Bulletin de psychiatrie
Numero 3.2
(semestrielle ou annuelle)
Edition 1996
Dr Fineltain Ludwig
Neuropsychiatre
Psychanalyste
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CNPsy Gr. 1 dp 75 1 26408 6
E-mail: fineltainl@yahoo.fr
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Tanaka 1973
Tanaka "Banlieues"
  • CLINIQUE DES ETATS-LIMITES
  • DU SIGNE A L'EXISTENCE
  • ENTRE ARCHEOLOGIE ET TELEOLOGIE
  •  
    Ce second article étudie, au travers des symptômes, la question philosophique du projet d'existence chez le borderline. Nous nous demanderons aussi comment ce syndrome met en question et subvertit les doctrines psychiatriques classiques dans des domaines aussi divers que la nosologie et la psychanalyse.

    Mots clefs: Etats-limites ou syndrome borderline, syndrome d'actualité. Clinique psychiatrique, psychanalytique et sexologique. Questionnement philosophique de la clinique. La téléoanalyse.

INTRODUCTION

Quelques remarques cliniques préalables nous permettrons de rejoindre une indispensable réflexion philosophique.

1) DEFINITION DES ETATS-LIMITES OU SYNDROME BORDERLINE.

L'état-limite (état-limite des psychoses ou syndrome borderline) est un état clinique frontière entre la névrose et la psychose. L'état-limite est désormais considéré comme une entité clinique autonome. Bien que ce trouble ait une réalité incontestable on a vainement tenté d'en donner une définition consensuelle satisfaisante. Ces états constitueraient 30% des consultations psychiatriques. Le groupement séméiologique n'est ni névrotique ni psychotique: il passe d'un mécanisme à l'autre. Des épisodes psychotiques temporaires peuvent surgir au cours de l'évolution. Les états-limites ont été apparentés tour à tour aux préschizophrénies, aux schizophrénies incipiens, aux déséquilibres et aux névroses atypiques, aux cas classiquement dénommés schizomanies, aux maladies du caractère ou même aux comportements pervers.
Le DSM-3 nous dit ceci:
301.83 Personnalité limite (borderline) Mode général d'instabilité de l'humeur, des relations interpersonnelles et de l'image de soi-même, apparaissant au début de l'âge adulte. Le DSM requiert au moins cinq des manifestations suivantes: (1)instabilité et excès (2)impulsivité (3)instabilité affective (4)colères intenses et inadéquates (5)menaces suicidaires (6)trouble de l'identité (7)sentiment permanent de vide ou d'ennui (8)efforts effrénés pour éviter les abandons réels ou imaginés

2)CLINIQUE PSYCHIATRIQUE D'UN CAS DE SYNDROME BORDERLINE

Mr L. ne connaît pas son identité sexuelle. Il est envahi par une peur intense d'être un homosexuel qui s'ignore. Ses expériences homosexuelles se sont faites dans une atmosphère de provocation impulsive et quasi expérimentale. Il est constamment déprimé, il pense sans cesse à se supprimer. Il donne une justification rationnelle à son désir d'en finir. Il a fait deux tentatives sérieuses de suicide. Il met sans cesse en doute tous les efforts de soins. A la faveur de la thérapie, il a pu vivre avec une femme pendant 6 ans. Quand enfin il exprime son désir d'enfants elle le quitte.
Il a généralement une vie sexuelle très pauvre.
Il doute de ses capacités intellectuelles: ses nombreux diplômes n'auraient été acquis que par accident. Il se croit réellement débile mental.
D'un point de vue psychanalytique ses relations transférentielles sont celles-ci: une position infantile orale primaire, c'est-à-dire très ambivalente. Il attend que vienne de moi un équivalent de la becquée. Il élabore une relation très agressive comme cela est habituel dans ce type de régression. Il manifeste une exaspération constante. Il a un besoin constant de réassurance par le biais d'oracles de ma part et de requérir d'autre part des tests de niveau intellectuel, des mesures de l'intensité de la polarité homosexuelle et des prédictions de voyantes. Il attend anxieusement que je prenne position, que je lui dise s'il est un homosexuel, s'il est réellement amoureux, que je lui prédise son avenir, que je lui dise la nature de ses émotions, de ses sentiments et de ses envies.
Cette position demanderait un développement plus important à propos des rapports entre les pulsions orales et l'intérêt pour la magie et les devins.
Il a très peur des mécanismes de la pensée en général et des siens en particulier. Il a peur de ses propres pensées et surtout de ses rêves qu'au début longtemps il ne délivrait qu'à contrecoeur.

3)PULSIONS DE VIE ET PSYCHANALYSE.

