensation psychosomatique au diapason de leur souffrance internalisée. Le travail de chaque jour conserve un rôle social symbolique primordial et, lien entre famille et société, au point que par dignité mêlée de honte, certains feindront sa pratique perdue pour ne pas perdre la face et tout simplement survivre.
    Enfin travail et liberté sont-ils compatibles ? La liberté est par définition l'absence de contrainte sous toutes ses formes, et le travail, même s'il prend l'aspect d'un jeu (acteurs, sportifs, etc) est forcément une contrainte doublée d'une servitude.
    La devise nazie d’Auschwitz «Arbeit macht frei» (le travail rend libre)– ce panneau est tellement significatif malgré son aspect sibyllin que des petits malins ont voulu le voler.
    Désormais, pour la prise en charge de la souffrance professionnelle, il existe de nombreuses consultations spécialisées auxquelles ont recours les patients adressés par les médecins du travail, en particulier pour le harcèlement moral si longtemps occulté, objet de toutes les préventions et sollicitudes et qui peut aussi atteindre élèves, étudiants ou stagiaires.
   
   

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Ludwig FINELTAIN

Psychiatrist and Psychoanalyst
PARIS (FRANCE)