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La Méduse de Didyme |
Psychiatrie, terrorisme et auteurs d'attentats-suicides
Plan
"Nous, nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères. Celui qui n'aime pas demeure dans la mort"
Définition du terrorisme
Casuistique
En juillet 2011 il tue 77 personnes.
2) Mohamed Merah En 2012 il tue 3 soldats et surtout il assassine de sang-froid, les yeux dans les yeux et en portant une caméra, trois petits enfants dans une école juive.
Etude clinique du cas Mohamed Merah Merah, 20 ans en 2008, déclarait: "J'ai arrêté les mauvaises fréquentations". Il est en prison, condamné à 18 mois pour avoir arraché avec violence le sac à main d'une cliente dans une banque. De nouveau devant un juge il passe en jugement pour refus d'obtempérer lors d'un contrôle routier. En janvier 2009, l'expert-psychiatre, l'examine durant deux heures, ce qui me paraît beaucoup, et rend un avis le 15 janvier. Une tentative de suicide fin 2008, par pendaison, avait justifié une hospitalisation en psychiatrie pendant quelques jours en 2009. Le jeune homme évoque le divorce de ses parents en 1993, alors qu'il a 5 ans, et le départ de son père définitivement en Algérie en 2008. Il est le dernier de 5 enfants. Il a été placé en foyer de 6 à 13 ans. Sa scolarité a été chaotique: jusqu'en quatrième, il change chaque année d'établissement scolaire avant d'être orienté en apprentissage de carrosserie. Son contrat est vite rompu. Une nouvelle formation dure 17 mois et elle est interrompue par l'incarcération. Le profil psychologique est alors ainsi décrit: "Mohamed est un garçon courtois, correct qui accepte le dialogue". Il a, selon l'expert, une intelligence moyenne et son potentiel a été réduit par sa scolarité agitée. Il est un garçon anxieux présentant une grosse fragilité névrotique due au départ de son père et à un défaut d'encadrement de sa mère. L'expert note un "pôle introverti": "J'aime rester dans mon coin", dit le jeune garçon, qui dit avoir rompu avec ses mauvaises fréquentations et avoir la volonté de ne plus voir personne. Il note aussi un "pôle narcissique", notant par exemple ses cheveux gominés tirés en arrière, Mohamed Merah admet "le goût pour la culture de son image, un intérêt pour les vêtements neufs de marque". L'humeur est stable mais "récemment des idées noires seraient apparues". Le garçon évoque des "projets suicidaires". Puis le rapport aborde la question de la religion. Mohamed Merah a commencé à lire le Coran et à en suivre les préceptes. "Il fait la prière et respecte le Ramadan". Le jeune homme a déjà une amorce de sexualité et évoque "sa volonté de se marier". Selon l'expert, son placement en foyer, puis sa détention, ont compromis son insertion. "Les faits qui lui sont reprochés sont en lien avec son immaturité affective, sa difficulté à tenir compte de l'expérience vécue." L'expert conseille un suivi psychothérapique à sa sortie de prison et la reprise d'une formation professionnelle. Avant de conclure: "C'est de la réussite de ces mesures que dépend le pronostic évolutif que l'on ne peut actuellement envisager qu'avec réserve." On connaît la suite.
3) Les frères Kouachi En janvier 2015 ils tuent 12 personnes au journal Charlie Hebdo.
4) Ahmedy Coulibaly En janvier 2015 il tue 4 personnes en raison de leur confession juive.
5) Adel Kermiche Il est l'auteur en 2016 de l'assassinat barbare et théâtral d'un prêtre, le père Jacques Hamel égorgé alors qu'il célébrait la messe en son église de Saint-Étienne-du-Rouvray,
6) Mohamed Lahouaiej Bouhlel En 2016, il a fauché plus de 80 personnes à Nice au volant d'un camion.
7) Nidal Malik Hasan Le major Nidal Malik Hasan est l'auteur de la tuerie de Fort Hood au Texas en 2009. Il a tué 13 marines.
Causalité
La question du suicide
La psychanalyse du suicide
Les victimes du terrorisme
Psychisme des kamikazes
Prévention
Bibliographie
Les terrorismes Les terrorismes irrationnels Le terrorisme nihiliste Le terrorisme djihadiste Les auteurs d'attentat suicide
Casuistique Etude de 6 cas de terroristes et de kamikazes
La psychiatrie, le terrorisme et les bombes humaines.
Causalité Causes du terrorisme islamiste Fabrique Théorie des gueux Les tueurs de masse
La psychiatrie des terroristes
La psychiatrie du suicide
La psychanalyse du suicide
Les études sur le suicide
Suicides ordaliques
Les victimes du terrorisme
Le psychisme des kamikazes
Prévention
Les médecins consacrent leur vie aux maladies mais ils aiment la vie. Les médecins aspirent à protéger les patients contre la mort des cellules et de l'esprit. Mais les médecins ne sauraient fermer les yeux devant cette culture de la mort qui aujourd'hui se répand comme une peste sur la plupart des continents. Des procédures connues des médecins experts judicaires, les "autopsies psychologiques", permettent d'élucider les causes litigieuses d'un décès. De la même façon espère-t-on élucider les motivations des auteurs d'attentats-suicides.
Les termes de terreur et de terrorisme ont évolué. On nomme terrorisme une forme meurtrière de la contestation des états comme par exemple l'attentat de Fouad Ali Saleh à Paris en septembre 1986 ou celui de Sarhane ben Abdelmajid Fakhet d'Al-Qaïda à Madrid en 2004. Le terrorisme est une réponse non conventionnelle dans une guerre asymétrique. Il est une réponse quand les adversaires disposent de forces absolument inégales. Le terrorisme viole le droit de la guerre. Mais le terrorisme doit être distingué du tyrannicide. On doit pouvoir distinguer des catégories de terrorisme: le terrorisme noble et le terrorisme crapuleux. Il peut exister un fondement éthique d'un terrorisme juste. Ce sont les agents et les buts qui donnent au terrorisme un système de valeurs.
Il est absolument nécessaire de faire une distinction entre le terrorisme de la Résistance Française qui s'apparente au tyrannicide et la crapulerie djihadiste qui est une culture de la mort. Le terrorisme rationnel ou juste est celui que des critères éthiques bien définis trouvent juste. La Résistance en France était un terrorisme qui combattait non seulement une occupation militaire mais surtout une idéologie inhumaine, le national-socialisme et ses complices. Le terrorisme juste n'est pas forcément celui qui aboutit à une victoire. Mais la Libération par bonheur a exaucé les vœux de la Résistance. Le terrorisme de la Résistance en France a été représenté par des réseaux, par le colonel Fabien et par le très glorieux Groupe Manouchian-Epstein. Un terrorisme de survie n'est pas tenu de respecter les lois de la guerre. C'est aux idéologies inhumaines de prévoir les sanctions éventuelles de leur barbarie.
Les terrorismes nationalistes et en particulier celui du FLN requièrent une étude attentive. Un peuple colonisé a des arguments assez pertinents pour se révolter. Ceci étant dit l'histoire nous démontre que la cruauté du FLN était disproportionnée par rapport aux enjeux pour plusieurs raisons. Trois communautés ont été martyrisées et l'indépendance a accouché longtemps d'une variante de l'islamisme qui n'est pas une indépendance authentique. Rétrospectivement il m'est difficile de porter un jugement serein sur cette sorte de terrorisme. On dira cependant que l'histoire a volontiers donné raison au terrorisme du FLN puisqu'il nourrissait un projet légitime d'indépendance qui fut acquise 8 ans plus tard en 1962.
Les terrorismes irrationnels
Le terrorisme et les suicides collectifs des sectes millénaristes est un exemple classique. L'ordre du Temple solaire est un groupe ésotérique fondé en 1984 à Genève par Luc Jouret et Jo Di Mambro. Cet ordre avait la réputation de promouvoir des suicides collectifs. La secte en France en 1997 s'est immolée par le feu dans les forêts du Vercors dans la perspective soit de fin du monde soit de passage vers une autre planète. Une question s'est posée: suicide collectif ou assassinats? D'où vient chez les membres de la secte cette capacité de passage à l'acte? Nous savons que l'une des disparues, qui était la maman d'un grand sportif, était en quête de spiritualité et nourrissait des vœux métaphysiques depuis des années. On peut faire l'hypothèse d'une appétence aveugle pour des projets occultes et mystérieux. La dimension psychiatrique est ici assez prégnante.