Première constatation: les rapports au réel sont très généralement éclairés par la connaissance du développement sexuel infantile. Les pulsions sexuelles sont au coeur même des pulsions de vie, elles sont la vie même. Le mode d'évolution des pulsions sexuelles a des répercussions, chacun le sait, à l'âge adulte. A partir de ces prémisses se dessine une dimension clinique spécifique au cours des analyses d'adulte.
Les pulsions de vie sont donc des pulsions sexuelles, des pulsions d'auto-conservation ou libido narcissique.
Les pulsions de vie dans leur acception d'auto-conservation sont bien entendu celles qui concernent le plus directement le psychanalyste puisque la simple démarche d'une demande de cure implique une capacité d'affiliation et implique l'existence de puissantes pulsions d'auto-conservation.
Le sens profond de la pulsion de vie est obscur pour Freud lui-même. L'idée qu'une pulsion a pour mission biologique le retour à un état antérieur, cette idée liée à la pulsion de vie est quelque chose de difficile à concevoir. La référence au Banquet de Platon souligne la problématique. Bref la pulsion de vie est créatrice de liaisons tandis que la pulsion de mort est un principe de paradis.
L'opposition entre pulsion de vie pulsions de mort apparaît tardivement dans l'oeuvre de Freud entre 1924 à 1938. On en connaît une forme clinique éloquente: la psychose mélancolique. Eros, dans le même esprit s'oppose à Thanatos

4)EXISTENCE ET PHENOMENOLOGIE

Le sentiment d'exister prend, chez notre patient, un sens très complexe. (3b1). La clinique n'épuise pas la question de l'existence. Chaque patient, j'en suis convaincu, chaque être, possède un projet existentiel qui se projette dans une perspective future. Chaque être se construit un arrangement prospectif que je nomme une téléologie. La vie n'est pas seulement dans le réseau des interprétations à propos de l'archéologie du sujet. Tout patient, comme tout homme, possède quelque chose que je nommerais, faute de mieux, un projet d'existence. C'est une formulation philosophique familière aux phénoménologues.
Reprenons le cas clinique de notre patient. Essayons de nous en représenter une évolution satisfaisante. Il doit d'abord ne plus éprouver de vives angoisses à propos de son identité sexuelle, ne plus sombrer dans le désespoir de la nullité, ne plus instaurer un mode de relation orale primaire et ne plus être envahi par des pulsions suicides archaïques. L'appel à la mort comme à une délivrance rationnelle ne sera plus son langage ordinaire. Il pourrait essayer de nouer une relation ordinaire avec une femme sans être envahi de fantasmes homosexuels et dans le même instant être poussé au suicide. Il pourrait encore faire la paix avec ses pulsions homosexuelles.
Ma thèse transparaît en filigrane au travers de ce petit texte, de cette modeste description clinique: des liens se dessinent entre TELOS et ARKHE
Une téléologie implicite se profile en réalité dans toute thérapie. Qu'est-ce que le devenir mûr, le devenir adulte, le devenir homme? Comment poser le problème chez ces patients difficiles du "devenir conscient"? Voici justement le contenu du concept de téléologie.
Outre l'analyse du transfert une thérapie analytique doit prendre en compte le projet de vie ou "télos" au moyen d'une méthode que je nomme volontiers téléoanalyse.
Ricoeur, s'inspirant de la Phénoménologie de Hegel, trouve dans un modèle téléologique de la conscience un contenu acceptable à l'idée vide de projet existentiel.
Ricoeur ajoute: "Il y a dans la psychanalyse une archéologie thématisée de l'inconscient. Mais il y a une téléologie non thématisée du devenir conscient".
Est-il suffisant de dire que l'homme est un être de pulsions? Assurément non! La psychanalyse n'épuise nullement l'idée de la téléologie du sujet.
Alors que le psychologue demande: comment l'homme sort-il de l'enfant? Le philosophe dit: "Eh bien il en sort en devenant capable d'un discours signifiant qui a été illustré par un grand nombre de grandeurs culturelles lesquelles tirent elles-mêmes leur sens de leur arrangement prospectif."
Mais attention la téléologie n'est pas la finalité.
Ce n'est pas le mouvement pulsionnel qui crée par exemple le sens de notre exister et de notre mort. Du moins la thématique psychanalytique n'a pas l'épaisseur suffisante pour nous le faire comprendre sauf à se risquer dans un discours très appauvri, réducteur et dogmatique.
On trouve l'exister et le mourir, là, exposés sous nos yeux, espaces de la vie et du destin déjà constitués, comme un train qu'on prendrait en marche. Il existe une sorte d'arrangement du monde à quoi l'homme s'adapte et qu'il rejoint comme il peut.
Ainsi encore Ricoeur nous dit avec un rare bonheur d'expression le double dessaisissement de nous-mêmes.
"Comment penser ensemble la notion de fixation-régression pulsionnelle et une réflexion sur l'humilité de la conscience au regard du projet existentiel ou téléologique. Quand j'adviens à l'existence, le monde m'offre des espaces, des sphères de culture qui s'enchaînent les unes les autres. Un mouvement pulsionnel en chacun d'entre nous que je nommerais notre archéologie ou l'archéologie du sujet nous y introduit. La réflexion concrète c'est cela: ce double dessaisissement de nous-mêmes, dans ce double décentrement du sens qui réside dans une relation entre inconscient et esprit, entre primordial et terminal, entre le destin et l'histoire".
Le classique "Là où est le ça doit advenir le moi", si précieux dans la pratique psychanalytique, est seulement un moment de l'histoire de la personne.
Un autre enjeu apparaît. Qu'est-ce qui est en question? Ce n'est pas seulement l'accès du sujet pulsionnel à la conscience mais de la conscience à la conscience de soi. L'enjeu est donc autre chose que le moi mais encore quelque chose que je nomme le soi ou l'esprit.

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Bibliographie
DSM-III-r
Ricoeur: "Le conflit des herméneutiques".
Hegel: "La Phénoménologie de l'Esprit".
Revue Esprit Numéro spécial: Ricoeur, num.7-8, août 1988
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