Le terrorisme nihiliste
Le terrorisme bestial en détruisant des masses humaines exauce les vœux d'idéologies inhumaines ou anti-humaines. Le national-socialisme en a été un exemple extrême. Comment caractériser le nazisme? C'est une idéologie raciste qui recourait à un plan d'extermination des juifs ou d'autres communautés décrétées inférieures. Cette idéologie de la terreur est donc basée sur le mépris de la vie humaine, le repérage des races, la propension aux génocides de communautés décrétées effaçables, la chosification et la commercialisation des êtres humains et principalement des enfants et des femmes.
Le terrorisme islamiste obéit à des critères analogues au nazisme. On y trouve certes la primauté d'une forme historique de la religion islamique mais encore le désir d'anéantissement des autres religions, le mépris de la vie humaine, la propension aux génocides des Yézidis et des chrétiens d'Orient, la chosification et la commercialisation des femmes et des enfants.
Le terrorisme djihadiste
Faut-il distinguer des catégories de djihadistes? Oui je le crois. Le terrorisme islamiste a deux visages. L'un est rationnel et il consiste par des opérations asymétriques à faire plier l'adversaire, en général les Croisés, pour qu'il capitule. Cette méthode a réussi en Espagne au lendemain des attentats de Madrid le 11 mars 2004. Cet attentat qui a fait 191 morts et 1.824 blessés, peu avant les élections de 2004 devait contraindre l'opinion en faveur des socialistes qui promettaient le retrait militaire d'Irak. Leur voeu fut exaucé gratifiant Al-Qaïda d'une victoire obtenue par un commando local de musulmans apparemment intégrés. L'autre est irrationnel en ce sens qu'il veut imposer un islam médiéval et qu'il répond à la formule: "Nous aimons la mort plus que vous aimez la vie". On perçoit dans cette formule une vision eschatologique aux desseins incompréhensibles.
Les auteurs d'attentats-suicides
Les attentats-suicides intéressent tout à la fois les théoriciens du suicide et ceux des homicides c'est-à-dire les psychiatres et les criminologues. Dans la suite du terrorisme classique l'attentat-suicide est devenu un mode d'action commun chez les djihadistes et chez les islamistes. On a proposé des synonymes: bombe humaine, kamikaze, terroriste-suicidaire. Les attentats-suicides sont caractéristiques des conflits asymétriques où l'un des adversaires dispose d'une puissance de feu nettement inférieure à l'autre. On en a recensé près de 200 depuis 1983.
Il convient de distinguer les kamikazes de première intention et les kamikazes de seconde intention comme au Bataclan où le terroriste se voyant cerné se résigne à actionner sa ceinture explosive.
Etude de cas de terroristes et de kamikazes
1)Anders Behring Breivik
La pose d'une bombe à Oslo et le meurtre de masse à Utoia a donc fait un grand nombre de victimes. Il ne cherchait pas le suicide mais enfin il allait spontanément au-devant d'une mort possible. Il était mu par une idéologie de la suprématie blanche. Le premier collège d'experts norvégiens a évoqué une série de diagnostics psychiatriques. Comme fait aussi le Dr Belzeaux dans ses "Leçons sur les délires chroniques et les psychoses". Ils plaidaient pour la complexité. Le deuxième collège d'expert, Dieu merci, a considéré que l'inculpé était indemne de troubles psychiatriques.
Deux affaires hors normes en temps de paix se sont en somme produites en 2011! Celle d'Anders Behring Breivik en Norvège et celle de Mohamed Merah en France. Les monstres froids sont peu solubles dans le fluide de l'expertise psychiatrique. Le psychiatre d'ailleurs n'est pas très habile à pratiquer l'analyse socio-politique qui n'est pas du tout son terrain d'étude familier.
Que d'hypothèses formulées avant le dénouement! On dessinait un portrait-robot de meurtrier en série, en loup solitaire, hypothèse confortée par l'un de nos plus brillants collègues, expert judiciaire, interrogé par la presse. La mission meurtrière idéologique me paraissait pourtant assez évidente dans l'une et l'autre circonstance. Ces deux affaires ont d'ailleurs une très grande similitude.
L'affaire Breivik a donc suscité une expertise en deux temps. La première expertise fut déplorable, inspirée par des connaissances dogmatiques, livresques et naïves. La question posée par le public et par le parquet était assez simple. Breivik est-il fou? Est-il responsable de ses actes? L'un des collèges l'a considéré comme responsable de ses actes tandis que l'autre le jugeait atteint d'une schizophrénie paranoïde. La presse norvégienne a compris dès lors que les relations entre la justice et la psychiatrie devenaient problématiques. Des juges ont été tentés de faire la leçon aux premiers experts qui ont déclaré Breivik fou. On leur reproche de n'avoir pas accordé de crédit aux idéaux politiques du tueur. On leur reproche d'avoir à tort orienté les convictions du parquet. Je dois dire que cette dernière critique n'est pas logique. En France par exemple ce n'est pas l'expert qui décide mais en fin de compte c'est le parquet! On nous dit que le public s'est emparé du débat scientifique au point que le procès s'est transformé en un "championnat de Norvège de psychiatrie". Il est fort probable que l'opinion a joué un grand rôle, un rôle bénéfique pour une fois, pour susciter une seconde expertise!
Que savons-nous de la construction de sa personnalité? Anders Behring Breivik aurait été un gamin ordinaire. On nous dit ceci: "Sous ses airs de type courtois et somme toute banal, le Norvégien Anders Behring Breivik restera dans l'histoire comme l'un des tueurs les plus sanguinaires par haine de l'islam et du multiculturalisme. L'extrémiste de droite tenait à ce que le tribunal le reconnaisse pénalement responsable. Il a accueilli le verdict le sourire aux lèvres. Breivik avait reconnu avoir tué 77 personnes le 22 juillet 2011 en faisant exploser une bombe près du siège du gouvernement à Oslo, puis en ouvrant le feu sur un rassemblement de jeunes travaillistes. Ce carnage était, selon lui, "une attaque préventive contre des traîtres à la patrie"
Qu'est-ce qu'une enfance ordinaire? De son propre aveu, Breivik vit une enfance ordinaire, avec un père diplomate et une mère infirmière qui se séparent peu de temps après sa naissance. Il grandit avec sa mère et sa demi-soeur dans un foyer qui, dit-il, n'a jamais connu de problèmes d'argent. Son seul grief étant d'avoir eu "beaucoup trop de liberté". Dès son plus jeune âge, les services sociaux sont cependant avertis d'une possible carence de soins. "Anders est un enfant passif qui fuit un peu le contact, un peu anxieux, au sourire feint et désarmant", écrit de lui un psychologue, quand il n'a que quatre ans. "Idéalement, il devrait être placé dans une famille d'accueil stable". Le père ne parvient pas à obtenir la garde de son fils. Passé cet épisode l'enfance de Breivik est linéaire. Il militera dans des groupes nationalistes d'extrême droite.
Nous retiendrons donc essentiellement la carence de soins maternels à l'âge de 4 ans.
Il faut rappeler que pour tout observateur pertinent l'assassinat de trois enfants juifs dans une Ecole Ozar Hatorah à Toulouse signait de toute évidence l'idéologie fasciste et surtout islamique de l'équipée sauvage. Les hypothèses formulées par les experts, avant l'arrestation du tueur de Toulouse, ont été variées. Nous avons besoin de distinguer parmi les experts les naïfs et les scientifiques. Les scientifiques sont-ils tous des observateurs pertinents? Mais encore faut-il comprendre les raisons de la naïveté. Des psychiatres ont donc en mars 2012 anticipé les motivations du tueur. Ils tentent une analogie avec le meurtrier du Norvégien Anders Breivik. Le Dr Coutanceau, psychiatre: "Plusieurs hypothèses peuvent être émises. Tout d'abord, même si ce n'est pas, a priori, celle à privilégier, celle d'un malade mental à caractère paranoïaque. Deuxième possibilité, cet individu peut être l'émissaire d'un groupe terroriste. On prend là en compte les cibles du tueur: des militaires d'origine maghrébine qui appartiennent à l'armée française et une école juive. Enfin, on peut penser à un homme seul qui n'est pas un malade mental mais qui suit une logique abstraite, signe d'un caractère paranoïaque. Dans ce cas de terrorisme limité à un seul individu, le tueur devient l'instrument de sa propre conviction, le théoricien du sens de son acte. On se rapproche du "meurtrier de masse", qui a des convictions fumeuses mais absolues". Claude Halmos, psychanalyste, écrivait: "Les premiers éléments peuvent faire penser à un processus délirant où l'individu confond ce qu'il se raconte dans sa tête avec la réalité. Les meurtres semblent n'obéir à aucune logique. Et il ne faut peut-être pas y chercher de logique rationnelle mais plutôt délirante. Le fait de tuer indique déjà que les barrières empêchant le passage à l'acte ne se sont pas construites. Il faudra se pencher sur ce qu'ont vécu cette personne ou ses ascendants". D'où viennent ces interprétations naïves? Ce sont assurément des stéréotypies de la pensée. Il est plus commode de penser processus délirant que démarche militante. D'une façon générale j'estime qu'un spécialiste en sciences humaines qui n'a pas de formation médico-psychiatrique ne peut pas déceler avec précision un processus délirant. Sur ce point mon jugement est constant. Le Dr Lamothe, psychiatre, émet une hypothèse qui colle à l'événement: "Une personnalité délirante? Une vengeance? Un crime terroriste? Un témoin à Montauban, une dame présente près de la caserne, a, semble-t-il, décrit un tueur déterminé mais qui ne tirait pas sur n'importe qui. On semble moins en présence d'un tueur en série que d'un tueur de masse. Il a une mission sacrée à remplir".
Mon commentaire consiste à souligner la démission parentale qui va jouer ici un rôle classique. On peut se demander d'ailleurs pourquoi notre collègue n'a pas évoqué le rôle de cette forme d'abandonnisme intrafamilial dans la genèse des pulsions suicidaires. L'expert a peut-être songé à une forme de simulation.
Délaissés par leurs parents ils furent placés très tôt dans des institutions sociales sans aucune relation affective. Ils illustrent assez bien les théories de Bowlby et de René Arpad Spitz: le petit enfant très isolé développe un syndrome d'hospitalisme et une dépression anaclitique. Il peut exister un répondant à l'âge adulte. La dépression anaclitique de l'adulte est par exemple un moment important du syndrome borderline. Quant à la théorie de John Bowlby, la pauvreté affective des relations mère enfant accroît chez l'enfant le risque d'anomalie grave fondée sur l'insécurité, l'asocialité et la pauvreté émotionnelle. La carence d'empreinte et d'attachement précoces ont produit chez ces deux enfants des effets délétères. La principale conséquence est le comportement du psychopathe antisocial. Nous savons qu'ils ont vécu en orphelins, traînant dans un squat de pédophiles, rue d'Aubervilliers dans le 19ème et puis dans une institution d'aide à l'enfance.
Saïd, l'aîné, a un CAP. Il se marie à Charleville-Mézières et il a un enfant. On peut se demander quelle était la nature des liens qui l'unissait à sa femme et à son enfant. Il conserve dans son ordinateur des films pornographiques et pédopornographiques montrant des actes sexuels avec des enfants. Ceci en dit long sur la nature des fantasmes sexuels qu'il a pu développer. On a pensé que ces images servaient de boite à lettres cryptées. Je pense qu'elles décrivent essentiellement la pauvreté de la vie fantasmatique du jeune homme. La femme et l'enfant sont presque exclusivement des objets sexuels.
Chérif a une formation technique. Il se marie à Charleville-Mézières.
Adultes ils sont tous deux séduits par un prêcheur salafiste. Il faut noter que Saïd se dote de mentors successifs: Farid Benyettou, le mentor de la filière des Buttes-Chaumont et puis Djamel Beghal formé par l'imam Anwar al-Awlaqi ou Anouar Al-Aoulaki au Yemen. Il faut souligner ce besoin existentiel de gourous, de mentors ou de maîtres à penser, c'est-à-dire de parents substitutifs. Cette posture évoque bien la carence en question. Par contre la soumission passive à ces sortes de suggestions ou de directives nous dit quelque chose du niveau intellectuel de Chérif et de Saïd. Il ne s'agit pas seulement d'immaturité ou de souffrance névrotique mais aussi de faiblesse du niveau intellectuel.
Personnage typique de la commune de Grigny où se tisse une sorte d'isolat culturel, un hinterland idéologique fait de repli communautaire et de haine antisystème. Que savons-nous de lui? Son cursus délictueux est assez riche: en 2001: 3 ans de prison dont 2 avec sursis; en 2004: 6 ans de prison avec un sursis; en 2009: reçu à l'Elysée et en 2013: 5 ans pour implication dans le projet d'évasion d'Ali Belkacem en 2010. En 2010, Ahmedy Coulibaly expliquait qu'il désavouait ses parents en raison de leurs "actes de kouffars". Il affichait l'importance primordiale pour lui de la religion. A la maison il est le seul garçon sur dix enfants! Nous savons que son père était un excellent homme et que ses sœurs ont un comportement parfaitement adapté. Nous ne disposons pas d'étude psychologique concernant la mère d'Ahmedy. Celle-ci pourrait être d'un apport précieux. Ahmedy change de comportement vers l'âge de 17 ans, changement imputé à ses fréquentations. Un expert psychiatre qui l'avait examiné en 2002 faisait état de traits de personnalité immature et psychopathique. L'expert psychologue notait une pauvreté de ses capacités d'introspection. L'intéressé était décrit comme doté d'un sens moral très déficient "et s'inscrivant au travers de ses actes dans la recherche de puissance". Evoquant ses soeurs qui lui demandaient de l'aide pour leurs enfants, il indique à un ami: "J'ai tapé du poing sur la table et j'ai dit écoutez-moi bien toutes celles qui sont là qui apprennent pas à leur enfant la prière et les trucs comme ça, ça sert à rien qui m'appellent, je ne donne pas un euro pour l'enfant, je ne fais rien du tout. J'ai dit moi c'est comme ça. Moi c'est là religion la première, j'en ai rien à foutre de la famille". On trouvera dans sa chambre des annotations manuscrites coraniques et des clichés pédopornographiques. A propos du projet d'évasion du Smaïn Ait Ali Belkacem, en 2010, Chérif Kouachi fut mis en examen sans suite. Smaïn Ait Ali Belkacem est condamné en 2002 à la perpétuité. Et entretemps Ahmedy Coulibaly en 2013 a été condamné à cinq ans fermes "pour avoir préparé un projet d'évasion et un attentat de grande ampleur".
Si Adel Kermiche n'était pas connu des services de police, il l'était de la justice antiterroriste pour avoir voulu rallier les zones de jihad à deux reprises. La deuxième fois, il est incarcéré. On apprend que de 6 à 13 ans, il était suivi dans un centre médico-psychologique où il est décrit comme "hyperactif" avec un traitement médicamenteux. A l'école primaire: "Ange ou démon? Selon les jours... Quelquefois enfant modèle, le plus souvent agressif, énervé et pas en état de travailler".
Le profil d'Adel Kermiche a été mieux précisé grâce à la presse. Des "troubles du comportement" avaient justifié vers 11-12 ans son admission dans un service hospitalier de Rouen spécialisé dans la psychopathologie de l'adolescence, puis en hôpital de jour à Saint-Étienne-du-Rouvray alors qu'il avait 12 ans. Ses problèmes relationnels étaient importants. Il s'agissait d'altercations avec ses camarades. Il quitte l'école à 16 ans.
L'évolution des troubles, de l'hyperactivité aux troubles du comportement du genre caractéropathie montre la nature des troubles: des troubles caractériels graves. Mais ils ne constituent pas en eux-mêmes une explication du passage à l'acte. Par contre l'admission dans un service hospitalier spécialisé en psychopathologie de l'adolescence, pour "troubles du comportement" puis en hôpital de jour à Saint-Étienne-du-Rouvray alors qu'il avait 12 ans ça c'est instructif et c'est l'indice d'un trouble assez grave. Mais nous demeurons dans la caractéropathie.
Le juge Trevidic avait eu en charge le dossier d'Adel Kermiche quand il avait 18 ans. Il le trouvait immature et surtout pauvrement dissimulateur. Marc Trévidic, aujourd'hui vice-président du tribunal de grande instance de Lille, connaissait donc assez bien le terroriste. Il l'a mis deux fois en examen par le passé. La première fois, lorsqu'il a tenté de rejoindre la Syrie, alors qu'il était encore mineur. Puis une seconde fois, à 18 ans. À l'époque, Marc Trévidic émet un mandat d'arrêt international pour qu'il soit expulsé de Turquie, puis ramené sur le territoire français. Il dépeint un individu tout juste sorti de l'enfance. "Il était assez immature, toujours entouré de jeunes. La première fois, il était mineur et accompagné par un jeune de 15 ans, qui est resté en Syrie d'ailleurs. La seconde fois, il était de nouveau avec un mineur de 15 ans. C'étaient vraiment des adolescents".
Nous disposons d'une étude psychologique un peu plus substantielle. Kermiche a donc bénéficié depuis l'âge de 6 ans d'une structure psychiatriques, d'un centre médico-psychologique. Il est alors décrit comme "hyperactif" et suit un "traitement médicamenteux". On peut supposer qu'il s'agissait d'un amphétaminique, le méthylphénidate ou Ritaline. Une appréciation rédigée durant l'école primaire souligne l'agitation: "Ange ou démon? Selon les jours… Quelquefois enfant modèle, le plus souvent agressif, énervé et pas en état de travailler." Le garçon rencontre ensuite des "difficultés" durant l'adolescence: il est exclu de son collège en classe de cinquième pour des "troubles du comportement". Il est alors hospitalisé à Rouen dans un service spécialisé dans la psychopathologie de l'adolescence; par la suite il sera suivi à l'Hôpital de Jour de Saint-Etienne-du-Rouvray. Il a alors 12 ans. Un an plus tard, considéré comme "ingérable sur le groupe" au point qu'il faut parfois "le contenir dans une pièce fermée". Il est placé durant quinze jours en milieu fermé dans l'unité psychiatrique du centre hospitalier spécialisé du Rouvray. Puis il intègre, à l'âge de 13 ans, une institution thérapeutique et pédagogique. Deux ans plus tard, il retrouvera une scolarité normale, en classe de quatrième. Mais en raison de "problèmes relationnels", il est renvoyé quelques jours de son lycée en 2013, ce qu'il vit comme une injustice. Une de ses professeurs rapporte des "violences physiques et verbales envers ses camarades" ainsi qu'un "comportement physique provocateur", tout en constatant un "niveau scolaire supérieur" aux autres élèves. Sa scolarité s'arrêtera à l'âge de 16 ans.
Il est donc assez difficile d'émettre une hypothèse psychiatrique.
La presse nous le décrit comme un parfait psychopathe pris en charge par un psychiatre en Tunisie dès la prime adolescence. Mohamed Lahouaiej Bouhlel est né le 3 janvier 1985 dans la banlieue de Sousse en Tunisie. Selon son père, le jeune homme fait une dépression au début des années 2000: "Il devenait colérique, il criait, il cassait tout ce qu'il trouvait devant lui. "On a montré à un journaliste de la BBC une ordonnance d'un psychiatre de Sousse, le Dr Hamouda Chemceddine, qui prescrivait de l'Haldol. "J'ai eu l'impression d'un début de psychose", confie-t-il en relisant le dossier. A propos de cette consultation datée du 20 août 2004, c'est son père qui l'a amené à la consultation. Il avait alors 19 ans et il est incapable de s'intégrer au groupe des étudiants de première année de faculté, en année préparatoire aux études d'ingénieur. Il présente d'importants troubles du caractère et du comportement. Il n'est pas cohérent. Il a du mal avec sa propre image, avec l'image de son corps. Il ne se trouve pas assez robuste et fait de la musculation. Il se montre très violent. C'est pour cela que le père vient consulter. Le fils en arrive à enfermer ses parents à clé dans une pièce. Je lui prescris du Haldol, un antipsychotique." Le médecin ne l'a jamais revu. Il ignore si "Salmane Bouhlel" a été suivi. Mais, estime-t-il, "même pour un psychotique, pour qu'il y ait un passage à l'acte d'une telle cruauté, c'est qu'il y a eu un endoctrinement quelque part, que ce soit le fait d'un groupe constitué ou d'une personne". Il avait dix frères et sœurs considérés par le voisinage comme très complexés. Tout ceci invite à examiner la nature des relations des enfants avec les parents.
Il y avait épousé sa cousine, Hajer Khalfallah, avec qui il avait eu deux filles et un garçon. Mais le terroriste était un séducteur, qui finissait par assumer pleinement ses infidélités. Il semble avoir été très violent avec sa femme, ses enfants et sa belle-mère. Des conflits avec sa femme sont nés. Il aurait dit "Je vais tuer le plus de monde possible. Au moins on parlera de moi quand je serai mort". Un voisin décrit un comportement de crise à faveur de la séparation avec sa femme: "Il a déféqué partout, trucidé le nounours de sa fille à coups de poignard et lacéré les matelas". Il s'agit donc de la manifestation d'une structure hystérique. On peut donc songer à une surdétermination du passage à l'acte.
Les informations psychiatriques du psychiatre tunisien sont floues, caractérisées par une conception purement symptomatique de la psychiatrie, sans aucun diagnostic. Le concept de psychose, isolé, n'a pas beaucoup de pertinence. Sans doute voulait-on évoquer l'héboïdophrénie ou le début d'une schizophrénie. Mais rien n'est dit: ce n'est pas de la psychiatrie. Quant à la révélation de sa bisexualité et notamment d'une liaison avec un homme de 73 ans, cette bizarrerie n'est pas particulièrement éclairante. A moins qu'il ne s'agisse d'une conduite utilitaire!
La presse nous l'a décrit comme un homme non-violent n'aimant pas les armes. C'est un citoyen américain d'origine palestinienne. Il est devenu psychiatre au sein de l'US Army. Son entourage dresse le portrait d'un homme doux, doté d'une solide éthique professionnelle. Mais il apparaît aussi comme un homme fragile, très affecté par les récits des soldats revenus d'Irak ou d'Afghanistan. Refusant de partir au combat, son départ programmé pour l'Afghanistan aurait été le déclencheur de son coup de folie. L'homme aurait aussi été victime de brimades de la part de ses "camarades" soldats, subissant régulièrement des discriminations à cause de sa religion musulmane. Fervent défenseur de l'Islam, l'homme se serait aussi même disputé avec les soldats lors des entretiens, dénonçant régulièrement la présence américaine en Afghanistan et en Irak. L'enquête a montré que l'homme s'est longuement entraîné dans un stand de tir, préparant méticuleusement son arme et les munitions. Il avait même prévu de placer du papier toilette dans ses poches afin de dissimuler le bruit des balles pendant ses déplacements. Le jour de la tuerie, il avait pris soin de faire sortir tous les civils présents sur le lieu qu'il avait choisi: "Ensuite il a crié "Allah Akbar" et a ouvert le feu sur des soldats non armés, insouciants et sans défense". Il venait d'apprendre que son unité allait être déployée en Afghanistan.
A la veille de son procès, Nidal Malik Hasan avait envoyé à Fox News une lettre manuscrite de sept pages, signée "SoA", Soldier of Allah. L'homme y écrivait renoncer à la nationalité américaine et évoquait ses relations avec Anwar al-Awlaki, un imam américano-yéménite. Ce haut-gradé d'Al-Qaïda est mort dans une attaque de drone en septembre 2011 au Yémen: "Il était mon professeur, mon mentor et mon ami. J'ai une très haute estime pour lui, car il a essayé d'apprendre aux musulmans leurs devoirs envers notre créateur. Puisse Allah tout puissant accepter son martyr." Après son arrestation, il a déclaré être prêt à mourir en martyr pour sa "cause". Le psychiatre militaire sera finalement condamné à mort le 29/08/2013 par un tribunal militaire. Il a tué 13 soldats et en a blessé une trentaine. Nidal Hasan, dans une chaise roulante depuis que la police l'a blessé a accueilli d'un air impassible la décision du tribunal. Jamais au cours de son procès l'homme n'a tenté de se défendre, semblant même chercher la peine de mort. "Les preuves montreront clairement que je suis le tireur", a-t-il confié à l'ouverture de son procès durant lequel il s'est qualifié de "moudjahidine".
De nombreuses raisons ont été avancées pour expliquer le geste de Malik Nadal Hasan. Lorsqu'il était interne au Walter Reed Army Medical Center, ses supérieurs et professeurs s'étaient interrogés sur sa santé mentale et certains le décrivaient comme "distant", "paranoïaque", "agressif" ou "schizoïde". Il effectuait un travail de qualité inférieure. "Un tel individu qui se livre devant tout le monde à un meurtre de masse éprouve le besoin de créer un spectacle et recherche une forme d'immortalité nous dit le Dr. Michael Welner, médecin expert à New York. Il avait eu des entretiens avec quatre meurtriers de masse. Welner note également les difficultés de Hasan pour trouver une épouse. C'est un célibataire de 39 ans un peu grassouillet et courtaud. Il est courant que les meurtriers de masse aient une vie sexuelle et amoureuse incompétente et qu'ils transfèrent leur masculinité dans des actes de destruction spectaculaires. Et d'ajouter que ses collègues ont été consternés par sa rhétorique extrémiste et sa conduite très peu professionnelle. Nous connaissons par bribes quelques aspects de sa compétence psychiatrique. Il soignait des vétérans en leur faisant la morale. Fait essentiel, donc, il ne contrôlait pas du tout son contre-transfert se laissant aller assez souvent à des remarques désobligeantes auprès de ses patients. D'autre part son invocation à Allah tout puissant n'est pas banale dans le monde des psychiatres. L'affiliation à un maître à penser est étonnante mais ce n'est pas un fait isolé parmi les psychiatres. Les psychiatres cependant invoquent des maitres à penser de haute tenue intellectuelle comme Freud, Lacan ou Girard. Il est bien rare qu'ils se réfèrent à Jésus ou à Allah dans leur conduite professionnelle! Nous avions cependant un collègue, Psychiatre des Hôpitaux, qui vouait un culte à un grand roi parce qu'il savait regarder le soleil en face!
D'autre part deux grandes questions se posent:
Quelles sortes de psychiatres fabrique-t-on aux Etats-Unis? On sait qu'il existe aux Etats-Unis une communauté de psychiatres de très haut niveau mais d'autre part on découvre l'existence de formations au rabais de petits médecins de corps de troupe, comme le Dr Hasan, dont les connaissances psychiatriques apparaissent très pauvres. Nous avons connu ces formations au rabais au XIXème siècle en France. On se souvient des valeureux "Officiers de Santé" de la Grande Armée de Napoléon. Un officier de santé célèbre, le Dr Bovary, a été immortalisé par Flaubert.
Mais aussi comment l'armée américaine fait-elle le tri pour départager les bonnes recrues des mauvaises? J'admets que les critères de qualité médicale parmi les médecins militaires ne sont pas prioritaires. Mais ne pouvait-on percevoir le fanatisme sous le diplôme? Quelle est donc le sens de cette cécité? Ici en France le conscrit jadis passait devant un jury de médecins qui établissait le SIGYCOP qui est un profil médical octroyant l'aptitude (P signifiant psychisme) et puis surtout devant un officier instructeur, un officier conseil en recrutement, qui appréciait les motivations et les mérites du candidat.
Sources culturelles du terrorisme
Histoire des attentats-suicides
Depuis les nihilistes russes en 1880 nous avons vus les kamikazes japonais durant la 2ème Guerre Mondiale. Plus récemment le terrorisme et les bombes humaines issus du monde islamique. Le terrorisme iranien a certainement joué un rôle en avril 1983 quand le Hezbollah a organisé l'attentat-suicide contre l'ambassade américaine de Beyrouth, faisant 63 morts, le 23 octobre 1983 et quand deux attentats-suicides simultanés contre la force multinationale d'interposition ont fait 248 morts américains et 58 morts français. Les États-Unis et la France avaient accusé le Hezbollah et l'Iran d'être derrière l'attentat.
Parmi les actes terroristes de l'Iran en France et au Liban les plus mémorables ont été commis en 1985 et en 1986 par le groupe Fouad Ali Saleh aux ordres du Hezbollah et de l'Iran. Ils se sont soldés, je crois, par une victoire ponctuelle de l'Iran.
On estime que depuis 2000 les attentats suicide émanent du Hezbollah, des islamistes palestiniens, du Hamas, du Djihad islamique, du GIA, d'Al-Qaïda et de l'Etat Islamique de DAECH.
Des attentats-suicides sont parfois commis par des femmes ou même par des enfants. C'est peu fréquent mais il y en a eu en Algérie, au Nigeria chez Boko-Haram et en Israël par le Hamas. Des enfants de 10 ans sont victimes de leur crédulité. Dans les madrasas, des talibans en profitent sans vergogne. Un orphelin, en Afghanistan, en 2012, Azizullah, apprend dans une madrasa que "lors d'une attaque suicide sur des soldats, on ne meurt pas: seul un doigt est coupé". Arrêté une fois et puis gracié il s'enfuit de nouveau chez les talibans! Retrouve-t-on ce genre de crédulité chez l'adulte? Je ne le crois pas.
N°1 Causes du terrorisme islamiste
Des théories parfaitement contestables coexistent avec des théories pertinentes. Les causes pour les uns seraient psychologiques: le désenchantement, le rêve d'un monde meilleur, le rejet du matérialisme, le ressentiment, la frustration et le manque de reconnaissance. On invoque l'incapacité d'une compréhension entre le monde musulman et l'Occident. Selon Dominique Baillet, des islamistes pensent que les occidentaux considèrent l'Islam comme une religion sous-développée. L'humiliation serait une source de violence. Dans le même ordre d'idée M. Chebel estime que le terrorisme perdure par "la cécité des pays riches qui, au-delà même de la lutte idéologique, interprètent ces phénomènes brutaux comme une simple revanche de gueux dépenaillés sur les nantis". Nous avons l'impression de lire des explications stéréotypées. Dans le même esprit le Pape Benoit nous dit: "Ce n'est pas une guerre de religion Il s'agit d'une guerre d'intérêts, une guerre pour l'argent, c'est une guerre pour les ressources de la nature, c'est une guerre pour la domination des peuples". Ce langage trouve un écho dans un Occident nourri de post-marxisme ou de "bourdieusisme". Des sociologues amateurs estiment que la négation de la religion jouerait un rôle et que cela permettrait aux musulmans de se coaliser autour d'une sorte de revendication métaphysique. Quant au philosophe René Girard s'inspirant du mimétisme exprimait une idée également fort peu consistante: "Le terrorisme est lié à un monde différent du nôtre, mais ce qui suscite cette différence l'éloigne de nous et nous le rend inconcevable. Il est au contraire dans un désir exacerbé de convergence et de ressemblance". Il s'inscrirait donc dans la volonté de rallier et de mobiliser tout un tiers monde de frustrés et de victimes dans leurs rapports de rivalité mimétique avec l'Occident". Bruno Etienne veut une explication psychanalytique et nous dit que "C'est la mise en scène de la mort héroïque du moi idéal archaïque. On retrouve ce même mécanisme dans les suicides dits altruistes et probablement chez bon nombre de martyres de l'Histoire".
N°2 Fabrique du terroriste islamiste ou djihadiste
La haine religieuse et idéologique est-elle au premier plan? Est-ce une causalité pertinente? Plusieurs auteurs ont étudié la psychologie du terroriste. Madame Marie Marie-Frédérique Bacqué, Professeur de psychopathologie clinique, étudie la fabrique du terroriste: "Outre leur "normalité", ils ne se considèrent pas comme des tueurs, mais comme des soldats dont la mission impliquerait certains sacrifices, le leur et celui des populations "ennemies". Les terroristes intègrent la mort comme une fin et non comme un moyen (ce que font les soldats). Il n'existe pas de "personnalité terroriste", de même qu'il n'y avait pas de "personnalité nazie". Le terroriste se considère comme un soldat. Se demande-t-on si les soldats sont fous? Il n'y a donc pas de profil psychiatrique du kamikaze.
Je crois en effet qu'on décèle une certaine normalité psychique. Mais sans doute faut-il soulever la question de la normalité psychique! Certes ils se considèrent comme des soldats. Tout ceci est incontestable. Il n'y a donc pas de psychopathologie notable dans les actions des terroristes et des attentats-suicides missionnés par l'Etat Islamique. Mais il y a tout de même un problème dans l'aisance à manier l'horreur. Cela requiert quelque chose qui est volontiers collectif et qui est le contraire de la "banalité du mal", quelque chose que nous devrions mieux définir. Un de nos collègues, Feldman, psychologue négociateur, évoque "les malades de l'obéissance" c'est-à-dire l'empreinte d'une sociologie familiale tyrannique.
N°3 La théorie des gueux
La théorie des gueux et des riches n'est pas mauvaise. Mais il s'agit selon moi de l'inégalité des richesses en esprit, des richesses noétiques! L'avènement d'internet en 1985 avec la réalisation d'un village planétaire a gravement accentué l'écart noétique et civilisationnel entre pays riches en connaissances et en productions et les civilisations arriérées. Ce fossé va s'approfondissant. Et voici la nouveauté: c'est que la différence s'expose crûment sous les yeux des habitants de l'univers tout entier. D'où une guerre mondiale inévitable entre les gueux de l'esprit et les privilégiés de la science. Existe-t-il une solution? Sans doute en s'inspirant des méthodes des pays émergents qui se dotent des outils des progrès intellectuels que sont la lecture, l'écriture et les écoles. Le village planétaire d'internet à partir de 1985 a approfondi le fossé entre un monde assoupi et un monde innovant. Une guerre des mondes s'est déclenchée entre les traditions archaïques et le monde technique. Dans un texte remarquable, Jean-Stephane Viallefont en 2015, développe ce que je perçois intuitivement. Il nous montre que le terrorisme a changé de paradigmes. La mondialisation des échanges, matériels et virtuels, ouvre de nouvelles perspectives de terrorisation. Avec les nouvelles technologies, les agents de la terreur jouent des frustrations sociales et identitaires pour contester la hiérarchie mondiale. Paradoxalement, à l'heure de la technologie toute puissante, cette guerre redonne à l'humain toute sa centralité. Dans le "village planétaire", le temps uniforme de la modernité s'oppose à une perception du monde ancrée dans des croyances ancestrales. Dans cette guerre des valeurs, l'islam s'est affirmé comme l'opposant le plus virulent à l'hégémonie occidentale.
N°4 La psychologie des terroristes et des tueurs de masse
Adam Lankford, professeur de justice pénale à l'Université de l'Alabama plaide pour une dimension suicidaire classique. Il a comparé 81 attentats-suicide et les tireurs de masse suicidaires qui ont frappé aux États-Unis de 1990 à 2010. La motivation politique du martyre n'est pas aussi importante qu'on l'imaginait. "On a cru longtemps les attentats-suicide n'étaient pas plus pathologique que le soldat ou le terroriste classique qui s'engagent pour une cause au prix de la vie", écrit Lankford. "On préfère imputer ces comportements à la psychologie de groupe, à la dynamique organisationnelle, et aux mouvements idéologiques" En réalité Lankford montre que ces terroristes sont comparables des hommes découragés, furieux, pleins de griefs accumulés. "Beaucoup de ces tueurs présentaient des indices de tendance au suicide: la marginalisation sociale, les problèmes familiaux, de travail ou de problèmes scolaires, et les crises existentielles sources de décompensations", écrit Lankford. "Ils étaient presque tous susceptibles d'écrire une lettre de désir de suicide". Nous apprenons par exemple des choses sur les deux terroristes de Boston. Le frère aîné, Tamerlan Tsarnaev, 26 ans, était très marginalisé. En 2009 il disait: "Je n'ai pas un seul ami américain. Je ne les comprends pas". Il y avait eu une inculpation pour agression dans la famille. Le frère cadet, Dzhokhar Tsarnaev, 19 ans, ne démontrait pas une meilleure adaptation sociale. Ceci dit il était tout à fait sous l'influence de son frère aîné. Tamerlan aurait eu des explosifs attachés à son corps quand il a été appréhendé. Pour Lankford donc, se concentrer sur la motivation politique ou religieuse ne doit pas occulter les sentiments de rage des individus marginalisés et désemparés.
Le Dr Lepastier insiste sur le plaisir de tuer: "Qu'est-ce qui pousse quelqu'un à commettre un attentat-suicide? Quels sont les ressorts psychologiques qui peuvent conduire un jeune à tuer des inconnus et à mourir dans un attentat-suicide, comme lors des attentats à Bruxelles ce mardi 22 mars 2016 ou ceux du 13 novembre 2015 à Paris? L'illusion de la toute-puissance et la réalisation d'un destin supérieur. Celui qui devient djihadiste trouve un bénéfice à entrer dans un système, dans un groupe: l'illusion d'être puissant. Le délinquant accède à un destin supérieur. Il y a notamment le bénéfice du discours langue de bois. On peut se dispenser de penser tout en ayant l'impression d'avoir raison en permanence. Ce prêt-à-penser apporte un soulagement, une restauration narcissique, une réassurance. En fait, on a beaucoup de mal à admettre l'existence du plaisir sadique de tuer. Pour certains, tuer est un plaisir, la guerre est un plaisir, et pour qu'il y ait plaisir, il faut nier l'humanité de l'autre. Y a-t-il un profil psychologique particulier chez ceux qui commettent un attentat? Pour celui qui est engagé dans cette spirale de type sectaire cela devient une passion haineuse". Je considère en effet que la langue de bois est un bénéfice intéressant. On peut ainsi se dispenser de penser.
Un collègue expert près la Cour d'Appel estime que le profil du kamikaze est hors norme. "Celui-ci-doit être suffisamment éduqué et intelligent pour comprendre la mission, pour y jouer un rôle et pour esquiver les embuches. Il existerait a priori une certaine perturbation pour nier l'instinct de vie et une certaine rigidité pour persévérer dans une action manifestement antinaturelle".
Les commentateurs psychanalystes évoquent le fantasme de toute puissance. Je dirais que la psychanalyse ne parvient pas à donner des arguments pertinents. Les psychiatres experts n'ont pas tous acquis une formation psychanalytique. Il peut exister un risque de délivrer des explications proches des "brèves de comptoirs". Cette posture résulte d'une insuffisance du travail auto-analytique.
Les données cliniques sont pauvres. Avons-nous eu l'occasion d'avoir de tels patients en thérapie? Pas vraiment. Des candidats terroristes ou des candidats bombes-humaines peuvent-ils accéder à une thérapie analytique? A priori c'est douteux mais ce serait possible. Des analystes en Argentine ont suivi des patients qui poursuivaient un projet révolutionnaire au péril de leur vie. J'ai eu quant à moi jadis, dans les Centres de Consultation Médico-Psychologiques de la Seine, 2 ou 3 cas qui peuvent évoquer des postures aussi extrêmes. Le premier patient, il y a une quarantaine d'années était un médecin de la diaspora libanaise et qui exerçait dans un pays africain. Il considérait que le terrorisme palestinien entrait dans la catégorie des actes cruels justifiés par la lutte révolutionnaire. On ne sait pas s'il eût été capable de transformer cette sorte de militantisme nationaliste en un terrorisme islamiste. On serait tenté d'en douter. Mais je crois qu'il faut réserver nos jugements. Une conversion est possible. Le glissement d'un statut terroriste à l'autre est chose possible. L'autre, un jeune étudiant marginalisé, fréquentait des mosquées salafistes et voyait partout l'ombre du Mossad (même chez son thérapeute!). A côté de cette rationalisation islamiste il existait une souffrance certaine sous-tendue par un processus psychotique, des interprétations délirantes et des fausses reconnaissances comme l'illusion de Fregoli. Ce patient avait beaucoup évolué. Je pense qu'il eût été capable de s'orienter vers un engagement extrémiste. Il est impossible, en dehors des interprétations et des fausses reconnaissances, de faire une relation entre les mécanismes du délire en question et la tentation terroriste. Mais on pouvait pressentir la zone de tous les dangers tout autour de la marginalisation et de la déréliction. C'est une zone propice aux dérapages.
La psychiatrie du suicide
Les motivations pathologiques du suicide sont le plus souvent absentes des attentats-suicides. Nous admettons donc que le suicide terroriste n'est pas un suicide pathologique. Mais l'examen des diverses dimensions du suicide ne peut pas être totalement écartée. ( Article du Bulletin: suicide)
Il y a quatre grandes formes de suicide: les suicides psychotiques et névrotiques, les suicides symboliques et rationnels et enfin les suicides ordaliques. Le suicide ordalique est un mécanisme particulièrement fréquent et complexe chez certains patients. Ils transforment la tentative de suicide en une conduite sacrificielle que je nomme suicide ordalique. L'histoire de ce rituel ordalique nous rappelle les Jugements de Dieu à l'époque franque au Moyen-Age. Des rites continuent d'exister en Afrique. Dans la pensée contemporaine le jugement du destin ou la justice immanente sont une transposition des anciens Jugements de Dieu! On peut évoquer ce processus pour comprendre un certain nombre d'attentats suicide, en particulier chez de jeunes terroristes à l'esprit faible comme Zacarias Moussaoui.
Le suicide est un mode de comportement qui concerne presque toutes les catégories nosologiques. Les états dépressifs. On pose souvent ce diagnostic de façon abusive. Nous devons prendre des précautions à propos d'un concept aussi confus que celui de "la maladie dépressive". La mélancolie -c'est à dire la psychose maniaco-dépressive- est porteuse des idées de mort. Les états dépressifs réactionnels, surviennent au décours d'un événement douloureux. Le suicide y apparaît comme un appel à l'aide. Les états dépressifs névrotiques et les névroses. Ils marquent la décompensation d'un état névrotique jusque-là bien toléré. La schizophrénie. - Je considère cette pathologie comme la pourvoyeuse principale des suicides aboutis. Les délires chroniques. - Le suicide peut répondre à un ordre hallucinatoire ou à un sacrifice mystique délirant. Les états confuso-oniriques.- Le suicide est possible à l'acmé de la bouffée stuporeuse. Les tentatives de suicide chez le psychopathe ou chez le classique "déséquilibré psychique" sont fréquentes. La raison essentielle est l'impossibilité d'adaptation à un milieu quelconque. Les personnalités narcissiques ou "borderline", sous le générique duquel nous regroupons: - les personnalités abandonniques, marquées par l'immaturité affective et l'impossibilité de surmonter des angoisses dépressives importantes lorsque l'objet anaclitique vient à manquer; - les personnalités psychopathiques chez lesquelles le passage à l'acte, impulsif et violent, marque l'impossibilité de surmonter une quelconque frustration; il s'agit souvent de sujets, qui, de par leur impossibilité d'une relation stable et continue, multiplient les ruptures affectives, professionnelles, sociales, se trouvant ainsi progressivement désinsérés d'un groupe social qui les rejette - les personnalités dépressives au sens "kleinien" du terme, trouvant divers aménagements obsessionnels ou hystériques et souvent dénommées névroses de caractère. Les tentatives de suicide en particulier dans les syndromes borderline m'ont particulièrement intéressé; les personnalités borderline cultivent les pulsions suicidaires; on trouve chez ces patients un certain nombre de traits en commun à savoir le désir de se protéger de fantasmes de persécution et de destruction issus d'une relation tendue avec les imagos parentales; dans la plupart des cas on décrit durant l'enfance des relations extrêmement dures avec les deux parents; un de mes patients a perçu son père comme un officier tortionnaire avec ses manies du commandement, ses comportements de survie et ses horaires minutés. Chez les toxicomanes et les alcooliques on peut décrire le suicide dans diverses circonstances complexes. La tentative peut survenir au cours des décompensations confusionnelles.
Les menaces de suicide ont une fonction de séduction et d'agression au regard de son objet. L'entourage réagit bien entendu à cette ambivalence. La signification inconsciente des idées de suicide a trois composantes: le désir de la mort, le désir de tuer et celui d'être tué. Dans le désir de la mort on cherche le désir de dormir, le nirvana. Ce dernier stade est comparable à l'union fusionnelle du nourrisson avec sa mère c'est à dire de retour au sein maternel.
La psychanalyse s'est aussi très tôt intéressée à la mélancolie et au deuil. L'ambivalence est la caractéristique essentielle du déprimé qui, partagé entre l'amour et la haine, opère un compromis fragile entre ses pulsions contradictoires. La perte de l'objet libidinal détermine une désintrication des pulsions libidinales et agressives qui se détournent de l'objet pour viser le Moi. Toujours à propos de la désintrication pulsionnelle, Herman Nunberg nous a laissé parmi les plus belles pages de la clinique psychanalytique dans un texte sur "la défusion des pulsions", processus par lequel la libido est désexualisée et par lequel les instincts de destruction sont libérés. La régression libidinale peut conduire non seulement à la destruction de tous les investissements objectaux mais aussi au suicide. La grande question de la pulsion de mort est également posée. On l'a contestée. S'agit-il d'une expression privilégiée de l'instinct de mort au coeur de l'automatisme de répétition et du masochisme moral? D'où vient l'agressivité? Un autre raisonnement nous dit que la mort est une aspiration comme une forme de retour vers un état antérieur inanimé en deçà des temps. Otto Fenichel décrit ainsi les conceptions analytiques des suicides. "Dans la mélancolie interviennent l'introjection et les conflits entre le Moi et le Surmoi. Mais le névrosé ordinaire qui tente de se suicider ne veut pas "détruire son Moi", mais donne satisfaction à ses pulsions libidinales mêlées, intriquées à des projets d'autodestruction. Le but préconscient est l'espoir de rejoindre le mort, un désir océanique de retour à la mère, une identification érotisée au mort, un orgasme pur et simple. La réalisation symbolique dans la mort. Mais en réalité chaque tentative de suicide a son style propre. Dans ma conception le fantasme premier est la sanction symbolique aux survivants. Je vous punis de ne pas m'avoir aimé assez."
Les kleiniens de façon très différente ont formalisé des données d'observation clinique de la préhistoire du psychisme de l'enfant. Les fantasmes naissent chez l'enfant avant un an. La mère est pour le bébé un objet partiel bon ou mauvais. Le bon sein est considéré comme un équivalent du pénis, comme objet à introjecter. Le processus de "splitting ou clivage kleinien" est caractérisé par la projection du mauvais objet sur toute l'ambiance environnante animée ou inanimée. Tout ceci a été décrit comme des positions psychotiques précoces. Cette observation a une valeur incontestable. Mélanie Klein insiste sur l'importance des processus dépressifs dans la première enfance, des premières angoisses et des mécanismes primitifs paranoïdes et schizoïdes.
L'incontestable richesse de l'interprétation analytique entre ici en contradiction avec ses limites thérapeutiques.
La population est victime de décompensations psychiatriques dont les effets délétères sont plus importants que les blessures directement infligées par l'attentat. Les spécialistes de la psychiatrie de catastrophe sont rares. Les psychiatres sont par tradition mal à l'aise sur le théâtre des crises et des urgences. La meilleure assistance psychiatrique urgente résulte généralement d'une action concertée. J'insiste sur ce point, il n'existe pas de catastrophe collective sans un embrasement psychiatrique concomitant. Les séquelles des attentats ont été étudiées mais les mesures d'assistance demeurent insuffisantes. Le Dr Crocq, collègue courageux et compétent, avait lancé l'idée des Cellules d'Urgence Médico-Psychologiques ou CUMP en mettant son expérience militaire à la disposition des pouvoirs publics. Ce fut une bonne chose. Mais nous avons certainement en France accumulé un retard considérable et même tragique au regard des enjeux. Il nous suffit d'évoquer à titre de comparaison les stratégies préventives aux Etats-Unis comme les Family Disaster Plan. Une tragédie comme celle des Twin Towers eût provoqué à Paris un désastre psychiatrique considérable en raison du manque de préparation! Les rodomontades des ministres de la santé successifs sont édifiantes! Je dispose à cet égard d'échanges de lettres étonnants avec certains ministères! Quoi qu'il en soit la panique peut être redoutable. L'annulation de manifestations importantes d'une part et le surgissement de réactions incontrôlées d'autre part résultent de la panique collective beaucoup plus que des dangers réels.
Mon souci consiste à explorer la psychologie des terroristes et surtout des auteurs d'attentats-suicides. Devenir une bombe humaine ne va pas de soi! C'est évidemment la grande question, la très grande question, puisque nous pourrions essayer de mieux comprendre les motivations de ces tueurs de masse suicidaires et d'autre part de réfléchir à des stratégies préventives.
1) Une culture de la violence et de la mort.
Le terrorisme islamiste requiert un choix particulier des formes de combat. Il accepte a priori la primauté du salafisme, il assume le principe du génocide et l'opportunité de l'anéantissement des autres religions, la contestation du caractère précieux de la vie humaine et la chosification des enfants et des femmes.
Ils ont tous été antérieurement des délinquants multirécidivistes. Mais la délinquance ne signifie pas obligatoirement la personnalité psychopathique. Ceci dit le délinquant est un recrutement prioritaire pour une mission terroriste.
Ils prouvent une grande soumission à la mission. C'est ce qu'un de nos collègues psychologue a nommé "la maladie de l'obéissance". La notion du mal aurait chez lui été effacée par une combinaison ancienne de la terreur et l'éducation.
2) Un rapport spécial à la religion
Les candidats frôlent la zone de tous les dangers. On dit que beaucoup d'anciens délinquants désoeuvrés expriment leur rage et leur désœuvrement. Ils évoluent à la frontière de la marginalisation et de la déréliction. Ils invoquent la foi religieuse alors que je souligne à l'inverse chez eux le sentiment de la perte de Dieu (déréliction)!
3) Des traits psychologiques sont récurrents
- La pauvreté affective de ces individus est assez remarquable. Leur biographie les montre incapables d'affection envers leurs familles, leur entourage proche, leurs épouses éventuelles et leurs enfants. Le mariage des Kouachi paraît avoir été une cérémonie formelle. Les enfants sont en somme inapparents dans leurs récits. On n'imagine pas que tous ces kamikazes islamistes soient capables d'aimer et d'être aimés. On les a observés, désinsérés, solitaires, reclus entre hommes et pleins de rage. Ils répondent assez bien à l'épître de St Jean: "Nous, nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères. Celui qui n'aime pas demeure dans la mort."
- Des traits de personnalité sont caractéristiques. Une personnalité immature et psychopathique, une pauvreté des capacités d'introspection, un déficit considérable du sens moral et une recherche d'un statut de puissance
- Des fantasmes très archaïques. Dans la formation la plus classique des psychanalystes européens il a presque toujours existé une phase kleinienne. La formulation est très particulière. Il est possible qu'une forme particulière d'éducation précoce des enfants, si par exemple elle est teintée d'abandonnisme, suscite un ensemble de fantasmes de persécutions et que ceci favorise des "peurs que le moi ne soit détruit par les mauvais objets internes, les persécuteurs internes". Les défenses contre cette peur consistent essentiellement dans la destruction des persécuteurs.
4) La détermination suicidaire
Cette phase requiert un certain courage. Elle représente en elle-même une arme symbolique redoutable. Le passage à l'acte requiert des déclencheurs et des surdéterminations. Il fonctionne comme un rêve ou un cauchemar. Je pense que le terroriste a besoin d'expérimenter un état oniroïde pour se donner du courage en essayant d'atteindre un état "stone". L'interprétation des rêves nous a appris que les contenus manifestes des rêves sont surdéterminés. De multiples déterminations conscientes et inconscientes sont à l'œuvre au moment du déclenchement des attentats-suicides.
Enfin la dimension ordalique dans l'attentat-suicide est une option possible. Ce processus se retrouve dans certains suicides comme une conduite sacrificielle que je nomme suicide ordalique. Dans ce cas la dimension psychopathologique est assez présente. C'est l'ordalie qui aux yeux des jeunes islamistes permet la promotion en martyr.
Il résulte de l'étude des composantes psychiques de la plupart de ces individus quelques conclusions provisoires à propos des mesures de prévention. Nous avons besoin de distinguer le possible et l'impossible dans la prévention.
Les propositions socio-éducatives et les contentions sont prioritaires. On a préconisé la déradicalisation. Je peux difficilement me prononcer sur ce point. Elle me paraît utile mais illusoire. Il faut se souvenir de la dénazification qui avait un volet punitif et un volet préventif. La dénazification fut en réalité une illusion. Elle a été affadie par un mouvement politique planétaire qui avait un tout autre but.
On a préconisé de contrecarrer la capacité de séduction des discours critiques contre le modèle occidental. Je donnerais plus d'importance à la réforme des programmes éducatifs, essentiellement au sein de l'école élémentaire. Il faut donner un regain d'autorité aux Hussards Noirs de la République. D'autre part une assistance éducative auprès des familles s'impose de toute évidence. Il faut promouvoir une éducation correcte qui pourrait impliquer la mise à distance de familles dont le rôle maléfique est incontestable. Ceci me paraît prioritaire pour protéger ces enfants des incapacités parentales et des influences néfastes d'idéologies inhumaines et meurtrières.
On a également préconisé un programme de détection des risques. Rappelons que le salafisme peut être quiétiste et piétiste sans être nécessairement terroriste. On peut encourager un profilage fondé sur l'expertise de fonctionnaires entrainés de la DGSE. On doit en outre encourager une politique étrangère qui cible les pays bienveillants avec les terroristes. Enfin des députés ont plaidé pour la création d'un "Guantanamo à la française" pour prévenir l'afflux de la vague djihadistes. J'en conclus que dans une perspective de prévention l'éducation et les sanctions peuvent être menées de front.
Existe-t-il une prévention psychiatrique? La prévention psychiatrique proprement dite n'est pas concevable dans la plupart des cas. Le déficit d'introspection et la soumission aveugle à une mission contrecarrent toute possibilité de psychothérapie à visée introspective ou interprétative. Donc je ne vois pas quelle stratégie psychologique ou psychiatrique pourrait être conseillée. Encore est-il très utile de confirmer que la psychopathologie joue ici un rôle tout à fait mineur par rapport au militantisme meurtrier.
Notes
* L'élation, du latin elatio signifiant transport de l'âme, est une forme mineure de l'euphorie et notamment de l'euphorie maniaque.
* L'ordalie était au Moyen-Age le jugement de Dieu par le fer ou par le feu. Certaines tribus africaines imposaient aussi et imposent encore des épreuves douloureuses aux adolescents, par exemple des scarifications, pour prouver leur accès à l'âge adulte. Je nomme suicide ordalique certains suicides qui sont un mode archaïque et "ordalique" du chantage affectif.
* L'acédie du grec akedia. Je tiens l'acédie pour l'ancêtre de la dépression. Les chrétiens, parmi les pères du désert, ont stigmatisé un manque de soin pour la vie spirituelle. C'est donc un mal spirituel qui s'exprime par l'ennui et le dégoût pour la prière, la pénitence et la lecture spirituelle. Il advient un état de torpeur spirituelle et de repli sur soi c'est-à-dire une maladie spirituelle au sens théologique. Est-ce pour l'Eglise un simple vice? Non. Thomas d'Aquin réintègre l'acédie dans la liste des sept péchés capitaux (l'acédie ou paresse spirituelle, l'orgueil, la gourmandise, la luxure, l'avarice, la colère et l'envie). Le poète Jules Lemaître écrivait "C'est un homme de marbre assis sur un tombeau". Le pape François mentionne régulièrement l'acédie comme menace grandissante pour la société en général et le clergé en particulier. On retrouve un équivalent de ce symptôme dans le terme journalistique de burn out.
* La déréliction a surtout un sens religieux. C'est un "état d'abandon moral", le fait d'être abandonné par Dieu. C'est une épreuve pour le croyant qui a le sentiment d'avoir perdu la grâce pour l'éternité
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Psychiatrist and Psychoanalyst
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